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Brouillages / Interference Patterns de Philippe Blanchard

Vernissage le vendredi 6 septembre à 17h à l'Atelier Circulaire

Philippe Blanchard est un artiste multidisciplinaire dont la pratique artistique combine la sérigraphie à l’animation et l’installation. Il utilise les caractéristiques de ces techniques afin de jouer avec notre perception du temps et de l’espace, explorant les notions de répétition, de transfert et de translation pour créer une œuvre composite entre image et objet.

L’installation Brouillages / Interference Patterns consiste en un ensemble composé d’objets de bois recouverts de papiers imprimés disposés sur le sol, d’une double animation projetée sur le mur de la galerie et d’une pièce textile comptant six rideaux imprimés. Chacun de ces éléments prend la forme ou présente des motifs géométriques qui s’agencent, s’adaptent, voire s’altèrent selon leur mode de présentation. Cette œuvre systémique, dans laquelle chaque partie nourrit l’autre, se génère dans une friction constante entre artisanat et nouvelles technologies, entre intuition et intention, entre l’objet physique et sa représentation numérique.

La première étape de la production de cette œuvre se trouve dans ces objets de contreplaqué aux formes géométriques standardisées, mais dont la finition présente des aspérités. Bien que chacun d’entre eux soit unique, ils ont été conçus via un logiciel de vectorisation et ont été découpés par une machine CNC. Ceux-ci ont ensuite été emballés dans du papier coloré en sérigraphie par un système de pochoir. Cette enveloppe imprimée laisse apparaître des irrégularités dans l’encrage, des traces de pliage ou de collage, donnant ainsi un aspect manuel à une figure conçue numériquement. Ces objets ont été placés sur le sol de manière instinctive, de façon à ce que les interactions entre les couleurs et les formes donnent une grande composition abstraite dont l’aspect enfantin pourrait rappeler une sculpture désassemblée d’Alma Siedoff-Buscher, artiste du Bauhaus.

La double animation, tournée image par image, documente la vie palpitante de ces objets qui interagissent entre eux et avec leur environnement (soit dans le contexte familier d’une ruelle, soit dans celui de la galerie). Sur la projection de gauche, la chorégraphie d’objets a été tournée une première fois de manière improvisée. Sur celle de droite, elle a été performée de nouveau dans un contexte différent. Lors de la répétition de la séquence de mouvements, un décalage se crée dû à son adaptation à un autre lieu. C’est ici qu’intervient le plus la tension entre l’intuition et l’intention.  Cette désynchronisation brise la simultanéité des projections. Elle montre l’impossibilité de reproduire une même chose à l’identique dans deux temps et deux espaces différents. La répétition, comme somme des différences, est ainsi une stratégie pour introduire une chronologie d’événements, une temporalité dans la représentation de l’objet.

Les images numériques issues de l’animation interviennent à leur tour dans la troisième étape du processus : le transfert vers les rideaux. Ces derniers ont été imprimés numériquement à partir de captures d’écran recomposées et adaptées à la surface textile. On reconnaît des fragments des formes géométriques initiales, dont la translation d’un espace dimensionnel à l’autre a modifié considérablement leur représentation. Les rideaux agissent en quelque sorte comme la gangue de l’œuvre, un voile venant à peine la couvrir du regard des passants à l’extérieur de la galerie, et montrant une vague transcription des figures géométriques initiales.

Ces formes abstraites passent ainsi d’un support à l’autre, contaminant tous les espaces de représentation. Ils agissent comme des signes se déclinant en des motifs, des couleurs, des tailles différentes. Ils sont un langage dont on aurait perdu le code, dont on ne distingue plus le signifiant du signifié. Leur répétition est rassurante, leur transfert est perturbant. Même s’il est possible de retrouver la source d’une de ces figures géométriques, on ne peut établir de hiérarchie dans leur représentation tant toutes les parties de l’œuvre sont interdépendantes. Des captations, des exports et des déplacements dimensionnels viennent troubler notre compréhension de ce qui est original et de ce qui est copie, provoquant ainsi un rapprochement entre l’objet et sa représentation reproduite à l’infini. C’est cette fameuse perte d’aura de l’objet d’art que décrit Walter Benjamin.

Brouillages / Interference Patterns trouve son sens dans une zone mouvante où se rencontrent les notions d’objet et d’image. Tantôt l’artiste utilise un objet imprimé pour créer une image numérique, tantôt il donne une tangibilité à une image en l’imprimant numériquement sur un objet. De ce fait, il rend indissociable l’objet de son image, créant ainsi, pour reprendre l’expression d’Artie Vierkant, des images-objets. Dans cette démarche, Philippe Blanchard adapte au monde de l’imprimé le modus operandi du mouvement post-internet : le développement d’une nouvelle relation physique entre des objets et des images en regard de leur matérialité, de leur mode de présentation et de leur diffusion à l’ère du numérique. Dans ce climat où les images-objets peuvent être reproduits un nombre incalculable, modifiés sans limite et rematérialisés de n’importe quelle manière, cette aura de l’œuvre d’art pourrait bien ne plus exister. Ou alors s’est-elle assujettie à ces variations infinies, sans point de référence, sans origine, devenant le flux entre ces multiples instanciations dans lesquelles l’artiste a, de manière volontaire ou non, programmé dans leur code brouillages et perturbations.

Gauthier Melin