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Simon Belleau et de Laure Bourgault
Pour quelques arpents de neige / For a few acres of snow
En novembre 1981, le rapatriement de la Constitution canadienne est négocié dans la capitale nationale. D’abord source de mésentente sur la formule à prendre pour rapatrier l’héritage politique du Canada, l’événement sera perçu par le Québec comme une trahison lorsque, dans la nuit du 4 au 5 novembre, l’alliance présumée du fédéral avec le provincial laissera le Québec à l’écart des discussions pour la ratification de la Constitution. Au Canada anglais, l’événement est nommé Kitchen Accord (ou Kitchen Meeting), rapport au lieu de la décision finale. Au Québec, ce même épisode porte l’appellation de Nuit des longs couteaux.
La dualité narrative de cet épisode géo-historico-politique sert à Simon Belleau de trame de fond pour son exposition Pour quelques arpents de neige / For a few acres of snow. Il fait ressortir le caractère dramaturgique de cette nuit de tractations subreptices qu’il qualifie de shakespearienne, poussant l’analogie théâtrale jusqu’à intituler l’exposition par une citation de Voltaire dans Candide (1759). Le positionnement d’investigateur-observateur de Belleau s’immisce alors comme une critique des conflits ubuesques des politicien.ne.s de ce pays, faisant de la petite histoire la grande.
Belleau emprunte au septième art des tropes qu’il utilise ici dans cette scénographie en latence : d’immenses peintures étant des représentations du Kitchen Accord griffonné par Jean Chrétien, Roy McMurtry et Roy Romanow la nuit du 4 novembre dans une cuisine du Centre des conférences, des sculptures, dont une maquette de la cuisine déposée sur du mobilier hôtelier, un vétuste projecteur sur lequel la poussière s’est accumulée à travers les années, ainsi qu’une enseigne lumineuse disposée à l’extérieur de l’édifice de La Filature pour rappeler l’affichage d’époque du Château Laurier.
Un film réalisé par Belleau lors de sa résidence de recherche à AXENÉO7 montre avec tension les façades des hôtels. Au sein du montage, l’artiste utilise le procédé le plus primaire de toutes productions de mise en scène : la didascalie. Les notes de Belleau remplissent une fonction scénique en donnant des indications sous forme d’annotations et parcourent l’ensemble de l’œuvre. Sans nécessairement aller de pair avec les images, les didascalies font référence à ces documents qui se trouvent ailleurs, hors de la vue du public, faisant de Simon Belleau un narrateur omniscient. Dans le film, les hôtels jouent un rôle : ils deviennent des lieux de tergiversations politiques, témoignant de la possibilité pour celle-ci de s’immiscer jusque dans notre sommeil. Lire plus.
Simon Belleau détient une maîtrise en Studio Arts de la School of the Art Institute of Chicago (Chicago, 2015) où il a été récipiendaire du prix Jacques and Natasha Gelman Trust Scholar and Fellow Program. Il a présenté son travail en divers lieux : Fonderie Darling (Montréal, 2021) ; Musée d’art contemporain de Montréal (Montréal, 2021) ; Cassandra Cassandra (Toronto, 2020) ; Parisian Laundry (Montréal, 2019) ; Fondazione Antonio Ratti (Côme, Italie, 2018); Galerie René Blouin (Montréal, 2018) ; Sculpture Center (New York, 2018) ; Raising Cattle, (Montréal, 2017) ; Marsèlleria (New York, 2017); Optica, centre d’art contemporain (Montréal, 2016) ; et Vie d’ange (Montréal, 2016). Simon Belleau est l’un des neuf artistes en résidence dans le programme Ateliers montréalais 2019-2022 de la Fonderie Darling. De 2019 à 2021, il était artiste-en-résidence et enseignant invité au département de sculpture de l’Université Concordia.
CANADAS
…elle offre une image authentique[!] de la scène canadienne
aux Canadien[ne]s et aux habitant[e]s des pays étrangers…
En 1970, le bureau fédéral de la statistique publie le livre Canada 1970,
la trente-neuvième revue officielle de la situation et des progrès sociaux, économiques et culturels de l’état canadien.
Le pays, le peuple, l’économie… l’histoire raconte un grand espace harmonieux et ouvert sur le monde, où les promesses de l’industrie participent à modeler le sol et les corps à leur image; un pays où les rayonnages des supermarchés rejoignent des latitudes encore inégalées.
Le pays narré en vues aériennes et en tableaux statistiques se présente comme une synthèse optimiste, le portrait unifié d’un territoire où la diversité des formes de vie et la complexité des expressions culturelles se voient simultanément louées, soulignées, aplaties et balisées.
Prenant ancrage dans les pages lustrées de la publication officielle, l’exposition canadas pose un regard sur les images et les textes utilisés pour mettre de l’avant cette vision moderne de la canadienneté. Dans l’exposition, les photographies et les mots sont extraits, puis transformés par le temps de la peinture et de l’écriture poétique, dans l’espoir que par ce détournement nous puissions mieux les voir. Que nous puissions mieux comprendre les rouages de ce récit impérialiste et, peut-être, les déjouer en les rejouant, en les réinterprétant.
S’il est question de mise en scène, peut-on parler d’un théâtre de la nation, alimenté par une rhétorique fédérale aux aspirations d’authenticité ?
Cinquante ans plus tard, comment interagir avec cet héritage complexe,
avec ce qui demeure et agit, encore ?