Pétard

La sculpture au pied du mur et Pétard, vernissage le vendredi 9 janvier à 17 h à la Galerie B-312

La Galerie B-312 est heureuse d’accueillir dans sa grande salle La sculpture au pied du mur de Guillaume La Brie. L’exposition est composée de quatre grandes sculptures qui, rapportées les unes aux autres, s’interprètent comme les restes des cloisons d’un logement où les murs auraient été gagnés par une vitalité surréelle. Sous l’effet de celle-ci, ils se seraient déformés par eux-mêmes, s’effondrant ici, se chiffonnant comme une feuille de papier là, chevauchant des meubles, quand ils ne les auraient pas tout simplement incorporés. Un lieu se serait gauchi, imbriquant cloisons, meubles et objets les uns dans les autres. Poussés par le désir de comprendre ce qu’on voit, on s’approche, on contourne, on tente de déplier les amalgames et de reformer ce qui avait été peut-être un petit appartement meublé. La Brie impose ainsi des œuvres où chaque détail se met à compter, de sorte qu’elles engendrent des parcours, pour le regard d’abord, et pour le corps ensuite. On découvrira alors un travail réalisé tout en précision : une minutie à l’œuvre, une application, un soin pour ajuster des formes, pour mimer des matériaux, pour décomposer puis recomposer des volumes, et modeler ainsi un environnement architectural inouï. On reconnaîtra, ici et là, dans les plissures des œuvres, quelques-uns des moments de l’histoire de la sculpture : l’invention du ready-made, le primat du parcours sur la statuaire avec l’avènement de l’installation, les espaces négatifs comme matière à sculpture dont découlera d’ailleurs une accointance de la sculpture et de l’architecture. La Brie réussit ici une véritable synthèse du fait sculptural. Et il suffit d’évoquer les Merzbau de Kurt Schwitters pour rendre raison à l’artiste d’en passer par le motif du mur et se donner ainsi les moyens d’évoquer la chose. Il ne faudra donc pas s’étonner de croiser au détour de sa visite quelque détail évocateur, comme cette copie à échelle réduite de la tête du David de Michel-Ange enserrée entre les mâchoires d’un serre-joint ; serre-joint qui se multiplie pour transpercer de toutes parts les cloisons dont les œuvres sont composées, comme s’ils étaient destinés à les abîmer, quand, simultanément, mais ailleurs, ils sont en train de pincer des parois de verre pour former un des igloos de Mario Merz.—Si Guillaume La Brie plie des cloisons sur elles-mêmes, sur les espaces qu’elles auraient dû circonscrire, sur les meubles que ces espaces auraient pu loger, c’est aussi pour nous donner l’occasion de plier sur lui-même l’espace-temps occidental de la sculpture, et ainsi nous donner accès non pas à une histoire linéaire de la sculpture, mais à la logique intrinsèque de l’art quand elle investit la sculpture : ne pas cesser d’être «l’anarchie de son propre système», pour reprendre les mots de Guillaume La Brie.

Jo-Anne Balcaen
Pétard

La Galerie B-312 a le plaisir d’accueillir dans sa petite salle, Pétard, de Jo-Anne Balcaen. L’exposition réunit trois œuvres, Pétard, Médiator de concert Rob Metallica et Drag. Pétard et Drag intègrent une bande sonore qui n’est audible qu’au moyen d’écouteurs. Dans Pétard, un solo de batterie accompagne les images d’un feu d’artifice. Le musicien a manifestement cherché à traduire les effets pyrotechniques avec des motifs rythmiques clichés. La vidéo est diffusée sur une petite télévision suspendue dans un coin de la salle à hauteur du plafond. La petitesse de l’écran, la qualité modeste des images, la synchronie quasi caricaturale entre la séquence visuelle et la phrase musicale, tout concourt à tourner en dérision l’éclat spectaculaire des effets de synchronisation entre musique et effets visuels dont les spectacles rock usent à volonté. Autant dans Pétard l’artiste réduit la démesure des feux d’artifice à une image vidéo de 15 pouces, autant dans Médiator de concert Rob Metallica elle magnifie un médiator ayant appartenu à Rob Trujillo, le bassiste du groupe Metallica. Le petit objet pourra être examiné sur demande ; autrement, l’artiste en a tiré un agrandissement photographique levant le voile sur la moindre éraflure. L’image est accompagnée d’une description quasi clinique où l’artiste conclut que les traces d’usure, qui parsèment la surface du médiator, ne sont pas dues à l’usage qu’un guitariste aurait pu en avoir fait. Le dispositif de présentation, qui s’apparente à celui d’une preuve d’authenticité, tourne à l’emphase et produit l’effet inverse, soit une défétichisation de l’objet d’abord magnifié. Drag est une petite installation conçue autour d’une bande sonore dont on prend connaissance seul au moyen d’un casque d’écoute, le regard capté par un miroir triangulaire posé au sol. On y entendra la nomenclature de douze effets de guitare électrique, tous caractéristiques de la musique rock. La série est inlassablement répétée, à ceci près cependant, elle est jouée sur une durée un peu plus longue à chaque reprise. Du coup, la sonorité perd petit à petit en puissance, l’ardeur des accords s’estompe, les tonalités s’assourdissent, ce qui ne manque pas de produire la figure d’une lente détumescence de ce qui avait été une série de saillies sonores. Dans Pétard, Jo-Anne Balcaen décentre, déplace, retourne comme un gant la fascination que peuvent engendrer ces situations où, à sentir son corps traversé par une somme de sensations indistinctes, on a l’impression diffuse mais intense d’exister. Elle convoque pour cela quelques-uns des traits de la culture rock auxquels le public, émerveillé, s’arrime le plus souvent, tels l’éclat du spectacle ou la vigueur du musicien aux instruments, et fait allusion à l’idolâtrie qui peut en découler. Ce ne sont pourtant pas ces effets de culture qui sont pris à parti, la chose est humaine ; ce qui l’est moins, ou trop, ce sont toutes ces tentatives de les provoquer aussi délibérément qu’artificiellement, et ceci, à des fins purement marchandes. Dès lors, Jo-Anne Balcaen ne travaillerait-elle pas à ce que l’art s’interpose entre la culture et le commerce, que celui-ci soit idéologique ou simplement mercantile ?
—Jean-Émile Verdier

à surveiller prochain Jeudi tout ouïe
le 22 janvier à 20h : Chantal Dumas et Hélène Prévost

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