Protestation du RCAAQ contre la disparition de la Chaîne culturelle

Montréal, le 3 décembre 2004

Monsieur Robert Rabinovitch
Président-directeur général
Société Radio-Canada
C.P. 6000, succ. centre-ville
Montréal (Québec)
H3C 3A8

Objet : disparition de la Chaîne culturelle

Monsieur le Président-directeur général,

La Société Radio-Canada a choisi au mois de septembre dernier d’abolir sa Chaîne culturelle pour la remplacer par Espace Musiques. Ce choix nous apparaît très contestable à plusieurs points de vue. Ce geste sans précédent est teinté d’anti-intellectualisme, car vos services ont mis fin à une collaboration de dizaines d’années entre les organismes culturels et des dizaines de milliers d’auditeurs. En effet, c’est par la Chaîne culturelle qu’étaient diffusées une grande partie des informations mobilisatrices de notre milieu, notamment par le canal d’Info-Culture. D’autre part, toute information sur les arts visuels, la musique actuelle, la littérature ont définitivement disparues. Quant aux émissions de recherche sur le médium radio, il faudra en faire notre deuil.

Le monde intellectuel du Québec et du Canada vient de perdre un partenaire majeur. Toutes celles et tous ceux qui écoutaient cette radio, précisément parce qu’elle s’adressait à des publics adultes passionnés de connaissances transmises par le canal de l’oreille, regrettent infiniment votre décision incompréhensible.

Il est faux de prétendre que le Québec et le Canada avaient besoin d’une chaîne exclusivement consacrée à la musique alors que précisément on y entendra moins de cette musique qui intéressait les auditeurs de la Chaîne culturelle. Quel besoin avons-nous d’entendre plus de chansons, plus de jazz, plus de musiques du mondes et surtout pourquoi moins de musique classique ou de musique actuelle? Pourquoi nous faire entendre ce qu’on peut déjà écouter à satiété à Musique Plus, à CIBL ou au nouveau canal Jazz et musiques du monde (91,9)? Pourquoi Radio-Canada a-t-elle renoncé à faire entendre un son toujours neuf et à nous présenter de nouveaux enregistrements accompagnés des commentaires explicatifs pertinents et nécessaires?

Pourquoi ne pouvons-nous plus entendre d’émissions savantes sur des sujets qui demandent un traitement de longue durée? Radio-Canada écarte les savants, les intellectuels, les écrivains, les artistes, les philosophes, les scientifiques, les penseurs et toutes celles et ceux pour qui la perspective de recevoir une information fouillée, loin de la facilité et du sensationnalisme, était un sujet de bonheur et de rares satisfactions. Qui va traiter des arts visuels : Raymond Cloutier et Franco Nuovo? C’est bien de le faire dans l’esprit de la Première Chaîne : brèves présentations, courtes discussions, rapides tours de table. Mais après? Que retirons-nous d’apprendre ce qu’on sait déjà, quand on fait partie du milieu artistique? La Chaîne culturelle remplissait essentiellement ce rôle d’informer ce public exigeant que Radio-Canada annule d’un coup d’éventail.

C’est nous flouer que de tenter de nous faire croire que la même information se retrouve à la Première Chaîne. Traiter un sujet en vingt minutes, c’est surtout de la vulgarisation : on n’approfondit rien, on se contente d’effleurer. Que la Première Chaîne décide enfin de diffuser une certaine somme d’information culturelle et artistique ne comble aucunement les besoins que dispensait la Chaîne culturelle. Votre campagne médiatique pour lancer Espace Musiques était tout à fait méprisante envers de fidèles auditeurs qui n’en demandaient pas tant alors que la disparition des bulletins de nouvelles horaires les condamne à l’ignorance et au silence radio.

Pourquoi le Québec doit-il renoncer à une Chaîne culturelle, là où le public anglophone conserve la sienne? Faut-il encore faire des économies pour améliorer le service anglophone, déjà largement sur-financé en regard des services français? Les francophones sont-ils les parents pauvres de la radio d’État? Nous souhaitons, au Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec, que votre réponse apporte les véritables éclaircissements que nous en attendons. Autrement dit, nous ne nous contenterons pas d’apprendre que l’augmentation du nombre des auditeurs justifie tout, ni que l’accès de nouveaux groupes francophones à Espace Musiques nous fera tolérer la mesure aberrante que vous avez endossée en abolissant cet organe radiophonique unique et quasi patrimonial, voué à la diffusion des connaissances et à la recherche.

Veuillez accepter nos salutations les plus sincères.

Bastien Gilbert
Directeur général

c.c. Madame Carole Taylor, O.C., présidente du Conseil d’administration

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