Trois réflexions sur le travail de la « transformation numérique »

Il y a bientôt trois ans était lancé le Réseau ADN, un projet audacieux du ministère de la Culture et des Communications avec ses partenaires : le CALQ, la SODEC et BAnQ. Ce réseau formé de plus d’une quarantaine d’agentes et d’agents répartis dans les équipes d’organismes culturels à l’échelle de la province avait comme objectif d’accompagner le milieu dans une transformation numérique. Je partage, dans le cadre de cette chronique, trois pistes de réflexion tirées de la pratique de ce nouveau métier avec le RCAAQ et le REPAIRE.

Note 1 : durée et durabilité 

La première considération qui me revient toujours à l’esprit porte sur la notion de durée. Tout travail de transformation gagne à être abordé dans la perspective d’un temps plus long. Le travail de transformation numérique, plus particulièrement, est assujetti aux évolutions rapides des technologies et s’inscrit dans un contexte marqué par tant de possibilités et de failles (obsolescence programmée, monopole des géants du web, capitalisme de surveillance, impact environnemental) qu’il est judicieux d’adopter une perspective dépassant l’immédiateté pour l’aborder et le planifier (voir à ce sujet le diagnostic de maturité numérique de 0/1 Hub numérique de l’Estrie et du Réseau ADN, un outil d’aide à l’évaluation des besoins et à la planification de la transformation numérique). Il est néanmoins complexe pour la plupart des organismes culturels d’orchestrer une transformation numérique théoriquement perpétuelle, tandis que plusieurs facteurs, tels que les financements ponctuels accordés par projets et le roulement d’employé.e.s dans les équipes, contribuent plutôt à maintenir une certaine précarité dans le milieu. Devant ce constat, il est possible de moduler ses attentes et de se mobiliser pour chercher ou faire valoir des pistes de solutions à explorer.

Le Réseau ADN est justement une expérimentation développée afin de répondre à un besoin de ressources dans le milieu culturel pour se saisir de ces enjeux. Cette expérimentation nous révèle par la pratique qu’il serait souhaitable que certaines expertises en technologies numériques puissent être intégrées dans les équipes des organismes de manière durable et que d’autres expertises puissent être convoquées ponctuellement, selon les projets et les besoins plus spécifiques. Il y a là matière à penser du côté de la volonté politique et des soutiens au fonctionnement des organismes, de même que du côté des compétences qui gagneraient à être développées et retenues auprès des travailleurs et travailleuses culturels.

Note 2 : partage 

La seconde réflexion porte sur les notions d’ouverture et de collaboration, qui forment à mon avis la grande force du Réseau ADN. La circulation fluide de l’information dans des lieux et des moments spécifiquement aménagés à cet effet a participé à une mobilisation soutenue sur les enjeux du numérique et à l’éclosion de nombreux partenariats et autres associations informelles. Un travail de documentation des apprentissages et des réalisations est d’ailleurs en cours au sein du Réseau ADN, dans le cadre d’un mandat de transfert de connaissances. Cette opération se matérialisera notamment à travers la publication d’un site web (wiki) à l’hiver 2022.

Le partage du travail de veille, d’expérimentation et d’apprentissage est un modèle extrêmement intéressant dans le contexte d’évolution rapide des technologies nommé plus haut. Les regroupements tels que le RCAAQ et le REPAIRE jouent d’ailleurs ce rôle important lorsqu’ils créent des occasions de rencontre et de réflexions pour leurs membres. On peut penser à ce titre aux forums (Façonner le numérique : l’empreinte des centres d’artistes, L’intelligence artificielle dans le milieu des arts médiatiques, de l’industrie et du savoir), aux causeries (Pratiques artistiques, mémoires et réseaux sociaux, Prendre position. Écologie, technologie et pratiques artistiques en arts médiatiques), aux ateliers (Ateliers Wiki x arts actuels, Ateliers d’archivage du web) et aux formations organisées pour notre milieu (Introduction à la gestion des archives numériques, Initiation aux métadonnées, la découvrabilité des œuvres en arts médiatiques), de même qu’à l’Enquête sur les besoins numériques des centres d’artistes autogérés du Québec. Il sera toujours pertinent de cultiver ces espaces d’échange et cet esprit de collaboration entre régions, secteurs, individus et organismes et nous poursuivrons cet effort.

Note 3 : discernement 

Enfin, la dernière note que je souhaite partager s’inscrit en complément à l’idée de circulation de l’information. Si je crois fermement qu’il est avantageux et souhaitable de partager nos bonnes pratiques avec ouverture, j’ajoute que l’exercice parallèle du discernement est primordial. Nous assistons parfois à des effets de mode ou d’entraînement, lorsque certains concepts ou certaines technologies sont largement discutés et diffusés. Il reste important de se renseigner sur l’objet en question et d’évaluer sa pertinence dans le contexte que nous occupons.

Cette notion de développement de l’esprit critique vient en quelque sorte boucler le fil de mes réflexions en nous ramenant à la question du temps. Briser l’image du retard à rattraper ou de la course à la nouveauté pour plutôt inscrire sa transformation numérique dans la durée m’apparaît comme une voie porteuse, car elle invite à aménager des moments pour la réflexion. Prendre un temps pour échanger, se renseigner et exercer son discernement est l’un des fondements qui devraient nous permettre d’aborder la transformation numérique de manière durable.

À bientôt,

Isabelle L’Heureux

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