Erik Kessels, All Yours, 2015. Tiré de in almost every picture #9, 2011. Carte postale

Erik Kessels, Joachim Schmid et Judith Bellavance, vernissage le samedi 12 septembre à 19h à Occurrence

ERIK KESSELS
All Yours
 
Graphiste, publicitaire, éditeur, collectionneur, commissaire d’exposition et artiste, Erik Kessels incarne le profil du créateur transversal caractéristique de l’ère numérique, où les différents rôles associés à l’activité créatrice ont tendance à se confondre. Dans ses projets, Kessels s’intéresse aux formes les plus populaires et les plus triviales de la photographie, tels les albums de famille, les annonces pornographiques et la documentation commerciale, qui sont habituellement exclues des musées et de toute autre instance de consécration. Profitant de l’extraordinaire abondance et de la disponibilité actuelle des images, Kessels récupère tel un chiffonnier ces matériaux rejetés, jusqu’à y trouver de véritables trésors. Détournées de leur fonction originale par un geste duchampien, les photographies recyclées révèlent alors, grâce à leur nouvelle mise en valeur, une esthétique inattendue et des arrière-pensées sous-jacentes laissant entrevoir une écologie de l’image.
 
All Yours (2015) est une installation conçue spécialement pour Le Mois de la Photo à Montréal à partir de collections de livres thématiques et de publications réalisées antérieurement par Kessels, dont in almost every picture, Useful Photography, Album Beauty, Mother Nature, Models, ME TV, Photo Cubes, Unfinished Father et Bombay Beauties, de même que de matériaux inédits compilés plus récemment. Les deux premières de ces sources – toutes deux amorcées en 2001 – sont les plus ambitieuses. In almost every picture (2001-2015) est un projet de longue durée consistant en un ensemble de livres de photographies portant sur la narration à partir d’images vernaculaires. Useful Photography (debuté en 2001) est un magazine monographique composé de photographies sans intérêt prises à des fins utilitaires et laissées pour compte. Les images de ce magazine ont été compilées et publiées par Hans Aarsman, Hans van der Meer, Julian Germain et Erik Kessels.
J.F.
 
 
JOACHIM SCHMID
Other People’s photographs
 
Joachim Schmid est un artiste établi à Berlin qui se consacre à la récupération de photographies vernaculaires depuis le début des années 1980, incarnant ainsi la figure du glaneur visuel. L’ère numérique l’a amené à se tourner vers Internet, où il poursuit sa réflexion sur l’avenir de la photographie au sein d’une culture mondialisée. Dans le contexte actuel de frénésie et de déchaînement des images, Schmid fait partie de ces artistes qui entendent les apprivoiser et les maîtriser. Sa série Other People’s Photographs (2008-2011) se compose d’une collection de 96 livres autoédités comportant chacun une sélection d’images trouvées sur Internet selon un critère de classification plutôt insolite. Schmid constate que lorsque les images perdent le fil de leur origine, leur production effrénée nous entraîne dans un chaos absolu ; la mission de l’artiste consiste alors à rétablir l’ordre ou, à tout le moins, un ordre possible. Un ordre qui, non sans un clin d’œil malicieux, sème la confusion dans l’esprit d’un public naïf, mais suscite la complicité d’un public connaisseur, savourant cette parodie caustique des méthodologies de classification « officielles » des historiens et des musées.
 
Chaque volume de Other People’s Photographs rassemble un contenu varié en fonction d’un facteur unificateur – aussi arbitraire et absurde que cela puisse paraître –, établissant ainsi des manières possibles de catégoriser le monde. Mais, en fait, en récupérant pour la culture post-photographique la volonté encyclopédique de D’Alembert et de Diderot croisée avec les paradoxes pédagogiques de Borges, Schmid vient ébranler la cohérence de toute théorie de catalogage et d’archivage.
J.F.
 

 

Dans le cadre des Inéluctables
 
JUDITH BELLAVANCE
Prononce mon nom
 
Ces humains-fleurs, ces êtres hybrides sont nés de la combinaison de portraits de personnes décédées, que l’on trouve sur certaines pierres tombales, et de fleurs entières, leurs pétales et leur pistil prélevés aux bouquets qui les ornent. La fonction commémorative du bouquet de fleurs déposé au cimetière est ici détournée par l’artiste qui s’en approprie les pétales pour les placer sur des portraits afin certes, d’en préserver l’anonymat mais également, d’opérer leur métamorphose. Masque, voile, coloration, le pétale ajoute à l’image existante et la modifie, l’entraîne dans l’exubérance, la beauté, la joie. Elle est négation du fait de la mortalité, célébration iconoclaste, pied de nez à la mort, jubilation insolente.
L’ensemble se présente comme un herbier où sont collectionné et amalgamé fleurs, hommes et femmes, tous aplatis par le rendu en deux dimensions de la photographie. Les images d’hommes et de femmes sont ténues, minces, flottant sous la surface d’un support où on a souhaité les maintenir immortelles, les rappeler à la mémoire, mais où elles tendent vers l’effacement et la disparition. Elles portent les traces de retouches apparentes, les traits redessinés, la coloration ajoutée, comme on maquille les corps embaumés. Mais qui se souviendra réellement de ces visages et pour combien de temps ? Le temps est le premier sacrilège avant même le geste de l’artiste; craquelures, altérations, poussières, décoloration, saletés en surface, figurent l’oubli inévitable. Elles en sont les traces matérielles auxquelles s’ajoutent les interventions de l’artiste.
De ces visages ne subsistent que des fragments; une chevelure, un menton, une joue, qui se présentent comme autant d’invitations à deviner ce qui a été oblitéré. Le masque des pétales est par endroits opaque, à d’autres, transparent. Les pétales laissant percevoir leur propre minceur et fragilité, leurs formes se marient à celles des visages, ici, épousant une coiffure, là, recréant un nez ou encore, dessinant sur les yeux, un loup.
Le pétale de fleur posé en surface se tend vers l’avant, vers l’actualité du présent. Le portrait photographique du décédé, lui, apparaît lointain, granuleux, provenant d’une temporalité passée, il tend vers l’arrière. Le pétale de fleur est actuel, vibrant, vivant — quoique son existence soit éphémère et sa fanaison éminente — il se situe dans notre temps, celui du regardeur. Il est témoignage du passage de l’artiste et de ses gestes qu’elle a voulu enregistrer. Il est force qui tire le passé vers l’avant, le surpasse et le transforme.
 
 
Abonnez-vous au bulletin du Réseau art Actuel