Un texte de Jocelyn Fiset sur le manque de visibilité des arts visuels dans les médias

Invisibilité manifeste des arts visuels

Jocelyn Fiset
Peintre

Le journal Le devoir:
Édition du vendredi 1er septembre 2006

La façon actuelle de rédiger les chroniques en arts visuels dans les médias imprimés est plus que centenaire. Elle date d’une époque où on décrivait longuement le sujet afin de remplir la page de mots car on pouvait à peine imprimer une image. Le journaliste d’alors, tel un Balzac du quotidien, rendait compte par le menu détail de ce que le lecteur ne pouvait pas voir lors d’une exposition.

De nos jours, ces petites manières de faire ne créent plus l’événement, ne répondent plus à nos besoins et se foutent même royalement de notre gueule, ce qui a pour conséquence l’invisibilité grandissante des arts visuels dans les principaux médias au Québec.

Le rapt technologique

Depuis qu’elle existe, l’industrie des médias imprimés investit régulièrement des sommes colossales dans l’amélioration des techniques de fabrication du papier et des méthodes d’impression ainsi que, depuis peu, dans la fameuse révolution numérique qui facilite de façon presque magique la manipulation des images, du texte et de la couleur.

Au cours des cinq dernières années, il n’y a pas un quotidien qui n’ait investi temps et argent afin de rénover sa mise en page de manière à en aérer le contenu, en faciliter la lecture et en faire un meilleur objet de consommation destiné nécessairement à être plus compétitif devant la télévision et Internet.

Les nouvelles technologies ont permis à nos quotidiens de produire une impression de réalisme aussi forte qu’on nous le montre dans les annonces à la télé, à grand renfort d’effet spéciaux, où le lecteur ouvre son journal et plonge littéralement dans l’actualité !

Impossible de le nier, l’esthétisme de ces journaux est sans pareil, et leur impact est tel qu’on croirait tenir entre les mains une véritable oeuvre d’art. En fait, le journal est le chef-d’oeuvre !

Qu’il s’agisse du Devoir, de La Presse ou du Journal de Montréal, les différents cahiers d’information de ces journaux (voyages, décoration, design, cinéma) bénéficient des meilleures techniques de reproductions, apparemment sans aucune restriction quant à l’utilisation de photos ou même de la couleur.

Mais rien de tel pour les arts visuels !

Pourtant, la couleur n’est-elle pas à la fois un des éléments essentiels à la création d’une oeuvre d’art et la matière première nécessaire à la reproduction mécanique de cette même oeuvre, en tonnes de copies, dans un journal ?

Recul global

De la couleur au quotidien dans un journal à la présence de l’art au quotidien dans la société, il n’y a qu’un tout petit pas. Malheureusement, au lieu d’assister à une petite révolution culturelle qui devenait technologiquement possible, nous assistons à un recul global quant à la place des arts visuels dans tous les médias imprimés de masse.

Malgré le fait que tous nos grands journaux possèdent une section «arts et spectacles», celle-ci ne rend jamais compte, ou de manière si anachronique, des expositions de peinture ou de sculpture et encore moins d’art relationnel, d’installation ou de performance.

Ainsi, le public d’ici ne connaît pas ses vedettes des arts visuels; il ne les voit pas, ni en couleur, ni même en noir et blanc.

Comment est-il possible que ces mêmes journaux nous tiennent informés, parfois jusqu’à saturation, au sujet de toutes les vedettes, mineures et majeures, dans tous les autres domaines de la société, qu’il s’agisse d’acteurs, de chanteurs, de sportifs, voire de politiciens, et que personne ne nous donne d’information sur les meilleurs artistes parmi les sculpteurs, peintres, installateurs ou performeurs actuels ?

Qu’auriez-vous pensé si nos médias avaient passé sous silence les excellentes performances de nos athlètes lors des derniers Jeux olympiques d’hiver ? Ne vous seriez-vous pas senti privé de certains éléments essentiels au renforcement de votre fierté collective, de votre identité nationale ?

Alors, pourquoi vous prive-t-on de centaines de raisons supplémentaires d’être fier de votre appartenance à la société québécoise en passant sous silence les meilleures performances de vos artistes visuels, sur la scène tant locale qu’internationale ? Chaque année, des dizaines d’artistes visuels vont rendre compte, dans le monde entier, de la grande diversité et de la richesse de la création qui se fait au Québec, alors qu’ici, ils croupissent dans l’anonymat, ignorés du grand public.

Curieuse destinée que celle des artistes. Au fil des âges, ils sont parmi ceux qui ont le plus contribué au développement des technologies de fabrication du papier, de la couleur et de la photographie, alors que sur le plan médiatique, ce sont eux qui en profitent le moins. Quelle poisse !

Dans les médias électroniques…

Il n’y a pas si longtemps, on a annoncé la mort de Guido Molinari. À la télé, la lectrice du bulletin de nouvelles a eu beau prendre tout le ton solennel qu’il faut en de pareilles circonstances pour nous convaincre que Molinari était un des plus grands artistes du Québec, cela sonnait faux. Le citoyen ordinaire possède assez peu de connaissances sur l’artiste pour pouvoir confirmer qu’il était parmi les plus grands créateurs de chez nous. On imagine facilement la majorité des téléspectateurs se demandant d’où pouvait sortir ce peintre. On imagine aussi que la plupart des gens vont prendre cette information pour du cash parce qu’ils font confiance au journal télévisé.

Tout de même, ça prend un sacré culot pour affirmer, en plein journal télévisé, que Molinari est un grand artiste alors que jamais cette même machine à nouvelles n’a eu le courage de faire régulièrement un topo sur l’évolution de son oeuvre pour le prouver. Jamais la télé n’a fait le travail de faciliter l’intégration de son oeuvre dans la réalité de chaque Québécois. Molinari et tous les artistes visuels actuels, même désastre culturel !

La mémoire d’un peuple

L’absence chronique de nos vedettes des arts visuels dans les médias de diffusion de masse aura comme conséquence grave plusieurs trous dans notre mémoire collective. Un véritable alzheimer social ! Comme si notre société était assez autonome, assez suffisante et assez riche identitairement pour qu’elle puisse se permettre de gaspiller impunément certaines de ses références les plus pertinentes.

Qui plus est, il est inconcevable, impardonnable, inimaginable et invraisemblable que l’on prive les artistes du désir le plus noble de marquer l’imaginaire de leurs contemporains. On prive les artistes de leur droit le plus strict de contribuer à l’édification de leur société.

Inversement, par une inconscience des plus évidentes, la société se prive de références et d’imaginaires essentiels à sa saine et complète régénération. Régénération de son identité nationale ainsi que d’une mythologie à son image.

Pire que le piratage qui sévit dans le domaine de la chanson, les arts visuels vivent l’invisibilité globale !

On ne peut pas demander aux artistes de tout faire, d’être à la fois créateurs d’une oeuvre unique et originale, ensuite d’en faire eux-même la promotion et d’en assurer la pérennité. Voilà pourquoi une courroie de transmission de masse est nécessaire.

L’artiste n’est pas seul responsable de la finalité de son oeuvre ni de l’insertion de celle-ci dans l’histoire et l’imaginaire collectif de son peuple.

http://www.ledevoir.com/2006/09/01/117173.html

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