Crédit photo : Raymonde April

Jean-Claude Rochefort nous quitte

 Par Raymonde April et Serge Murphy

Jean-Claude Rochefort : Ruines et Météores

« Nous nous définissons toujours dans un dialogue, parfois par opposition, avec les identités que les autres qui comptent veulent reconnaître en nous. Et même quand nous survivons à certains d’entre eux, comme nos parents par exemple, et qu’ils disparaissent de nos vies, la conversation que nous entretenions avec eux se poursuit en nous aussi longtemps que nous vivons. »
Charles Taylor, Grandeur et misère de la modernité, Montréal, Bellarmin, 1992, p. 49.

Jean-Claude Rochefort est décédé le dimanche 6 juin d’un terrible accident de voiture, dans son Charlevoix qu’il aimait tant.

Jean-Claude Rochefort est né à St-Hilarion de Charlevoix en 1957. Il a vécu dans Charlevoix et à Montréal, où il a travaillé à titre de critique d’art et de conservateur indépendant. Il a terminé une thèse de doctorat en Études et Pratiques des arts à l’Université du Québec à Montréal.  Il a écrit, au cours des dernières années, de nombreux articles dans la revue interdisciplinaire Spirale et il y a dirigé quelques dossiers, dont un sur l’image numérique et un autre sur l’amour, en collaboration avec Catherine Mavrikakis.

Issu du milieu des centres d’artistes (La Chambre Blanche), Jean-Claude Rochefort a été galeriste en art contemporain de 1986 à 1999, d’abord en collaboration avec Chantal  Boulanger, puis à titre individuel. Il a soutenu de nombreux artistes québécois et canadiens : Jocelyne Alloucherie, Raymond Gervais, Guy Pellerin, Roland Poulin, Trevor Gould, Paterson Ewen, Carol Wainio, Laurent Pilon, Christine Major, Louise Viger, Sylvie Bouchard, Gilles Mihalcean, Thomas Corriveau, Sandra Meigs, Shirley Wiitasalo et présenté pour la première fois au Québec des artistes internationaux de haut niveau : Ludger Gerdes, Andrea Busto, Gérard Collin-Thiébaut et Christian Boltanski.  Depuis les années quatre-vingt, il a été un animateur incontournable et inspiré de la scène de l’art contemporain à Montréal. Son travail d’artiste, qu’il n’avait jamais cessé de pratiquer, colorait résolument ses choix, leur conférant un caractère unique.

En 1991, en tant que conservateur indépendant, il avait conçu et réalisé JES (Ludger Gerdes, Dan Graham, Jeff Wall), exposition qui fut présentée au Centre International d’art contemporain de Montréal. En 1998, il présentait une exposition collective intitulée Blast (église St-Pierre Apôtre et 400 rue Atlantic). Il s’intéressait tout particulièrement à la relation entre l’art contemporain et l’environnement naturel habité, ce dont traitait sa thèse de doctorat. Un texte sur ce sujet (De la vulnérabilité de l’œuvre, 2002) a été publié dans le catalogue d’exposition du Symposium Art/Nature, Cime et racines, aux éditions d’art Le Sabord.

Jean-Claude Rochefort a aussi collaboré comme critique d’art au journal Le Devoir. Sa plume d’une redoutable indépendance, analysait les choses avec intelligence et acuité.

En 2006, il avait créé le Centre International Art, Nature et Paysage à Saint-Hilarion de Charlevoix, un centre d’exposition et d’hébergement qu’il souhaitait dédier aux artistes et à la population de Charlevoix. L’architecture de ce projet ambitieux, conçu en collaboration avec le designer Jacques Bilodeau, affirmait la mise en valeur du patrimoine québécois dans un contexte résolument créatif et contemporain. Les conditions sociales et économiques ont rendu impossible le développement de ce projet unique au Québec, qui faisait pourtant écho aux préoccupations artistiques et écologiques du monde dans lequel nous vivons et à des concepts similaires développés en Europe et ailleurs.

Jean-Claude Rochefort ne se laissait jamais abattre. Au moment de l’accident fatal, il rédigeait un texte d’analyse en vue d’une monographie sur le travail de la peintre Angèle Verret. Il travaillait également comme agent de développement culturel pour la Société de Développement commercial du Village. Il avait récemment créé le Centre international d’action artistique en milieu urbain de Montréal en collaboration avec Sylvie Lacerte et Jacques Perron, et préparait une série d’interventions d’artistes contemporains en milieu urbain : Variation sur un thème : la colonne. Espérons que cette fin abrupte ne nous privera pas collectivement du plaisir de voir ces œuvres exister dans notre environnement.

Nous ne sommes pas les seuls à regretter que Jean-Claude n’aie pas été reconnu à sa juste valeur comme artiste, penseur, activiste, intellectuel engagé, du temps qu’il était encore parmi nous. C’est avec une infinie tristesse que nous devrons vivre désormais sans cette étincelle vivace qu’il projetait tout autour de lui.

Raymonde April
Serge Murphy
Artistes

 


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