Image : Diane Morin

Diane Morin, Martin Lord et Julie Faubert, vernissage le jeudi 9 mai à 20h à Clark

Le dessin est à l’honneur pour cette dernière exposition de la saison au Centre CLARK, qui présente le travail de deux artistes l’explorant dans sa relation à l’espace. Le grand calculateur I (apprendre à compter) 2013, nouvelle installation cinétique de Diane Morin, occupe la galerie principale. Formée d’un agencement de composants électroniques de base que l’on nomme relais électromécaniques, l’œuvre rend visible le fonctionnement d’un système logique basé sur le calcul binaire, fondement de l’informatique. Comme l’explique Morin « Le relais électromécanique est composé de deux éléments : une bobine de fil de cuivre et une série de commutateurs mécaniques. Lorsque la bobine est alimentée par du courant électrique, elle devient aimantée. Les commutateurs mécaniques réagissent à ce magnétisme : ils changent de position lorsque la bobine reçoit du courant électrique. En branchant les bobines et les commutateurs de plusieurs relais électromécaniques entre eux, il devient donc possible de construire un réseau logique. »

Dans un environnement blanc, des commutateurs sont connectés par des fils à des relais fixés sur des plaquettes alignées au mur et reliées entre elles. Ces relais, qui produisent des cliquetis mécaniques et un clignotement lumineux trahissant leur activité, engendrent l’affichage, à intervalles variables, de nombres sur des modules. La disposition au mur des éléments de différentes échelles, alliée au titre de l’œuvre, rend perceptible le déroulement du processus simple d’addition qui s’opère sous nos yeux. Rendu possible par le mécanisme mis en œuvre dans l’installation, ce processus de calcul, spatialisé, s’apparente visuellement à un dessin. Tendus entre des murs opposés, certains des fils se transforment d’ailleurs en traits dessinés dans l’espace. Ultimement, l’ensemble du dispositif indique, en temps réel, le nombre de commutateurs activés ou désactivés dans une des parties de l’installation. Ce détour pour « prouver » la logique d’un système est une bonne illustration de la fascination qu’éprouve Morin non pas pour le résultat obtenu mais pour le processus y menant.

Autodidacte, l’artiste a élaboré l’architecture de ce système à l’aide de relais – des éléments de base, maintenant désuets, témoignant de l’évolution de l’informatique et de son histoire – pour explorer justement la logique régissant le développement de cette discipline. Ayant opté à plusieurs reprises dans sa pratique pour l’emploi de mécanismes simples – petits moteurs, mécanismes de transfert de forces reposant sur l’action de leviers et de bielles, microcontacts, circuits électroniques, etc. –, Morin paraît souvent séduite par le « low tech », à la fois source d’inspiration et d’étonnement. En utilisant des techniques et des dispositifs pour les démystifier, elle renoue avec l’effort humain à l’origine de ces systèmes au fonctionnement abstrait pour la majorité d’entre nous, mettant en question du même coup notre rapport de dépendance à la technologie.

La petite salle du Centre CLARK accueille pour sa part la plus grande installation de dessins produite à ce jour par l’artiste Martin Lord, qui pousse ici davantage le rapport entre dessin et scénographie exploré notamment lors de son exposition au centre AXENÉO7 à l’automne 2011. Intitulée Pero, yo creo quesi! [ Mais je crois que c’est vrai ! ], 2013, l’installation, composée d’une vidéo et d’une vingtaine de dessins majoritairement au graphite, mise sur les idées de tromperie, d’illusion et de jeux de perception qui marquent les univers propres aux personnages du magicien et du voleur à la tire, mieux connu sous le nom de pickpocket. Les mains gantées et les regards aux aguets se multiplient ainsi dans ces images mettant en scène une narration libre sur fond de ces deux professions nécessitant une dextérité extrême. Un lien entre ces dernières et le cinéma et ses techniques d’illusion, visant le même objectif puisqu’il s’agit ici aussi de faire croire à un événement a priori improbable, est proposé par l’ajout au corpus de dessins présentés de l’œuvre vidéo La chaise d’Houdini, 2013, où une réplique miniature de la chaise employée par le célèbre personnage se déplace d’elle-même, magiquement, dans un espace domestique esquissé au crayon. Une teneur mystique transpire également des compositions où le travail de la ligne évoque des effets de rayonnement ou de circulation d’énergie qui contribuent à donner un côté occulte à l’ensemble. Pourtant, les dessins rappellent également le pictogramme didactique, le dessin technique, le plan ou la maquette architecturale à l’esthétique tout ce qu’il y a de plus terre à terre. Bien que leur facture soit réaliste, de petits détails ayant à trait à la perspective, ou à l’échelle, faussent l’effet d’ensemble et révèlent ainsi le leurre, rabattant du même coup l’espace tridimensionnel représenté sur le plan bidimensionnel du dessin. La technique, le faire, participent ainsi du contenu de l’œuvre, et provoquent une réflexion sur le moment de désaisissement du regard lorsque le pacte de croyance maintenant l’illusion est rompu.

Disposées dans l’espace sur une structure suspendue rappelant la forme d’un losange, les œuvres exposées se répondent afin non pas d’illustrer une histoire qui aurait été construite en amont mais plutôt de circonscrire un événement, sans jamais que l’on sache trop ce qui vient avant ou après dans le déroulement des actions. L’emploi de mots, dont le rendu en font des dessins à regarder au même titre que les autres, contribue à accentuer l’impression qu’il faut chercher à lire la série en tant que récit. Ces dessins en particulier – représentant des mots –, à cause de leur valeur sémantique, devraient orienter la compréhension d’ensemble du projet mais ils ne se révèlent qu’une porte d’entrée dans l’œuvre parmi d’autres, n’étant pas dans un rapport d’explication ou d’illustration avec les images. La structure, dirigeant le parcours, propose bien sûr un ordre de lecture, tout en offrant des percées qui ouvrent sur des espaces et encadrent le regard, mais bien malin celui qui saura réellement saisir le nœud de l’histoire, qui reste en suspens, les images et les mots dessinés ne faisant qu’effleurer le propos, tournant autour du récit sans jamais s’y engager de front.

Anne-Marie St-Jean Aubre

www.dianemorin.net
www.martinlord.info

 

Projet audio de
Julie Faubert : Espace no. 1

« J’ai eu envie d’exploiter la situation spatiale singulière du poste audio : une espèce d’antichambre à l’exposition, lieu d’écoute et de circulation à la fois. J’ai voulu construire un espace sonore qui s’arrime à l’espace concret, le questionne, crée des courts-circuits entre l’imaginaire et le réel. Des sons qui, peut-être, nous font croire que le monde pourrait être autrement. » JF

Dans une perspective transdisciplinaire, Julie Faubert s’intéresse à l’espace qu’occupe/inoccupe le corps en Occident. Elle questionne le dualisme fondateur de nos perceptions, de nos espaces et de nos mots. S’interrogeant sur les multiples opérations qui engendrent, nourrissent et affirment le conformisme endémique de nos sociétés occidentales, elle cherche des manières de réactiver le sens de l’invention et de troubler notre relation paisible à l’espace en installant une certaine… vigilance. Depuis 2001, elle a réalisé de nombreuses installations et interventions qui arriment pratiques d’écriture et cueillettes d’objets aux démarches relationnelles, aux pratiques sonores et aux dérives urbaines.

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