Caroline Mauxion, Une enveloppe sans contours

Caroline Mauxion et Teja Gavankar, vernissage le samedi 11 novembre à 15h à Optica

Caroline Mauxion

« Voici la flaque, dit Rhoda, et je ne peux pas la franchir. J’entends la grande meule qui tourne à toute vitesse à moins d’un pouce de ma tête. L’air qu’elle déplace rugit sur mon visage. Toutes les formes de vie tangibles se sont évanouies pour moi. Si je ne tends pas les bras pour toucher quelque chose de dur, le vent m’emportera dans les couloirs de l’éternité pour toujours. Mais alors, qu’est-ce que je peux toucher? Quelle brique, quelle pierre? Et ainsi traverser en me traînant l’immense gouffre pour réintégrer mon corps saine et sauve? »

Virginia Woolf, Les Vagues

Plutôt qu’une pratique de l’image photographique, Caroline Mauxion précise que son travail consiste à pratiquer l’image photographique. Cette nuance est fondamentale, car elle réintègre dans la photographie la notion d’acte et insiste sur la performativité mais aussi la matérialité de l’image, pour laquelle les notions de contact et de déplacement sont primordiales. Les images de Mauxion s’envisagent ainsi comme autant d’essais sur les limites du visible et de l’invisible, de la transparence et de l’opacité, de l’abstraction et de la figuration, de l’ombre et de la lumière.

Le corpus présenté par Mauxion chez OPTICA s’inspire des conditions originelles de la photographie. Par le procédé photographique, qui imprime toute intensité de lumière sur une surface photosensible, des matériaux distincts deviennent proches parents. La plaque de verre fêlée et la flaque d’eau sont des géographies imaginées, des retours constants à l’écriture de Virginia Woolf. La description des espaces entre le tangible et l’intangible dans ses nouvelles et ses romans a guidé le processus créatif de l’artiste. Les œuvres présentées deviennent une réinterprétation d’images récurrentes dans l’écriture woolfienne, s’attardant à rendre visible derrière la « ouate de la vie quotidienne ».

Si Mauxion pratique la photographie, ajoutons également qu’elle l’installe. La plaque de verre, devenue support de l’image photographique, dépend de son installation dans l’espace pour révéler l’image ; au blanc du papier sur lequel viendrait habituellement s’imprimer la photographie se substitue le blanc du mur. Les images deviennent quasi-invisibles pour certaines et se lisent à plusieurs sens pour d’autres, invitant au déplacement du corps. Toutes se forment là où il y a contact.

Auteur : Daniel Fiset

Daniel Fiset est historien de l’art et éducateur. Il vit et
travaille à Montréal.

Originaire de France, Caroline Mauxion vit et travaille à Montréal depuis 2010. Elle fut récipiendaire de la bourse de la Fondation Sylvie et Simon Blais pour la relève en arts visuels (2015). Son travail a fait l’objet de plusieurs expositions individuelles à Montréal, à la galerie Les Territoires (2014), à la galerie Simon Blais, à la Galerie de l’UQAM et à Rimouski, au centre d’artistes Caravansérail. Elle effectuera une résidence à Banff en 2018 soutenue par le CALQ.
   

Teja Gavankar

S’immiscer dans le quotidien et transformer l’espace dans ses traits les plus banals compose le terrain d’action et d’investigation de l’artiste indienne Teja Gavankar. Par la pratique du dessin et de l’intervention in situ, elle négocie les modes d’apparition du territoire afin d’en extraire l’identité et d’en extirper les spécificités. Puisant à même les éléments du paysage construit, devenus communs en raison de leur expérience répétée, elle y fait émerger de nouvelles configurations. Alors que l’artiste a principalement développé des projets in situ dans l’espace urbain, celui présenté au centre OPTICA incarne une première intervention en galerie.

Intéressée par la géométrie et la topologie, Gavankar revisite les éléments architecturaux – les murs, les chaussées, les escaliers et plus récemment le motif du coin – pour en faire les conditions d’émergence d’une expérience, cherchant à rompre la quiétude de leur fonctionnalité, de leur structure et de leurs caractéristiques propres. Très minimales, ces interventions artistiques, tant graphiques que physiques, mettent pourtant en œuvre une force certaine. Elles trafiquent les petites choses, la banalité, afin d’engendrer des subtilités porteuses de grandes ambiguïtés perceptives.

La pratique du dessin de l’artiste prend d’assaut la grille, cet outil-support papier, qui oriente et guide le trait dans un esprit cartésien. De nombreux artistes indiens ont repensé et critiqué les moyens de décrire, de calculer et de mesurer les multiples manifestations qui composent le monde. Associées notamment à la modernité et au colonialisme, ces balises, déployées en Inde lors de l’occupation britannique, ont permis de catégoriser et de créer des topologies des diverses ressources, tant naturelles qu’humaines, retrouvées sur le territoire. Même si Gavankar, tout comme d’autres artistes de la nouvelle génération créative de l’Inde, ne fait pas directement intervenir ces références historiques, son usage de la grille demeure toutefois critique. Il s’agit de s’attaquer aux structures contraignantes et à la rigueur qu’elles imposent. Par endroit, elle fera en sorte de la faire voler en éclat, de privilégier les lignes courbes ainsi que les traits décalés et obliques, en dehors des zones rectilignes, ou d’en radier certains carreaux. Tant de façons de laisser le trait réinventer la ligne et introduire la souplesse dans la rigidité.

Auteure : Julie Alary Lavallée
Julie Alary Lavallée est doctorante en histoire de l’art à l’Université Concordia.
Ses recherches portent sur les expositions collectives d’art contemporain de l’Inde dans un contexte diasporique.

Titulaire d’une maîtrise en arts visuels de la Maharaja Sayajirao University, Baroda (Inde), Teja Gavankar compte un parcours ponctué de nombreuses résidences, dont l’une réalisée en 2014 à la Fonderie Darling (Montréal) grâce au concours de la Inlaks Shivdasani Foundation. En 2016, elle prenait part à l’exposition Young Subcontinent (Serendipity Art Festival, Inde). Elle vit et travaille à Bombay.

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