Yan Giguère et Gwenaël Bélanger, vernissage le jeudi 14 mars à 20h à Clark

La salle principale du centre CLARK accueille plus de 300 photographies de différentes tailles, agencées au mur afin de produire des séquences extrêmement denses. Il s’agit du nouveau projet de Yan Giguère, Visites libres (2013), qui explore la thématique de l’habitat en prenant en compte ses multiples significations, qui concernent à la fois la vie animale, végétale et humaine. Montées sur des cadres en bois de différentes épaisseurs, les épreuves photographiques deviennent des volumes au mur, mode de présentation qui sied bien au thème abordé, ajoutant du relief au paysage esquissé. S’y trouvent par exemple des images de nid de guêpes, de ruche, d’escargot traînant sa coquille, parsemées à travers une multitude de lieux extérieurs et intérieurs au sein desquels l’œil organise un parcours, entrant et sortant des espaces au gré du rythme imposé par la juxtaposition des différents clichés. Peuplés de personnages, les lieux acquièrent une tonalité affective qui stimule l’imaginaire. On se surprend ainsi à tenter des rapprochements entre individus portraiturés et milieux de vie, imaginant à qui pourraient correspondre les intérieurs exhibés. Présentés de telles sortes qu’ils évoquent de longs flux d’images – chacune des photographies composant les séquences se touchant les unes les autres –, les regroupements effectués par l’artiste installent plusieurs atmosphères, la ruralité, l’urbanité, l’étrangeté et la précarité, qui, plutôt que d’être mises en opposition, conduisent les unes aux autres.

Une narration libre autour de l’idée de mobilité prend forme, les images de bandes d’oies s’élançant dans le ciel en route vers un ailleurs, les abris précaires et la charpente d’une habitation en état d’entre-deux, à cheval entre l’édification et la déconstruction, pointant incontestablement dans cette direction. Ce thème est aussi alimenté par la présence, à travers les photographies rendues difficiles à situer temporellement à cause de leurs diverses factures matérielles – les clichés ayant été pris à l’aide de plusieurs types d’appareils photographiques –, de réelles photographies anciennes, des portraits de familles pour la plupart, croqués dans un milieu rural. Une boucle narrative et temporelle s’ouvrant et se refermant sur des séquences liées à la ruralité, après un passage par la ville, qu’on reconnaît à ses édifices mais également à sa densité, à ses foules et à ses abris de fortune, fait le constat difficile des tensions que la cohabitation et la proximité peuvent engendrer. Plus fort que dans les œuvres précédentes, le sentiment qu’un cycle est ici présenté s’impose au spectateur, qui découvre, coexistant sur un même plan, des portraits montrant différentes générations. L’idée de la lignée, dont la réalité ne nous apparaît concrètement que grâce aux objets photographiques matériels qui en témoignent et perdurent dans le temps, s’inscrit ainsi en toile de fond du projet. Cela dit, comme pour chacune des constellations précédentes créées par Giguère, la narration reste toujours ouverte, et de multiples entrées sont possibles dans les univers proposés par l’artiste, qui compose ses agencements davantage à l’aide d’associations libres et d’échos formels repérés entre les images que dans l’objectif de tisser un fil narratif linéaire. Les petites images appuyées sur le rebord des volumes photographiques, donnant l’impression de pouvoir être déplacées à tout moment, ajoutent à cette idée que ce tout contient, en latence, un potentiel infini d’histoires.

Yan Giguère tient à remercier Marie Claude Bouthillier, Peter King, Natacha Chamko, Rodrigue Bélanger, Le Centre Vu, L’équipe du Centre Clark et le Conseil des arts et des lettres du Québec.
www.yangiguere.com

 

Gwenaël Bélanger
Breakdown

Pensée comme une suite au projet photographique 100, rue Blainville Ouest (2009), Breakdown (2008-2013), œuvre récente de Gwenaël Bélanger, est un court métrage d’animation 3D présentant dans un long plan séquence la même maison en chute libre, se désagrégeant tout au long d’un parcours dont l’issue nous est épargnée. Expérimentant depuis 2003 avec, entre autres, les paramètres de la gravité pour mettre en question le statut de l’image – son rapport au temps, au mouvement, à la narration, au hors-champ, etc., Bélanger use ici de fragmentation pour parler plus directement de construction de l’image, ainsi que du rapport que cette dernière entretient avec le réel – la modélisation et l’animation 3D étant des processus lourds et exigeants consistant à produire, le plus fidèlement possible, des situations crédibles. Alors que la vidéo et la photographie sont des outils de captation du réel, le médium choisi ici par l’artiste n’entretient qu’un rapport de correspondance avec l’univers qu’il tente d’évoquer en le créant de toutes pièces. Techniques employées davantage dans le domaine de la publicité etdu cinéma, la modélisation et l’animation 3D, bienqu’elles servent ici à créer une image forte attisant l’imaginaire en titillant notre faculté d’anticipation, se voient détournées de leur visée spectaculaire puisque le climax de la scène, véritable apothéose de la séquence, est continuellement différé. En effet, contrairement à l’œuvre Le Tournis (2008), où la chute silencieuse des miroirs nous amenait à imaginer l’impact, causant une véritable explosion de l’image dans un tintamarre sonore, Breakdown nous fait entendre le moment du plongeon, caractérisé par la friction de l’air provoquant la déconstruction progressive de l’habitation, qui disparaît sans jamais atteindre le sol.

 

Abonnez-vous au bulletin du Réseau art Actuel