Materiellement rien, potentiellement tout de Guillaume Adjutor Provost, vernissage le jeudi 27 avril à 18h à Diagonale

L’exposition est un acte de mémoire pour reformuler le club Nuit Magique, lieu de rassemblement du nightlife montréalais entre 1976 et 1983. Le manque d’archives tangibles aura conduit à comprendre ce lieu culte à travers des anecdotes transmises par les anciens propriétaires, mais surtout à travers les écrits d’une frange de la scène littéraire. Le projet a débutée avec la découverte d’un recueil de poèmes de Spiros Zafiris, Midnight Magic (1981), dans lequel il met en scène ce lieu refuge pour poètes et chanteurs, fréquenté notamment par Leonard Cohen. En reliant ce premier document aux textes du poète Henry Moscovitch et de Cohen, il est possible de voir l’influence que le club Nuit Magique a eu sur l’inconscient collectif à la fin de la décennie 1970. Davantage, l’existence même du club est reliée à la chanson Moondance interprétée par Van Morrison, qui inspira à Robert Di Salvio la création d’un lieu de rassemblement dans le Vieux-Port, sorte de théâtre du réel. À l’hiver 1981-82, Cohen collabore à l’écriture d’un libretto pour lequel Lewis Furey fera la musique.

Le projet portera divers noms : Merry-Go Man, The Hall ou encore Angel Eyes pour être porté à l’écran en 1985 sous le titre Night Magic. Carole Laure y tient le rôle principal de Judy. Le choix des documents desquels émergent les œuvres de l’exposition se rapporte plus ou moins directement à une attention affective envers cette époque (le Montréal post-Olympiques, les années disco, le projet de la Baie-James). La référentialité est au cœur du processus de création de Guillaume Adjutor Provost, hors celle-ci se manifeste selon ce que l’on pourrait définir comme un matérialisme conceptuel. À savoir que l’approche conceptuelle est supportée par une résolution qui, elle, est bien physique. Davantage, la mise en forme de procédés conceptuels est annoncée par ce titre tiré d’une phrase de Robert Di Salvio : « Materially nothing, potentially everything », que l’on pourrait interpréter comme un appel à se distancer des impératifs matérialistes. L’exposition s’inscrit dès lors comme une itération dans une suite d’itérations possibles. Des suspensions de globes en béton aux aspects lunaires surplombent l’exposition. Au centre, une collection de pipes à fumer altérées est présentée sur une table. La forme de cette dernière reprend le conjunctio spirituum, une représentation symbolique de la réunion des principes masculins et féminins sous la forme de deux anges enlacées, que Leonard Cohen a emprunté au livre Psychology and Alchemy (1953) de C. G. Jung pour la couverture du livre Death of a Lady’s Man et qui fut censurée, par l’ajout d’une cinquième aile, lors de la sortie britannique de l’album New Skin for the Old Ceremony. Les œuvres sur papier tirent leur forme de divers textes lyriques de Spiros, de Moscovitch et de Cohen qui réfèrent au Nuit Magique. L’écriture est nébuleuse et se profile comme un écran de fumée où l’acte d’écrire prévaut sur la lisibilité. L’ensemble traduit, en nous rapportant au terme « scenius »  tel que soutenu par Brian Eno, l’idée que la culture d’une époque est définit par une écologie de créateurs. Questionner l’histoire revient aussi à aplanir les distinctions entre centre et périphérie, entre la littérature célébrée et celle négligée.

Abonnez-vous au bulletin du Réseau art Actuel