Pour devenir une métropole tout court et culturelle, voici un rappel d’un texte essentiel de Jane Jacobs, la grande urbaniste torontoise

(1ère partie)

Le Québec à l’heure du choix entre la souveraineté du Québec ou le déclin de Montréal!

Robin Philpot
Auteur du Référendum volé (Intouchables 2005) et
futur candidat du Parti Québécois dans la circonscription
de Saint-Henri-Sainte-Anne, à Montréal.

Commentant le livre de Jane Jacobs sur la souveraineté du Québec, l’architecte Joseph Baker a écrit dans The Gazette le 22 mars 1980: » Si j’étais René Lévesque, j’achèterais tous les exemplaires du livre de Jane Jacobs et je le distribuerais gratuitement à l’ouest du boulevard Saint-Laurent. Aussi, je le traduirais et je retirerais le Livre blanc. » C’était deux mois avant le référendum de 1980.

En quoi la pensée de Jane Jacobs, grande urbaniste décédée en avril 2006, est-elle si originale qu’elle amène cet éminent citoyen originaire de Westmount et futur président de l’Ordre des architectes du Québec à faire une telle proposition ? Aussi, sa pensée et son œuvre sont-elles encore d’actualité en 2006?

Dans The Question of Separatism, Quebec and the Struggle over Sovereignty Association, Mme Jacobs affirme que la prospérité et l’essor de Montréal passent nécessairement par la souveraineté du Québec. Sans cette souveraineté politique, Montréal perdrait son rôle de métropole et serait appelé à devenir un satellite de Toronto, son économie étant inféodée à celle d’une » métropole canadienne «. Tout le Québec en sera perdant. Montréal jouerait le même rôle par rapport à Toronto que Lyon joue pour Paris, Glasgow pour Londres, Melbourne pour Sydney, bref une ville qui reçoit la portion congrue que veut bien lui accorder la grande ville métropolitaine.

Pour être d’actualité, on ne peut demander mieux. Il ne passe pas une semaine sans qu’un tel économiste ou un tel commentateur ne s’épanche dans les journaux du Québec sur le triste sort de Montréal, sans pour autant proposer de solutions valables. La faute serait les groupes populaires, l’instabilité politique, notre manque d’audace collectif, notre fardeau fiscal, et j’en passe.

Pourtant, la plus importante urbaniste du 20e siècle, Jane Jacobs, a écrit dès 1980 : » Montréal ne peut se permettre de se comporter comme d’autres villes régionales au Canada sans causer un tort énorme au bien-être de tous les Québécois. Montréal doit devenir un centre économique créateur en soi. Cela veut dire que Montréal doit créer de nouvelles entreprises, dont certaines produiront une vaste gamme de produits, aujourd’hui importés d’autres pays ou de d’autres régions du Canada…

» Or, il n’y a probablement aucune chance que cela se produise tant que le Québec demeurera une province du Canada, poursuit-elle. Les banquiers, politiciens et fonctionnaires canadiens, captifs de l’enchantement de l’exploitation des ressources naturelles, des succursales clé en main et des projets technologiques grandioses, ne pourront pas répondre aux demandes économiques très différentes de Montréal. Les croyances et les pratiques partagées au Canada ne changeront pas seulement parce qu’une ville, Montréal, et une province, le Québec, ont un besoin criant de changement. »

» Les Québécois semblent ignorer la nature du problème qui s’annonce, et considérant les idées reçues à ce sujet, il est possible qu’ils ne viennent pas à la saisir. Toutefois, ils s’apercevront d’une chose: tout ne tourne pas rond.

» C’est pour cela que la question de la souveraineté ne s’évaporera de sitôt… On peut s’attendre à ce que cette question revienne constamment dans les années à venir jusqu’au moment où elle sera réglée, soit lorsque le Canada aura accepté que le Québec devienne souverain ou lorsque les Québécois auront accepté le déclin de Montréal, en s’y résignent et en en acceptant les conséquences. «

La question est bien posée : ou bien le Québec sera souverain ou bien les Québécois doivent se résigner au déclin de Montréal et à toutes les conséquences.
Jane Jacobs a écrit cela en 1980 et elle me l’a répété en entrevue en mai 2005. D’aucuns prétendent que, en prenant position en faveur de la souveraineté en 1980, Jane Jacobs a fait un petit détour dans un domaine secondaire, s’éloignant, le temps d’un livre, du sujet principal de son œuvre, les villes et l’économie de celles-ci. (La coterie de flagorneurs de Jane Jacobs, à Toronto, auraient bien voulu qu’il en soit ainsi, et c’est probablement pour cela que le livre sur le Québec est le seul de Jane Jacobs jamais réédité.) Mais rien n’est moins vrai. Sa position sur le Québec est en droite ligne avec l’ensemble de son œuvre, autant par le contenu et le poids des arguments qui s’y trouvent que par sa volonté de déranger le ronron des adeptes de la pensée unique qui, selon elle, peuplent certains milieux médiatiques et universitaires.

Son livre sur le Québec est la suite logique et nécessaire de ces deux livres précédents, Déclin et survie des grandes villes américaines (1961) et The Economy of Cities (1968). Le premier a révolutionné les études urbaines dans le monde entier. Championne de la mixité urbaine, sociale et économique, non pas par altruisme mais au nom de la vitalité économique, elle y a démontré que la grande majorité des planificateurs urbains méprisaient tout ce qui était urbain, n’affectionnaient que la campagne et les paysages bucoliques qu’ils voulaient recréer en ville et ignoraient totalement les sources de vitalité d’une grande ville. 45 ans après sa parution, cet ouvrage mérite encore d’être un livre de chevet de tout urbaniste sérieux.

Elle a approfondi l’étude de l’économie des villes dans son deuxième livre, en 1968, en expliquant notamment pourquoi les agglomérations urbaines connaissaient une croissance exponentielle, ce que personne n’avait prévu, et en suggérant des pistes de développement. Elle y prévoyait déjà l’énorme potentiel économique du recyclage des déchets urbain, domaine hélas encore trop peu développé.

Vient ensuite son livre sur le Québec. La radio de CBC lui avait offert la tribune prestigieuse de la série radiophonique intitulée The Massey Lectures. Libre de choisir son sujet, Jane Jacobs a intitulé la série Canadian Cities and Sovereignty-Association, ce qui deviendrait le cœur de son livre sur le Québec. Sans la recherche et la réflexion sur le cas concret de Montréal, Québec, et de Toronto, Canada, elle n’aurait jamais pu écrire son autre ouvrage phare Les villes et la richesse des nations (1984). Dans ce livre, elle démontre l’effet terrible de démobilisation et de ralentissement économique de villes importantes, comme Montréal, qui doivent se plier aux exigences d’une logique » nationale » et d’une métropole dite nationale.

Demain nous verrons si ses prévisions étaient justes.


(2e partie)

Le Québec à l’heure du choix entre la souveraineté du Québec ou le déclin de Montréal!

Robin Philpot
Auteur du Référendum volé (Intouchables 2005) et
futur candidat du Parti Québécois dans la circonscription
de Saint-Henri-Sainte-Anne, à Montréal.

Qu’en est-il des prévisions de Jane Jacobs en 1980 quant au déclin Montréal au profit de Toronto?

Mirabel et la saga des Aéroports de Montréal donnent sans doute l’image la plus saisissante de la régionalisation de Montréal et de son inféodation à Toronto. À la fin des années 1960, Pierre Trudeau a annoncé que Montréal serait » la porte d’entrée du trafic aérien au Canada et géant du transport à 60 minutes de vol de New York, trois heures de Nassau, six heures de Paris, Bruxelles ou Madrid.» Or suite à des décisions politiques du transporteur » national «, avalisées par le gouvernement du Canada, Toronto, dont l’aéroport s’appelle Pearson, est devenu cette » porte d’entrée » tant vantée, et Montréal, dont l’aéroport s’appelle Trudeau – juste retour des choses -, est totalement insignifiant pour le transport aérien, n’étant qu’un satellite desservant la » métropole canadienne «.

Image saisissante, mais elle est aussi la pointe d’un iceberg. La liste des domaines où Montréal et tout le Québec doivent se plier aux impératifs et aux besoins de la métropole canadienne est longue et troublante. Elle va de la fuite des sièges sociaux, au cinéma et à la culture, en passant par la bourse et les marchés financiers, les sciences biomédicales, l’énergie, l’agro-alimentaire et autres.

Commentant les données du Fraser Institute sur les sièges sociaux dans les grandes villes canadiennes, le chroniqueur de The Gazette, Henry Aubin, notait récemment que » malgré la stabilité politique au Québec «, les sièges sociaux quittent Montréal de plus en plus, alors que Toronto et Calgary en attirent. L’explication de l’instabilité politique ne tenant plus, la raison doit se trouver ailleurs. Jane Jacobs y aurait vu s’opérer la logique » nationale » implacable du Canada.

Quatre ans après le référendum de 1995, Montréal perd, presque entièrement, sa bourse au nom d’une réorganisation qui lui laisse, toutefois, l’exclusivité des produits dérivés pendant dix ans. Six ans plus tard, vu le succès de Montréal dans ce domaine, Toronto tente coûte que coûte de mettre la main sur ce domaine » exclusif » de Montréal, tout en menaçant de se lancer dans les produits dérivés si les dirigeants de Montréal ne mordent pas à l’hameçon qui leur est tendu. La même tendance se dessine dans la réglementation des marchés financiers. En juin 2006, un comité, mandaté par un ministre du gouvernement ontarien, recommande la création d’un seul organisme » national » pour réglementer les marchés financiers au Canada, éliminant du même coup l’Autorité des marchés financiers du Québec (www.panelcrawford.ca). Jim Flaherty, actuel ministre des Finances du Canada mais aussi ancien ministre des Finances de l’Ontario, saisit la balle au bond et, au nom de notre économie » nationale «, appuie la création d’un organisme national de réglementation, qui serait nécessairement à Toronto.

Le cinéma et la culture en général, en plus d’être des cartes de visites internationales remarquables, sont devenus, pour le Québec, des moteurs économiques et identitaires importants. Mais les deux sont assujettis à des règles de financement et de promotion établies en tenant compte d’une économie canadienne dans laquelle ils jouent, proportionnellement, un rôle à peu près aussi important que celui de la pêche à Terre-Neuve. Et on sait ce qui est arrivé à la pêche à Terre-Neuve!

Jane Jacobs a bien résumé le problème en 1980 : ou bien le Québec sera souverain ou bien les Québécois doivent se résigner au déclin de Montréal et à ses conséquences.

Si on ne s’y résigne pas, en quoi la souveraineté aiderait-elle Montréal? Première chose, Montréal pourrait songer à un nouveau pacte avec le seul palier de gouvernement supérieur, le gouvernement du Québec, sis à Québec!! Donc, possibilité de transferts de pouvoirs et de points d’impôt, ce que le Québec ne peut se permettre maintenant parce que le gouvernement du Québec n’a ni les pouvoirs ni les moyens de le faire. Aussi, la ville de Québec, qui, par la souveraineté, verrait accroître ses pouvoirs et son rôle, composerait sûrement mieux avec l’idée de Montréal métropole du Québec.

Jane Jacobs a précisé sa pensée à ce sujet en entrevue en mai 2005. » Si le Québec était souverain, Montréal jouerait un rôle différent au sein du Québec. Ce serait comme en Europe, comme Paris, Copenhague, Stockholm, Francfort et, peut-être, Berlin. Toutes ces villes ont eu des rôles importants à cause de leur indépendance, et parce qu’elles comptaient sur leurs propres moyens… Les villes ne prospèrent pas toutes seules. Elles doivent faire du commerce avec d’autres villes, mais sur un pied d’égalité… Dans le cas de Toronto et de Montréal, il y a un potentiel pour d’excellentes relations commerciales mais ceci ne peut se faire sans un certain degré d’indépendance politique. Il s’agit d’une situation où Montréal et Toronto en sortiraient gagnants.

En 1980, Jane Jacobs a conclu son chapitre sur Montréal et Toronto comme suit : » Comme nous le savons, la dépendance est débilitante. Sa contrepartie est parfois aussi vraie. C’est-à-dire que, parfois l’indépendance libère des efforts de tous genres, dégage des sources d’énergie, d’initiative, d’originalité et de confiance en soi jusque-là inexploitées. «

Sommes-nous collectivement prêts à nous résigner au déclin de Montréal et à toutes les conséquences de ce déclin? J’en doute! Le choix est donc clair. La souveraineté du Québec, et le plus tôt possible.

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