Entrée libre
Studio XX est heureux d’accueillir l’exposition internationale MachA, VaronA, MasculinA : la femme artiste dans la barbe de l’art cubain, qui se tiendra du 5 au 20 juin prochain dans l’espace galerie du Studio XX. Les commissaires Analays Alvarez Hernandez (Montréal, Canada), Laura Verdecia Blanco (Miami, USA) et Julio César Llópiz (La Havane, Cuba) sont heureux-e-s de collaborer avec le Studio XX afin de présenter, en première nord-américaine cette exposition collective réunissant les oeuvres de cinq artistes cubain-e-s. À l’occasion du vernissage, les performances de Julio Cesar Llopiz, Grethell Rasua et Naivy Perez accompagneront la soirée. La présentation des artistes et commissaires en séjour à Montréal, se tiendra lors du Femmes Br@nchées #102 le 19 juin et en parallèle, un évènement de performance en collaboration avec Encuentro viendra clôturer le projet au Centre Phi le 24 juin prochain.
MachA, VaronA, MasculinA : la femme artiste dans la barbe de l’art cubain
L’expression populaire Macho, varón, masculino! (Mâle, garçon, masculin) – excusez le pléonasme – témoigne de la place qu’occupe à Cuba la construction sociale de la virilité. Moyen de renforcer et d’affirmer l’identité masculine, cette locution typiquement cubaine met dans un rapport d’interdépendance virilité et hétérosexualité, ou encore virilité et domination. Pour donner le titre et le ton à ce projet, qui porte sur la femme artiste cubaine au sein d’une société essentiellement machiste, nous avons intentionnellement féminisé l’expression en question.
Si les bouleversements socio-politiques opérés par la Révolution cubaine à partir de la décennie 1960 ont progressivement instigué des avancées majeures en matière des droits de la femme, la condition féminine a tardé à se faire entendre dans les contrées de l’art cubain. Il a fallu attendre jusqu’aux années 1980, dans le cadre d’un renouveau plus large de la culture nationale, pour constater un tournant significatif dans l’interrogation artistique des problématiques concernant la femme, par des femmes artistes (Marta María Pérez Bravo, Ana Albertina Delgado, María Magdalena Campos, Consuelo Castañeda, Rocío García, etc.).
Les institutions culturelles ont suivi tant bien que mal ce « décollage féministe ». Bien qu’au Museo Nacional de Bellas Artes de La Havane (MNBA), panthéon de l’art cubain, Juana Borrero (1877-1896), Amelia Peláez (1896-1968), Antonia Eiriz (1929-1995), Zaida del Río (1954) ou Belkis Ayón (1967-1999) trouvent leur place, les œuvres de ces artistes y font cependant office de minuscules étincelles crépitant dans un terrain où prédomine la gent masculine.
À la lumière de ce contexte dominé par une vision largement patriarcale de l’historiographie, l’exposition MachA, VaronA, MasculinA se veut une plateforme d’expérimentation dans le dessein d’explorer le rôle de la femme artiste dans l’histoire de l’art cubain racontée par la collection du MNBA. Cinq jeunes créateurs cubains (trois femmes et deux hommes), dont le travail jouit d’une reconnaissance aussi bien à l’international que dans leur contexte de vie, exécutent cet exercice critique. La présence masculine est des plus nécessaires dans ce projet, car nous nous intéressons concomitamment au point de vue des hommes artistes sur la pratique artistique féminine. En usant des médiums classiques et nouveaux (performance, vidéo, installation, action participative, gravure, etc.), Naivy Pérez, Grethell Rasúa, Adislén Reyes, Levi Orta et Julio César Llópiz réinterpréteront (s’approprieront) des œuvres emblématiques, des thématiques récurrentes et des références picturales associées à l’univers créatif de la femme artiste.
La vidéo/performance via Internet de Naivy Pérez, A drop of honey, dépeint une scène où l’artiste se soumet au « supplice de la goutte d’eau », méthode de torture d’origine chinoise. Elle remplace néanmoins l’eau par du miel, une substance aux propriétés médicinales. Dans la « chambre de torture », sorte de non-lieu, seul est audible le son de la goutte qui s’écrase chaque seconde sur la tête de Pérez. Cette œuvre lance un clin d’œil à l’œuvre d’Ana Mendieta et de Tania Bruguera, deux artistes cubaines internationalement reconnues pour la puissance de leurs performances. Si Pérez recourt à des métaphores du pouvoir, du martyr et de la survie, à l’instar de Mendieta et Bruguera, sa démarche se caractérise toutefois par une approche ludique. Cette performance explore par ailleurs l’impact des nouvelles technologies sur l’ensemble de nos modes de vie et d’action, y compris sur la logistique d’actes criminels comme la séquestration ou la torture. Par exemple, le téléphone était autrefois le médium privilégié pour réclamer une rançon. Aujourd’hui, les logiciels audio-vidéo comme Skype ou Google Hangouts remplacent cette méthode traditionnelle. De plus, l’image du spectateur sur l’écran aiderait ce dernier à prendre conscience qu’il assiste à une scène de torture en direct, et qu’il en a même un point de vue privilégié, ce qui l’engagerait davantage dans le (faux) récit.
Toujours dans l’univers de la vidéo-performance, Grethell Rasúa interprète le cliché Cuanto encontró para vencer(1) (2000) de la photographe cubaine Marta Maria Pérez Bravo. Pérez Bravo raccorde la symbolique des religions afro-cubaines avec des composantes purement artistiques afin de dresser devant l’appareil photographique des mises en scène à haute teneur spirituelle. Devant un mur noir, Rasúa, torse nu et dos au public, jupe et turban blancs à la tête, porte sur ses bras écartés quatre bougies allumées. La vidéo d’une main taillant des mots sur une roche défile sur le dos de l’artiste (et produit l’effet que le burinage se fait à même le dos de Rasúa). Cette performance illustre une attitude de résistance : face à l’adversité, il ne faut pas défaillir, mais plutôt croire en nous-mêmes et lutter afin que nos désirs et nos lumières intérieures éclairent le chemin devant nous. En outre, le contraste entre la lumière et les ténèbres tient lieu d’image pour exprimer la cohabitation (magique) entre les univers religieux et artistiques aux tréfonds de la société cubaine.
Dans un registre plus traditionnel, Adislén Reyes présente Explosión Roja, un ensemble de douze livres d’artiste (édition limitée). Le nombre du tirage correspond au nombre des mois de l’année. Reyes souhaite établir une analogie entre la périodicité du cycle menstruel et le processus d’édition de la gravure (1/12, 4/12, etc.). Objet d’un éventail de préjugés dans l’imaginaire populaire, tantôt une source de mépris et de superstitions, tantôt un symbole d’impureté et d’infériorité, cet écoulement sanguin mensuel est pourtant la condition de possibilité de l’être humain. La gravure, réputée pour accoucher d’œuvres esthétiquement impeccables, permettrait d’esthétiser ce phénomène biologique. Les « explosions en rouge » de Reyes interrogent en outre la relation des femmes artistes à une discipline artistique qui se réinvente continuellement et qui se taille une place dans la pratique des nouvelles générations d’artistes. Quoique tout au long de l’histoire de l’art cubain les femmes aient fait appel de manière récurrente aux divers procédés de la gravure, seul un groupe sélect a franchi le seuil du panthéon de l’art à Cuba (2).
Levi Orta, quant à lui, s’intéresse à la représentation de la figure féminine par des artistes hommes et, par le fait même, à l’image de la femme en tant que stéréotype du plaisir. Simultanément, il souhaite faire un clin d’œil à l’ancienne relation art-prostitution. Dans Olympia con nota a pie de página, une professionnelle de l’industrie du sexe se promène dans les salles du MNBA. Elle offre ses services comme guide-interprète pour approcher des clients potentiels. Les œuvres sélectionnées pour le « travail d’interprétation » sont celles qui abordent la question de la femme en tant qu’objet de plaisir. Orta s’attaque ici au fétiche de la femme comme agente de plaisir et d’intellect à la fois.
Aussi co-commissaire de cette exposition, Julio César Llópiz clôt les contributions artistiques avec la pièce Poster redesigning exercise (after Asela Pérez). Llópiz prend comme point de départ une œuvre graphique créée en 1970 par la dessinatrice Asela Pérez. Devenue depuis lors célèbre à Cuba, cette affiche donne à voir la silhouette du continent sud-américain qui emprunte la forme d’une main empoignant un fusil. Poster redesigning exercise (after Asela Pérez), à mi-chemin entre les arts graphiques et l’action participative, explore le cantonnement de la femme à certains champs d’intérêt et pas à d’autres, tout en déclenchant une réflexion autant sur la manipulation des armes à feu que sur la « main » qui les distribuent.
Analays Alvarez Hernandez
Montréal, 8 mai 2014
Notes
(1) Ce qu’il lui a fallu affronter pour vaincre (notre traduction).
(2) Nous pensons notamment à Lesbia Vent Dumois (Carrera de bicicletas, xylographie, 1961), à Belkis Ayón (La cena, collagraphie, 1988) et à Sandra Ramos (La maldita circunstancia del agua por todas partes, chalcographie, 1993).
Grethell Rasúa (La Havane, 1983) est une artiste diplômée de la Cátedra de Arte de Conducta (Instituto Superior de Arte, Cuba) dirigée par l’artiste cubaine de renommée internationale Tania Bruguera. La principale stratégie artistique de Rasúa consiste à s’insérer dans différents milieux sociaux pour ainsi interagir, sans médiateurs préalables, avec leurs habitants. Depuis ses premiers travaux, où se manifeste une critique acérée envers l’univers des arts visuels, elle a démontré une vocation en tant qu’activiste sociale. Dans le cadre de la 11e Biennale de La Havane (2012), Rasúa a conçu et géré une boutique où elle offrait un service de confection et de vente de bijoux, lingerie fine et autres textiles d’usage quotidien fabriqués à partir de la matière corporelle (sang, sperme, excréments, morceaux d’ongles, peau morte, etc.) des personnes qui en passaient des commandes.
Naivy Pérez (Ciego de Ávila, Cuba, 1986) est diplômée de l’Instituto Superior de Arte de La Havane. La production artistique de cette jeune créatrice se promène de la performance radicale (et par moments hautement lyrique) jusqu’à des installations, de facture fort minimaliste, qui empruntent aux nouvelles technologies. Depuis quelques années, elle travaille sur une série de performances dans lesquelles elle tente d’incarner, le temps d’une journée, le plus grand nombre de rôles sociaux associés à la femme cubaine (femme au foyer, brave militaire, prostituée, etc.). En outre, elle a exploré l’univers du Net art, la plupart du temps en collaboration avec l’artiste Rewell Altunaga. Ils conçoivent ensemble des œuvres interactives munies de senseurs de proximité ou de lumière, qui font appel à la vidéo-installation et à des objets disparates.
Adislén Reyes (La Havane, 1984). Cette artiste diplômée de l’Instituto Superior de Arte de La Havane s’intéresse à l’utilisation des arts décoratifs traditionnels dans l’art contemporain. Pour discourir sur des thématiques qui touchent à la perversion sexuelle chez les adultes, Reyes s’approprie l’esthétique utilisée par les médias de masse dans la conception de la publicité destinée aux enfants. Ses médiums de prédilection sont la peinture et la sérigraphie, bien qu’elle détourne fréquemment des objets dans le cadre d’installations. Reyes a déjà décoré des assiettes jetables à la manière d’une vaisselle fine du XVIIIe siècle et fabriqué des éventails de luxe avec du papier journal.
Levi Orta s’intéresse aux espaces subjectifs résultant de l’application du «pouvoir» dans différents contextes sociopolitiques . Son travail simule l’ abandon du contrôle hégémonique tout en respectant sa propre idéologie à travers une analyse édictée par sa propre interprétation. Levi est diplômé de l’Instituto Superior de Arte de La Havane en 2010 et de la Cathedra Arte de Conducta en 2009. Quelques expositions solo de Levi comprennent la Galerija Miroslav Kraljvić, Servando Art Gallery, Fonderie Darling, Fondation Ludwig et Salle zéro. Il a participé à plusieurs biennales dont la Biennale de La Havane, Pontevedra, Liverpool et Mercosur. Au cours des dernières années, Orta a participé à des expositions dans plusieurs pays dont l’Allemagne, l’Argentine, le Brésil, le Canada, Cuba, Colombie, États-Unis, Espagne, France, Italie, Mexique, Suisse, Royaume-Uni et le Venezuela. Il a également reçu plusieurs prix, dont Estudio 21 à La Havane, DES PACIO du Costa Rica, la bourse d’études SOMA au Mexique, une résidence à la Fonderie Darling à Montréal et la résidence TRIBU au musée MoTA à Ljubljana.
Julio César Llópiz (La Havane, 1984) détient un baccalauréat en histoire de l’art de l’Universidad de La Habana. Critique d’art, il mène en parallèle un travail d’artiste. Dans ses œuvres, confectionnées sur des supports variés, transparaît un intérêt marqué pour les mécanismes des arts graphiques et pour la manière dont le public interagit avec ceux-ci. Llópiz pousse ainsi à la limite la capacité de ce médium dans le dessein de créer des œuvres de nature conceptuelle qui paraissent tirées de la publicité imprimée ou d’affiches à connotation politique. Il compte à son actif des expositions solo à la Fondation Ludwig de Cuba (La Havane, 2012) et à la Galerie Cristo Salvador (La Havane, 2012).
Analays Alvarez Hernandez (La Havane, 1982) est candidate au doctorat en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal, critique d’art et commissaire d’exposition. Par le biais de ses recherches, elle s’intéresse aux enjeux contemporains de l’art monumental ainsi qu’à l’art cubain et latino-américain. Alvarez Hernandez a travaillé, à titre de stagiaire, au Museo nacional de Bellas Artes de La Havane (2005-2006) et a été chargée de projets au Bureau d’art public de la Ville de Montréal (2011-2012). Elle a récemment dirigé, pour la revue d’art en ligne Archée, deux numéros sur l’apparition et la consolidation des technologies médiatiques en Amérique Latine.
Laura Verdecia Blanco (La Havane, 1993) est une productrice et réalisatrice d’origine cubaine qui a notamment participé au laboratoire international de courts métrages Kinomada (La Havane 2011, Québec 2012, Québec 2013), ainsi qu’à la Muestra de Jóvenes realizadores (La Havane, 2012), etc. En 2011, elle entame un baccalauréat en production audiovisuelle à la Facultad de Arte de los medios de comunicación audiovisual (Instituto Superior de Arte, Cuba). Depuis 2014, elle vit et travaille à Miami.
Entrée libre
Studio XX est heureux d’accueillir l’exposition internationale MachA, VaronA, MasculinA : la femme artiste dans la barbe de l’art cubain, qui se tiendra du 5 au 20 juin prochain dans l’espace galerie du Studio XX. Les commissaires Analays Alvarez Hernandez (Montréal, Canada), Laura Verdecia Blanco (Miami, USA) et Julio César Llópiz (La Havane, Cuba) sont heureux-e-s de collaborer avec le Studio XX afin de présenter, en première nord-américaine cette exposition collective réunissant les oeuvres de cinq artistes cubain-e-s. À l’occasion du vernissage, les performances de Julio Cesar Llopiz, Grethell Rasua et Naivy Perez accompagneront la soirée. La présentation des artistes et commissaires en séjour à Montréal, se tiendra lors du Femmes Br@nchées #102 le 19 juin et en parallèle, un évènement de performance en collaboration avec Encuentro viendra clôturer le projet au Centre Phi le 24 juin prochain.
MachA, VaronA, MasculinA : la femme artiste dans la barbe de l’art cubain
L’expression populaire Macho, varón, masculino! (Mâle, garçon, masculin) – excusez le pléonasme – témoigne de la place qu’occupe à Cuba la construction sociale de la virilité. Moyen de renforcer et d’affirmer l’identité masculine, cette locution typiquement cubaine met dans un rapport d’interdépendance virilité et hétérosexualité, ou encore virilité et domination. Pour donner le titre et le ton à ce projet, qui porte sur la femme artiste cubaine au sein d’une société essentiellement machiste, nous avons intentionnellement féminisé l’expression en question.
Si les bouleversements socio-politiques opérés par la Révolution cubaine à partir de la décennie 1960 ont progressivement instigué des avancées majeures en matière des droits de la femme, la condition féminine a tardé à se faire entendre dans les contrées de l’art cubain. Il a fallu attendre jusqu’aux années 1980, dans le cadre d’un renouveau plus large de la culture nationale, pour constater un tournant significatif dans l’interrogation artistique des problématiques concernant la femme, par des femmes artistes (Marta María Pérez Bravo, Ana Albertina Delgado, María Magdalena Campos, Consuelo Castañeda, Rocío García, etc.).
Les institutions culturelles ont suivi tant bien que mal ce « décollage féministe ». Bien qu’au Museo Nacional de Bellas Artes de La Havane (MNBA), panthéon de l’art cubain, Juana Borrero (1877-1896), Amelia Peláez (1896-1968), Antonia Eiriz (1929-1995), Zaida del Río (1954) ou Belkis Ayón (1967-1999) trouvent leur place, les œuvres de ces artistes y font cependant office de minuscules étincelles crépitant dans un terrain où prédomine la gent masculine.
À la lumière de ce contexte dominé par une vision largement patriarcale de l’historiographie, l’exposition MachA, VaronA, MasculinA se veut une plateforme d’expérimentation dans le dessein d’explorer le rôle de la femme artiste dans l’histoire de l’art cubain racontée par la collection du MNBA. Cinq jeunes créateurs cubains (trois femmes et deux hommes), dont le travail jouit d’une reconnaissance aussi bien à l’international que dans leur contexte de vie, exécutent cet exercice critique. La présence masculine est des plus nécessaires dans ce projet, car nous nous intéressons concomitamment au point de vue des hommes artistes sur la pratique artistique féminine. En usant des médiums classiques et nouveaux (performance, vidéo, installation, action participative, gravure, etc.), Naivy Pérez, Grethell Rasúa, Adislén Reyes, Levi Orta et Julio César Llópiz réinterpréteront (s’approprieront) des œuvres emblématiques, des thématiques récurrentes et des références picturales associées à l’univers créatif de la femme artiste.
La vidéo/performance via Internet de Naivy Pérez, A drop of honey, dépeint une scène où l’artiste se soumet au « supplice de la goutte d’eau », méthode de torture d’origine chinoise. Elle remplace néanmoins l’eau par du miel, une substance aux propriétés médicinales. Dans la « chambre de torture », sorte de non-lieu, seul est audible le son de la goutte qui s’écrase chaque seconde sur la tête de Pérez. Cette œuvre lance un clin d’œil à l’œuvre d’Ana Mendieta et de Tania Bruguera, deux artistes cubaines internationalement reconnues pour la puissance de leurs performances. Si Pérez recourt à des métaphores du pouvoir, du martyr et de la survie, à l’instar de Mendieta et Bruguera, sa démarche se caractérise toutefois par une approche ludique. Cette performance explore par ailleurs l’impact des nouvelles technologies sur l’ensemble de nos modes de vie et d’action, y compris sur la logistique d’actes criminels comme la séquestration ou la torture. Par exemple, le téléphone était autrefois le médium privilégié pour réclamer une rançon. Aujourd’hui, les logiciels audio-vidéo comme Skype ou Google Hangouts remplacent cette méthode traditionnelle. De plus, l’image du spectateur sur l’écran aiderait ce dernier à prendre conscience qu’il assiste à une scène de torture en direct, et qu’il en a même un point de vue privilégié, ce qui l’engagerait davantage dans le (faux) récit.
Toujours dans l’univers de la vidéo-performance, Grethell Rasúa interprète le cliché Cuanto encontró para vencer(1) (2000) de la photographe cubaine Marta Maria Pérez Bravo. Pérez Bravo raccorde la symbolique des religions afro-cubaines avec des composantes purement artistiques afin de dresser devant l’appareil photographique des mises en scène à haute teneur spirituelle. Devant un mur noir, Rasúa, torse nu et dos au public, jupe et turban blancs à la tête, porte sur ses bras écartés quatre bougies allumées. La vidéo d’une main taillant des mots sur une roche défile sur le dos de l’artiste (et produit l’effet que le burinage se fait à même le dos de Rasúa). Cette performance illustre une attitude de résistance : face à l’adversité, il ne faut pas défaillir, mais plutôt croire en nous-mêmes et lutter afin que nos désirs et nos lumières intérieures éclairent le chemin devant nous. En outre, le contraste entre la lumière et les ténèbres tient lieu d’image pour exprimer la cohabitation (magique) entre les univers religieux et artistiques aux tréfonds de la société cubaine.
Dans un registre plus traditionnel, Adislén Reyes présente Explosión Roja, un ensemble de douze livres d’artiste (édition limitée). Le nombre du tirage correspond au nombre des mois de l’année. Reyes souhaite établir une analogie entre la périodicité du cycle menstruel et le processus d’édition de la gravure (1/12, 4/12, etc.). Objet d’un éventail de préjugés dans l’imaginaire populaire, tantôt une source de mépris et de superstitions, tantôt un symbole d’impureté et d’infériorité, cet écoulement sanguin mensuel est pourtant la condition de possibilité de l’être humain. La gravure, réputée pour accoucher d’œuvres esthétiquement impeccables, permettrait d’esthétiser ce phénomène biologique. Les « explosions en rouge » de Reyes interrogent en outre la relation des femmes artistes à une discipline artistique qui se réinvente continuellement et qui se taille une place dans la pratique des nouvelles générations d’artistes. Quoique tout au long de l’histoire de l’art cubain les femmes aient fait appel de manière récurrente aux divers procédés de la gravure, seul un groupe sélect a franchi le seuil du panthéon de l’art à Cuba (2).
Levi Orta, quant à lui, s’intéresse à la représentation de la figure féminine par des artistes hommes et, par le fait même, à l’image de la femme en tant que stéréotype du plaisir. Simultanément, il souhaite faire un clin d’œil à l’ancienne relation art-prostitution. Dans Olympia con nota a pie de página, une professionnelle de l’industrie du sexe se promène dans les salles du MNBA. Elle offre ses services comme guide-interprète pour approcher des clients potentiels. Les œuvres sélectionnées pour le « travail d’interprétation » sont celles qui abordent la question de la femme en tant qu’objet de plaisir. Orta s’attaque ici au fétiche de la femme comme agente de plaisir et d’intellect à la fois.
Aussi co-commissaire de cette exposition, Julio César Llópiz clôt les contributions artistiques avec la pièce Poster redesigning exercise (after Asela Pérez). Llópiz prend comme point de départ une œuvre graphique créée en 1970 par la dessinatrice Asela Pérez. Devenue depuis lors célèbre à Cuba, cette affiche donne à voir la silhouette du continent sud-américain qui emprunte la forme d’une main empoignant un fusil. Poster redesigning exercise (after Asela Pérez), à mi-chemin entre les arts graphiques et l’action participative, explore le cantonnement de la femme à certains champs d’intérêt et pas à d’autres, tout en déclenchant une réflexion autant sur la manipulation des armes à feu que sur la « main » qui les distribuent.
Analays Alvarez Hernandez
Montréal, 8 mai 2014
Notes
(1) Ce qu’il lui a fallu affronter pour vaincre (notre traduction).
(2) Nous pensons notamment à Lesbia Vent Dumois (Carrera de bicicletas, xylographie, 1961), à Belkis Ayón (La cena, collagraphie, 1988) et à Sandra Ramos (La maldita circunstancia del agua por todas partes, chalcographie, 1993).
Grethell Rasúa (La Havane, 1983) est une artiste diplômée de la Cátedra de Arte de Conducta (Instituto Superior de Arte, Cuba) dirigée par l’artiste cubaine de renommée internationale Tania Bruguera. La principale stratégie artistique de Rasúa consiste à s’insérer dans différents milieux sociaux pour ainsi interagir, sans médiateurs préalables, avec leurs habitants. Depuis ses premiers travaux, où se manifeste une critique acérée envers l’univers des arts visuels, elle a démontré une vocation en tant qu’activiste sociale. Dans le cadre de la 11e Biennale de La Havane (2012), Rasúa a conçu et géré une boutique où elle offrait un service de confection et de vente de bijoux, lingerie fine et autres textiles d’usage quotidien fabriqués à partir de la matière corporelle (sang, sperme, excréments, morceaux d’ongles, peau morte, etc.) des personnes qui en passaient des commandes.
Naivy Pérez (Ciego de Ávila, Cuba, 1986) est diplômée de l’Instituto Superior de Arte de La Havane. La production artistique de cette jeune créatrice se promène de la performance radicale (et par moments hautement lyrique) jusqu’à des installations, de facture fort minimaliste, qui empruntent aux nouvelles technologies. Depuis quelques années, elle travaille sur une série de performances dans lesquelles elle tente d’incarner, le temps d’une journée, le plus grand nombre de rôles sociaux associés à la femme cubaine (femme au foyer, brave militaire, prostituée, etc.). En outre, elle a exploré l’univers du Net art, la plupart du temps en collaboration avec l’artiste Rewell Altunaga. Ils conçoivent ensemble des œuvres interactives munies de senseurs de proximité ou de lumière, qui font appel à la vidéo-installation et à des objets disparates.
Adislén Reyes (La Havane, 1984). Cette artiste diplômée de l’Instituto Superior de Arte de La Havane s’intéresse à l’utilisation des arts décoratifs traditionnels dans l’art contemporain. Pour discourir sur des thématiques qui touchent à la perversion sexuelle chez les adultes, Reyes s’approprie l’esthétique utilisée par les médias de masse dans la conception de la publicité destinée aux enfants. Ses médiums de prédilection sont la peinture et la sérigraphie, bien qu’elle détourne fréquemment des objets dans le cadre d’installations. Reyes a déjà décoré des assiettes jetables à la manière d’une vaisselle fine du XVIIIe siècle et fabriqué des éventails de luxe avec du papier journal.
Levi Orta s’intéresse aux espaces subjectifs résultant de l’application du «pouvoir» dans différents contextes sociopolitiques . Son travail simule l’ abandon du contrôle hégémonique tout en respectant sa propre idéologie à travers une analyse édictée par sa propre interprétation. Levi est diplômé de l’Instituto Superior de Arte de La Havane en 2010 et de la Cathedra Arte de Conducta en 2009. Quelques expositions solo de Levi comprennent la Galerija Miroslav Kraljvić, Servando Art Gallery, Fonderie Darling, Fondation Ludwig et Salle zéro. Il a participé à plusieurs biennales dont la Biennale de La Havane, Pontevedra, Liverpool et Mercosur. Au cours des dernières années, Orta a participé à des expositions dans plusieurs pays dont l’Allemagne, l’Argentine, le Brésil, le Canada, Cuba, Colombie, États-Unis, Espagne, France, Italie, Mexique, Suisse, Royaume-Uni et le Venezuela. Il a également reçu plusieurs prix, dont Estudio 21 à La Havane, DES PACIO du Costa Rica, la bourse d’études SOMA au Mexique, une résidence à la Fonderie Darling à Montréal et la résidence TRIBU au musée MoTA à Ljubljana.
Julio César Llópiz (La Havane, 1984) détient un baccalauréat en histoire de l’art de l’Universidad de La Habana. Critique d’art, il mène en parallèle un travail d’artiste. Dans ses œuvres, confectionnées sur des supports variés, transparaît un intérêt marqué pour les mécanismes des arts graphiques et pour la manière dont le public interagit avec ceux-ci. Llópiz pousse ainsi à la limite la capacité de ce médium dans le dessein de créer des œuvres de nature conceptuelle qui paraissent tirées de la publicité imprimée ou d’affiches à connotation politique. Il compte à son actif des expositions solo à la Fondation Ludwig de Cuba (La Havane, 2012) et à la Galerie Cristo Salvador (La Havane, 2012).
Analays Alvarez Hernandez (La Havane, 1982) est candidate au doctorat en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal, critique d’art et commissaire d’exposition. Par le biais de ses recherches, elle s’intéresse aux enjeux contemporains de l’art monumental ainsi qu’à l’art cubain et latino-américain. Alvarez Hernandez a travaillé, à titre de stagiaire, au Museo nacional de Bellas Artes de La Havane (2005-2006) et a été chargée de projets au Bureau d’art public de la Ville de Montréal (2011-2012). Elle a récemment dirigé, pour la revue d’art en ligne Archée, deux numéros sur l’apparition et la consolidation des technologies médiatiques en Amérique Latine.
Laura Verdecia Blanco (La Havane, 1993) est une productrice et réalisatrice d’origine cubaine qui a notamment participé au laboratoire international de courts métrages Kinomada (La Havane 2011, Québec 2012, Québec 2013), ainsi qu’à la Muestra de Jóvenes realizadores (La Havane, 2012), etc. En 2011, elle entame un baccalauréat en production audiovisuelle à la Facultad de Arte de los medios de comunicación audiovisual (Instituto Superior de Arte, Cuba). Depuis 2014, elle vit et travaille à Miami.
Montréal (Québec) H2L 4H2