Une lettre ouverte: Entre développement numérique et vitalité artistique

Une lettre ouverte : Entre développement numérique et vitalité artistique

par mammouth

Montréal, 6 avril 2017

À l’attention des honorables Mélanie Joly de Patrimoine canadien, Luc Fortin du Ministère de la Culture et des Communications du Québec, Denis Coderre de la Ville de Montréal, Simon Brault et Pierre Lassonde du Conseil des arts du Canada, Anne-Marie Jean et Marie Côté du Conseil des arts et des lettres du Québec, Jan-Fryderyk Pleszczynski et Nathalie Maillé du Conseil des arts de Montréal;

Dans la foulée du Forum des innovations culturelles de la Semaine Numérique de Québec, du Sommet sur les arts à l’ère du numérique organisé par le Conseil des arts du Canada, du Forum numérique de la Bourse Rideau, de la publication de différents rapports en lien avec le virage numérique[1] et de l’articulation de nombreuses nouvelles politiques culturelles, nous souhaitons exprimer des préoccupations et réflexions partagées par plusieurs professionnelles et professionnels du milieu artistique.

Considérant que :

L’intérêt des artistes pour les nouvelles technologies ne date pas d’hier (pensons à Loïe Fuller dès la fin du 19e siècle) : aller à la rencontre de ce qui compose le monde, incluant ses technologies, fait partie intégrante d’une démarche artistique;

Le numérique est déjà présent dans toutes les disciplines artistiques et dans tous les secteurs du milieu (recherche, création, diffusion, communications, réseautage); d’ailleurs, les artistes et organismes se disent généralement très à l’aise face au numérique[2];

Un rapport de force économique inégal existe entre les milieux professionnels artistiques et numériques, un rapport qui mine leur collaboration: le revenu annuel moyen des artistes représente moins de la moitié de celui des programmeurs et autres concepteurs de plateformes et systèmes informatiques;

Ce clivage a tendance à s’accroître à mesure que sont bonifiées ou créées des enveloppes dédiées au développement du numérique en arts en l’absence d’une augmentation substantielle et nécessaire des enveloppes dédiées au soutien à la création artistique;

Le numérique n’est ni une panacée ni une fin : c’est un outil pertinent que doit s’approprier le milieu artistique, mais qui ne résout nullement ses problèmes de précarité criants[3];

Nous proposons :

Que le virage numérique et son financement ne soient pas envisagés et réfléchis séparément de la précarité d’emploi et de la pauvreté économique dont font l’expérience un grand pourcentage d’artistes, de travailleuses et travailleurs de l’art;

Que les montants investis dans ce virage numérique n’invisibilisent pas les besoins criants à court-terme dans les enveloppes dédiées au soutien à la recherche, à la création, à la production, à la diffusion et à l’administration des arts[4];

Que les questions d’inclusion et de diversité, ainsi que les questions genrées en lien avec le virage numérique soient documentées et traitées adéquatement, afin de déceler les discriminations à l’égard des personnes racisées, des femmes et des personnes marginalisées que le développement du numérique en arts peut engendrer;

Que les notions d’innovation technologique et d’innovation artistique soient distinguées – la première relevant du développement de dispositifs et la deuxième du déploiement d’une parole singulière et d’un regard sensible sur le monde – et qu’un financement adéquat soit prévu pour l’une et l’autre.

Il ne s’agit pas de résister au virage numérique ni de bouder notre plaisir à faire évoluer le milieu artistique grâce aux nouvelles technologies, mais de manifester nos inquiétudes face à l’état actuel du financement des arts. Nous refusons de voir nos situations économiques, artistiques, psychologiques et relationnelles battre de l’aile tandis que de multiples investissements sont faits dans le virage numérique. Il importe de s’attaquer sans délais au problème de la précarité d’emploi et de la rémunération adéquate des artistes, travailleuses et travailleurs de l’art, afin de protéger la vitalité de la culture.

Nous attendons des gouvernements, dirigeants et décideurs, conseils des arts et bailleurs de fonds publics qu’ils s’engagent dès maintenant à aborder le virage numérique comme un élément indispensable au développement du milieu artistique, mais néanmoins indissociable de réalités extrêmement précaires dans tous les secteurs des arts, lesquelles nécessitent d’urgence un soutien adéquat. 

lemammouth.org/2017/04/06/lettre-ouverte-entre-developpement-numerique-et-vitalite-artistique/

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