Richard Deschênes et Ivan Lassere, vernissage le jeudi 10 mai à 17h30 à la Galerie B-312

Richard Deschênes
LES ATOMISTES

Si l’on regarde un peintre qui se livre à son activité, on croit observer un processus dans lequel, d’une manière fondamentalement énigmatique, divers corps se meuvent de telle manière qu’en « conclusion », une peinture en résulte. Toute analyse du geste doit être une analyse de signification. Sa méthode doit être un déchiffrement, une décomposition du geste en ses éléments signifiants.
—Vilém Flusser

Que nous est-il donné à voir au juste dans la plus récente exposition de Richard Deschênes ? Que regarde-t-on ? Une surface noire et mate est travaillée d’un motif blanc, organique, qui se répète à travers toutes les œuvres. Cette répétition, le jeu d’échelles et certaines inscriptions nous laissent croire que nous sommes devant un très gros plan d’une image reproduite. Mais comment ?—Situés entre le dessin et la peinture, les tableaux qui composent Les Atomistes ne se laissent pas déchiffrer facilement. Une photographie tirée d’un article scientifique est à la base de ce corpus, présentant un coton devenu autonettoyant grâce à l’injection de nanoparticules d’argent directement dans ses fibres. Si dans le travail de Richard Deschênes il y a toujours une attention particulière portée au concept et aux mécanismes de la perception, ici, le processus de fabrication de l’image étoffe également la proposition de l’artiste en jouant habilement sur le principe dialectique du « sujet » et de « l’objet » représenté. Les scientifiques font appel à des images construites et artificielles pour retranscrire leurs données et rendre visibles leurs recherches. Leurs images jouent de la séduction, mais notre compréhension en demeure partielle. Les propositions picturales de l’artiste fonctionnent de la même manière, elles convoquent un ensemble de procédés complexes dans leur fabrication que notre seule perception n’arrive pas à appréhender. La molécule, photographiée, agrandie et retravaillée devient trame pour être imprimée. Puis, point par point, l’artiste cartographie l’image originale et la reporte sur un papier calque dont il enduit ensuite le dos d’une fine couche de pastel blanc. La matrice ainsi créée sera ensuite patiemment reproduite, retranscrite sur la surface du tableau préalablement apprêté au gesso noir.—Cette méthode lente et laborieuse confère aux œuvres un aspect impersonnel. Pourtant, partout la main de l’artiste est présente, mais de façon contradictoire. Elle s’efface dans l’efficacité de la mécanique gestuelle. Avec Les Atomistes, Richard Deschênes fabrique des images énigmatiques engageant une méditation sur le temps, une réflexion sur la durée et la sublimation du banal conférant également à ses œuvres une dimension poétique.
—ISABELLE GUIMOND

Richard Deschênes vit et travaille à Montréal. Après l’obtention d’un baccalauréat en arts visuels (1985, Concordia), il poursuit des études au Pratt Graphics Center à New York (1985-1986). Récipiendaire de plusieurs bourses du Conseil des arts du Canada et du Conseil des arts et des lettres du Québec, Richard Deschênes travaille principalement en peinture et en dessin. Son travail a été présenté dans de nombreuses expositions au Canada, au Mexique, en Chine, en Espagne, en Autriche, aux États-Unis, en France et au Japon. Soulignons ses dernières expositions individuelles chez Expression (Saint-Hyacinthe, 2012), Optica et Vu Photo (Montréal et Québec, 2013). Ses œuvres figurent dans les collections Prêt d’œuvres d’art du Musée national des beaux-arts du Québec et Banque d’art du Conseil des arts du Canada, ainsi que dans plusieurs collections corporatives et privées.

Ivan Lassere
ARPENTAGE EMPIRIQUE

Après l’avoir délaissée un temps pour étayer ses recherches —   principalement avec le collage   — sur les notions d’espaces (architecturaux, picturaux, mais aussi didactiques), la peinture d’Ivan Lassere est définitivement marquée de ses explorations formelles entreprises avec les grilles isométriques et les projections orthogonales. Si le collage permet des délimitations franches et brutes, rabattant les volumes en pans divisés parfaitement, il laisse peu de place aux contingences de la matière.— Arpentage empirique rend compte d’une double approche : délimiter un territoire d’action tout en laissant la matière exister, poser des balises sans restreindre l’importance de l’intuition. L’artiste y affirme également la primauté du matériau brut. Son envie du détail. Sa quête d’une méthode où l’économie de moyens lui permettrait d’atteindre, avec le moins de gestes possible, un cœfficient maximal d’efficacité visuelle. Ainsi, tous les tableaux composant cette série ont un format identique et sont exécutés de la même façon. Sur la toile brute, un apprêt translucide est appliqué. Puis, à l’aide d’un outil utilisé principalement en construction, le cordeau à tracer (une cordelette imprégnée de craie colorée est tendue puis relâchée brusquement pour faire des marquages rectilignes), l’espace est découpé, traversé de lignes qui le jalonnent. Sur ce dessin préparatoire, une seule couche de peinture à l’huile est ensuite appliquée. Les teintes utilisées proviennent toutes d’un mélange similaire de blanc de titane auquel est ajouté, en infime quantité, de l’écru, de la terre d’ombre brûlée, du noir de mars et du bleu de céruléum. Ces couleurs désaturées que l’artiste nomme couleurs nécessaires ne sont pas sans rappeler celles des matériaux de construction (silicone, enduits, colles) choisis normalement pour leur fonction et non leur qualité chromatique. La peinture restante, une fois le tableau terminé, sera conservée et servira de base au mélange coloré du tableau suivant, créant une chaîne souterraine entre chaque élément de la série. Le minimalisme formel et chromatique d’Arpentage empirique est, pour Ivan Lassere, une façon d’appuyer et de donner de l’importance au geste exécuté sur la surface, aussi subtil soit-il, jusqu’à devenir à peine perceptible, se confondant avec la toile, jouant à la fois de la mise en forme et de l’effacement.

—ISABELLE GUIMOND

Né en 1979 dans le Sud-Ouest de la France, Ivan Lassere réside au Québec depuis 2008. Il obtenait en 2011 une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’UQAM. Son travail de peinture et dessin est présent dans plusieurs collections au Québec et en Europe. Il crée en 2017 les évènements Point de rencontre, lieu d’exposition temporaire dans le corridor de son atelier, outil de promotion de son travail et de celui de ses collègues artistes. On a pu voir son travail récemment à La vitrine | Atelier Daigneault-Schofield et à la Galerie Stewart Hall

 

Abonnez-vous au bulletin du Réseau art Actuel