Alejandro Cesarco, Allegory, or, The Perils of the Present Tense (2015)

Let’s be Open About… L’art conceptuel, vernissage le jeudi 21 avril à 19h à Dazibao

Let’s be Open About… L’art conceptuel

Une proposition de France Choinière développée en collaboration avec Daniel Olson avec des œuvres de Jo-Anne Balcaen, Alejandro Cesarco, Moyra Davey, Rosika Desnoyers, Alexandre Jimenez, Ignas Krunglevičius, Kelly Mark, Elise Rasmussen, Émilie Serri et des traces de Fiona Banner et Sol LeWitt.

Quoique, selon l’artiste Joseph Kosuth, tout l’art après Duchamp soit conceptuel, c’est au milieu des années soixante que ce mouvement émerge et fait sa marque par le biais d’artistes tels Vito Acconci, Marcel Broodthaers, Lawrence Weiner, Louise Lawler ou Jenny Holzer, pour n’en nommer que quelques-uns. Récemment, Trafic. L’art conceptuel au Canada (1965-1980) , une grande exposition présentée à travers le Canada, proposait pour une première fois un parcours exhaustif — et une reconnaissance — de l’art conceptuel canadien, en réunissant, entre autres, des artistes comme Raymond Gervais, Suzy Lake, Michael Snow, Ian Wallace ou Robert Walker. La présente exposition n’a certes pas cette envergure mais rassemble quelques œuvres actuelles qui visiblement s’inscrivent dans le prolongement de ces pratiques dont l’idée, l’énoncé, est l’objet plus que l’objet lui-même. Des œuvres qui dans cette perspective d’un art conceptuel se trouvent bien servies par ce que l’on nomme assez librement les pratiques de l’image, puisque ces dernières s’offrent d’emblée sous une forme plutôt « dématérialisée » et font rarement de la matérialité de l’œuvre un enjeu.

Volontairement, la présente exposition réunit des artistes de différentes générations et allégeances démentant quelque peu ce désir de l’art conceptuel de ne pas s’inscrire dans une structure évolutive de l’art. Sans réanimer le débat Greenbergien, force est d’admettre qu’il y a un passage et une certaine filiation. Moins notoire, peut-être, comme l’art conceptuel prend à peu près n’importe quelle forme et est par nature peu concerné par le développement d’une démarche esthétique ou formelle qui offrirait des référents visuels aisément repérables. Ceci dit, il appert évident que la majorité des artistes qui se réclament présentement de cette ligne de pensée sont aussi sensibles aux qualités formelles de leurs œuvres. Cherchant, disons, à provoquer cette heureuse rencontre du sens et des sens.

Dans un texte intitulé Conceptual Art as Art, Ian Burn affirmait qu’il serait de la nature profonde de l’art conceptuel de remplacer l’habituel objet d’art par un énoncé sur l’art. Pratique commune, si ce n’est quasi profession de foi, de nombre d’œuvres se définissant comme conceptuelles. Manière aussi d’implicitement assurer la prévalence de l’idée sur toutes autres manifestations dont les prémisses seraient esthétiques.

Ainsi, l’artiste conceptuel s’appropriant et l’expérience et l’idée, le langage se pose comme un élément déterminant de ses manœuvres, d’où le rapport particulier de l’artiste conceptuel aux mots. C’est là, pourtant, que les pistes se brouillent — et de manière intéressante — puisque le terme langage se « traduit » en art pour nommer l’expression d’une forme esthétique. Paradoxalement, le langage en soi serait le langage de l’art conceptuel, la composante déterminante de son esthétique : toute idée ou concept devant nécessairement s’exprimer ou à tout le moins transiter par le langage. Ce qui donc devait extraire l’artiste conceptuel du risque de porter les stigmates d’une esthétique donnée s’avère, dans nombre de pratiques, caractéristique formelle d’une démarche conceptuelle.

Dans cet élan, la présente exposition réunit quelques-unes de ces pratiques actuelles de l’art qui entretiennent des liens particuliers, parfois complexes, avec le langage, voire qui utilisent le langage même de l’art conceptuel pour en quelque sorte réinitialiser l’art conceptuel. Ce dernier s’ouvrant facilement à cette mutation de ce qui est dit par le langage à l’investigation même de ce langage. Les œuvres réunies ont en partage, de multiplier la fonction des mots, ceux-ci devenant la manifestation du sujet, de la forme et de l’idée. Utilisant le langage comme morphologie même de l’art conceptuel, les œuvres présentées entretiennent toutes un rapport singulier au langage qu’il s’agisse de la prégnance d’une forme de sous-texte, d’une mise en abyme narrative, d’une volonté de traduction du langage de l’art conceptuel ou d’un retournement du sens qui utiliserait l’art conceptuel même comme motif.

Considéré comme l’un des maîtres à penser de l’art conceptuel, Sol LeWitt est un artiste américain né en 1928 et mort en 2007 à New York. Artiste minimaliste, il est reconnu pour ses structures métalliques et géométriques qui ont posé les bases de ses expérimentations sculpturales et conceptuelles. Dès 1967, Lewitt postule dans Paragraphs on Conceptual Art la primauté du processus intellectuel sur l’objet présenté et défend, du coup, une conception de l’expérience artistique dissociée de la forme. Quelques années plus tard il récidivera avec ses Sentences on Conceptual Art (1969) qui demeurent à ce jour une référence majeure de l’art conceptuel. Donnés en début de parcours d’exposition, ces énoncés sur l’art conceptuel exposent les principes fondateurs du mouvement de l’art conceptuel et agissent comme un filtre à la lecture des œuvres réunies dans l’exposition.

D’autre part, toujours dans cette idée de poursuivre la réflexion autour de l’usage du langage et aussi en guise de filtre à l’exposition, nous avons tenu à présenter — mais en quelque sorte retournée sur elle-même puisque sous la forme du livre — l’œuvre de Fiona Banner intitulée Fiona Banner, 2009. Fiona Banner s’intéresse beaucoup à l’édition et publie, depuis 1997, différents ouvrages en lien avec ses œuvres et ses performances sous la bannière de The Vanity Press. S’intéressant à la relation sémiotique qui lie la forme et le contenu, la pratique de Banner offre un regard contemporain sur l’héritage de l’art conceptuel. Née en 1967, à peu près au moment où Sol LeWitt produisait ses Sentences on Conceptuel Art, Fiona Banner réalisait cette œuvre/performance peu après la disparition de ce dernier. Pour ce projet, elle se faisait tatouer au creux du dos, un numéro ISBN (International Standard Book Number) correspondant au dépôt légal d’elle-même comme livre. Bien que l’on pourrait croire à un commentaire social sur le « branding » ou à un geste féministe d’appropriation de soi, Banner y voit une biographie présumée et une sorte d’autoportrait se jouant de ce que l’artiste nomme une certaine conspiration narrative. Banner est une figure marquante de ces artistes qui ont contribué à une forme de réinitialisation de l’art conceptuel. Utilisant le langage de celui-ci pour doubler le discours sur l’art d’un second niveau de lecture, dans ce cas de la pulsion de se raconter.

 

Abonnez-vous au bulletin du Réseau art Actuel