Les tas

Renée Lavaillante et Rodrigue Bélanger, vernissage le vendredi 20 février à 17h à la Galerie B-312

20 février—21 mars 2009

Renée Lavaillante : À tes dépens si tu te perds

La Galerie B-312 est très heureuse de pouvoir présenter dans sa petite salle quelques-uns des dessins de À tes dépens si tu te perds de Renée Lavaillante, un travail qu’elle a conçu alors qu’elle était l’invitée du Musée d’art moderne de Collioure. Renée Lavaillante a commencé par demander à des randonneurs de la région de Collioure de lui décrire de mémoire le trajet d’une de leurs marches. Elle accumula ainsi bon nombre de tracés dont certains allaient servir de profils pour les dessins qu’elle nous présente ici. Ils rappellent un tracé cartographique, un relevé topographique, une coupe géologique ou encore une vue aérienne, mais ils sont surtout le fruit d’une posture de l’artiste envers l’acte même de dessiner. Renée Lavaillante connaît et accepte la charge de tout dessinateur d’être assujetti à l’infernale dualité inhérente au tracement, qui unit jusqu’à n’en plus finir le papier au tracement et le tracement au papier. Celui-ci aura beau varier son geste en interposant, entre le tracement et le papier, tel ou tel modèle, réel ou imaginé, mort ou vivant, relevant d’une idée ou d’un processus, il restera encore l’exécutant de cette diabolique circularité. Telle est, en quelque sorte, l’aporie du dessin. C’est là, au cœur de cette impasse, que le dessin de Renée Lavaillante commence, dès lors que l’artiste refuse de se laisser happer dans une frénésie du tracement, sans toutefois dénier ses incontournables protagonistes : le geste, le support de papier et le modèle qui s’interpose entre eux. C’est au modèle que Renée Lavaillante a choisi de s’abandonner, ou plus exactement, c’est au modèle qu’elle a choisi d’abandonner le tracement. Tout l’enjeu, tout l’art de Renée Lavaillante pourrait-on dire, consistera à trouver le moyen de mettre le modèle au travail, à son insu, car c’est bien dans le regard de Renée Lavaillante qu’il sera d’abord et avant tout au travail. Ainsi en va-t-il dans les dessins de À tes dépens si tu te perds, pour lesquels Renée Lavaillante agit en se laissant guider par une voix dont elle souhaite qu’elle la conduise à saisir un paysage, dont le dessin est la figure d’un désir de voir plus que la représentation d’un quelconque référent. C’est bien là, dans ce rapport dialectique entre actions aveugles et désir de voir, que À tes dépens si tu te perds aura trouvé sa raison d’être.
                                                                                                                                                                   —Jean-Émile Verdier

Rodrigue Bélanger : Les tas

La Galerie B-312 est heureuse d’accueillir dans sa grande salle le plus récent travail de Rodrique Bélanger, une série de photographies représentant une suite de paysages dont on pourrait dire, paradoxalement, qu’ils sont des portraits : portraits d’amoncellements, de monticules, de talus, de saillies, en train de se découper sur un fond neutre. L’ensemble peut laisser penser à une forme de reportage sur un motif récurrent ou encore au déploiement d’une thématique comme il en existe beaucoup dans le domaine de la photographie. Pourtant, d’une image à l’autre, nous pouvons nommer avec certitude la matière ou les matériaux érigés ainsi en tas. Dès lors, le fait photographique porté par une impression de reportage ou à celle d’une exploration thématique s’estompe. Toutes les images sont construites au moyen de l’artifice d’une symétrie latérale, dont l’axe est la médiane verticale de l’image. Chaque photographie rappelle en quelque sorte la mise à plat des images qui se forment quand on juxtapose un miroir et une image, à 90 degrés. L’axe de symétrie peut aussi rappeler le pli laissé dans le papier après qu’on ait rabattu une moitié de la feuille fraîchement chargée d’encre sur l’autre moitié immaculée pour produire ainsi une image parfaitement symétrique. D’une manière ou d’une autre, la construction de l’image met en évidence la planéité du support, qui, du coup, ne manque pas de polariser le plan de l’image et les saillies du paysage, dont nous ne saurions dire si elles sont monumentales ou minuscules. Relief et planéité se répondent ainsi, de même que l’immense et le très petit. Les images semblent aussi valoir pour la composition purement abstraite de deux lignes : l’axe de symétrie et la ligne de crête des amoncellements ; deux lignes de découpe, qui ne manquent pas de suggérer une idée de frontière. Rodrigue Bélanger dynamise sur un mode dialectique les trois niveaux de sens d’une image, à savoir sa lisibilité, sa construction et ses composants formels. Une déterritorialisation de l’image photographique s’ensuit d’autant plus que l’image est manipulée. Du coup, cette déterritorialisation ne nous introduirait-elle pas sur la voie d’une interrogation radicale de la classification de telles images, dès lors qu’elles s’avèrent en partie photographiques, en partie construites, en partie purs jeux de formes et en partie estampes ? Et du même coup, le concept même de photographie ne s’en trouve-t-il pas questionné ?

                                                                                                                                                                                           —Jean-Émile Verdier
 

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