Sandra Volny, Where does sound go, where does it come from (2016)

Ali El-Darsa, Gabriela Golder, Sandra Volny et Roberto Santaguida, vernissage le jeudi 8 septembre 17h à Dazibao

Ali El-Darsa
Né au Liban, Ali El-Darsa vit et travaille maintenant entre Berlin, Montréal et Toronto. Il détient une maitrise en Visual Studies de la John H. Daniels Faculty of Architecture, Landscape and Design de l’Université de Toronto et un baccalauréat de l’Université Concordia (Fine Arts, Intermedia/Cyberarts). Son travail en vidéo, en performance ainsi que ses œuvres sonores et installatives ont été présentées tant au Canada que sur la scène internationale.

Ses œuvres s’articulent autour de questions d’identité, de conception de soi et d’histoires personnelles examinées dans des contextes tant publics que privés. La parole joue un rôle important dans son travail comme outil d’examen, de réflexion et de médiation pour souvent questionner la spécificité des médias et leur rôle crucial dans la création de souvenirs et de récits mis en réseau.

Dans The Color Remains the Same, l’artiste prend ses distances face à la réalité par l’utilisation d’un téléphone portable comme témoin, quoique peu fiable, d’une tranche de son expérience à Beyrouth. Le montage chaotique de la vidéo, tant au niveau du son que de l’image, s’inscrit complètement dans le ton de ce dont elle témoigne, mettant en relief la confusion. Des prises de vue du haut d’un balcon donnent à voir toute l’effervescence euphorique engendrée par la victoire de l’Allemagne en finale de foot, rythmée par les pétarades de feux d’artifice. Puis, à des captures d’écran d’un bulletin de nouvelles télévisées documentant en direct une explosion sur une place publique, se superpose la conversation d’un couple qui ironise sur leur sortie potentielle en de telles circonstances. Des images d’une remise de diplômes dont la bande sonore est un hymne à la terre de liberté qu’est le Liban précèdent d’autres images particulièrement « instables » provenant d’un enregistrement involontaire de la même explosion préalablement vue au bulletin de nouvelles. Dépourvu d’objectifs formalistes, l’œuvre atteint pourtant une forme qui correspond en tout point au tumulte ambiant et, surtout, peut-être, qui symbolise cette difficulté pour l’individu d’y trouver sa place. Tout autant le son (particulièrement la parole) que le visuel dans cette vidéo entretiennent une confusion qui permet d’alimenter des interprétations multiples. Ali El-Darsa propose, dans ce désordre organisé, un intéressant questionnement sur les liens entre la perception individuelle et la mémoire collective alors qu’une grande part de notre « réalité » est préalablement médiatisée.

The Document Remains the Same se pose presque en écho à The Color Remains the Same. Encore une fois, l’artiste use de cet outil populaire – vraiment low-tech – qu’est le téléphone cellulaire pour réaliser l’œuvre. Cette fois-ci toutefois, non pas tourné vers son sujet, mais plutôt comme une extension du corps du protagoniste, produisant donc des images très parcellaires et agitées. The Document Remains the Same prend ancrage dans l’attentat suicide d’un membre de l’État Islamique dans un hôtel de Beyrouth alors que les forces de sécurité intérieure libanaise allaient procéder à son arrestation. Attentat prématuré puisqu’à l’origine le kamikaze devait se faire exploser dans une banlieue sud de Beyrouth, pendant le Ramadan. Aucune image à ce sujet, ou de ces lieux, ne nous est montrée puisque la vidéo est constituée d’un seul long plan séquence cadrant essentiellement le sol foulé par deux personnes parcourant fébrilement la ville. Une conversation en laisse filtrer quelques détails dans un échange verbal entrecoupé, parfois nerveux, où il est question de se rendre le plus rapidement possible sur les lieux de l’explosion. Présentée sur un écran divisé en deux, l’œuvre montre d’abord à gauche une version non sous-titrée de la vidéo, donc essentiellement en arabe, puis dans un second temps à droite une version sous-titrée. Pourtant, le document reste le même, toujours avare de précisions, davantage modulé par la bande sonore, par son rythme, ses tensions et par notre sentiment de faire corps avec le protagoniste dans ses efforts pour se retrouver dans une ville qu’il redécouvre 14 ans plus tard.
 

Gabriela Golder
Gabriela Golder est née à Buenos Aires. Artiste, professeure et commissaire indépendante, elle est directrice de CONTINENTE, un centre de recherche en art audiovisuel de la Universidad Nacional de Tres de Febrero ainsi que de La Bienal de la Imagen en Movimiento (BIM). Depuis 2013, elle est commissaire invitée du programme de vidéo et de cinéma expérimental du Museo de Arte Moderno de Buenos Aires. Ses vidéos, films et installations ont été présentés dans de nombreux lieux d’exposition et festivals à travers le monde et récompensés par plusieurs prix et bourses. Témoin scrupuleux des mouvances politiques, sociales et économiques de l’Argentine contemporaine, l’œuvre de Gabriela Golder explore métaphoriquement les notions de mémoire collective, d’identités et de droits.

Le terme anglais « Conversation Piece » désigne un genre pictural entre le portrait, la scène domestique et le paysage. Typiques de la bourgeoisie anglaise du XVIIIe siècle, ces tableaux mettent en scène une activité familiale à laquelle le spectateur, souvent, se sent convié. L’œuvre de Golder intitulée Conversation Piece emprunte à ce genre pictural tout en faisant de la bourgeoisie même un sujet de discussion. Dans ce tryptique vidéo, l’artiste met en scène sa mère, militante au Parti communiste argentin, et deux fillettes qui non sans heurts lisent à voix haute le Manifeste du Parti communiste rédigé par Marx et Engels en 1848. La présentation sous trois différents cadrages de cette scène procurent au spectateur l’impression d’être de cette conversation où une femme plus âgée commente et explique des concepts dont la complexité échappe en grande partie aux fillettes. Au fil de la lecture de ce texte emblématique, elles plongent toutes trois dans l’histoire de la lutte des classes, de la rébellion sociale provoquée par l’industrialisation du 20e siècle puis dans ce qui seraient les principes fondateurs de la société moderne. Toutes ces oscillations entre lectures, questions et explications, mutent lentement vers une métaphore sur le cours de la vie, figurant ses difficultés, ses doutes, ses erreurs, ses défis et surtout cette nécessaire résilience à la survie.

Pour Tierra Quemada (Terre brûlée), Gabriela Golder réfère à une catastrophe ayant marqué récemment le Chili : un feu rasant les collines surpeuplées de Valparaíso, a fait plus de 12 000 victimes et détruit près de 3 000 maisons. L’incendie a été qualifié de catastrophe naturelle par les autorités qui ont accusé divers facteurs climatiques comme la sècheresse, la direction du vent, d’avoir attisé le brasier. On ne peut toutefois nier que les piètres conditions de vie des habitants – les amoncellements de matières inflammables, une alimentation en eau restreinte en plus d’un accès des secours rendu difficile par des rues très étroites – se sont avérées être déterminantes dans l’étendue du désastre.
Dans la version officielle de la police chilienne, le samedi 12 avril 2014, en fin d’après-midi, deux oiseaux posés sur un fil électrique, secoués par des vents violents se sont électrocutés. Portées par les forts vents, quelques étincelles  auraient démarré le brasier. Dans une œuvre éloquente de sobriété, un plan fixe en noir et blanc du paysage dévasté où ne persistent que quelques silhouettes d’arbres accompagnées du pépiement insouciant des oiseaux, Golder atteste du tragique évènement, tout en laissant planer le doute sur la nature accidentelle de la chose. Les chants d’oiseaux omniprésents sur la bande sonore semblent défier la version émise par les autorités chiliennes.

Sandra Volny
Artiste sonore, Sandra Volny travaille également la vidéo, l’installation et la performance. Les espaces sonores – la spatialisation du son, la création de paysages sonores – sont au centre de ses recherches. Souvent Volny utilise le son comme élément déclencheur permettant à l’imaginaire collectif et individuel de se manifester. Ses projets examinent la dualité inhérente au son. Une dualité qui positionne le son à cette intersection entre l’acoustique et le visuel, entre ce que l’on entend et l’image que l’on s’en fait. Dans son travail, elle s’intéresse tout particulièrement à ces occurrences où la conscience qu’a un individu de son environnement se construit par le biais du son.
Sandra Volny poursuit actuellement des études à l’École doctorale Arts Plastiques, Esthétique et Sciences de l’Art à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Son travail a été présenté, entre autres, au raumLABOR – 267 Quartiere für zeitgenössische Kunst und Fotografie à Braunschweig (Allemagne), à la Galerie Leonard-et-Bina-Ellen (Montréal), à la Fonderie Darling (Montréal) et à la Galerie Michel Journiac (Paris). Elle est cofondatrice de Triangular Project, un collectif itinérant, avec les artistes Florine Leoni et Macarena Ruiz-Tagle.

Where does sound go, where does it come from est une installation vidéo et sonore qui explore la frontière – voire le point de tension – entre le son et la vision, entre ce qui est vu et ce qui ne peut être vu mais entendu seulement. L’installation alterne entre voir/entendre et écouter/visualiser en s’appuyant sur le bruit blanc de l’océan comme espace auditif d’où émergent des récits appartenant tantôt à l’imaginaire individuel et parfois à l’histoire collective.

Alors qu’elle était en résidence à la baie de Coliumo, Chili, Volny s’est intéressée aux différents modes d’orientation des pêcheurs locaux. Elle constate que ces derniers sont capables de naviguer dans les conditions hasardeuses, sombres et brumeuses de la côte du Pacifique en se fiant à peu près exclusivement au son. Intriguée par cette découverte, Volny réalise une série d’entrevues dans lesquelles elle fait écouter aux participants des enregistrements réalisés sur la côte. Les pêcheurs locaux y dévoilent la capacité de géolocaliser avec précision les baies, côtes et péninsules en écoutant l’écho des vagues contre les rochers. Au-delà du travail très sophistiqué autour du son, c’est aussi par le contexte social et politique dont elle dresse le portrait que l’œuvre de Volny intéresse. Ces pêcheurs qui travaillent dans des conditions extrêmement rudimentaires ont su développer des habiletés si fines, ajoutées à la mémoire des lieux, qu’elles rivalisent en acuité avec les technologies de la pêche industrielle. Une équation troublante dans la mesure où ces pêcheurs artisanaux sont menacés tant par les impératifs économiques des grands chalutiers que par les impératifs écologiques visant la conservation du littoral. L’œuvre de Volny, au-delà de l’imaginaire que déploie le son, témoigne aussi d’une identité culturelle et d’un mode de vie que l’on devine fragiles.
 

Roberto Santaguida
Résidence de production-diffusion en collaboration avec PRIM

Roberto Santaguida est né à Montréal. Depuis la fin de ses études en Cinéma à l’Université Concordia, ses films et vidéos ont été présentés dans plus de 250 festivals à travers le monde, mentionnons entre autres : CPH: DOX, Copenhagen International Documentary Film Festival (Danemark), Contemporary Art Festival Sesc_Videobrasil (Brésil), transmediale (Allemagne) et Festival international du film Entrevues Belfort (France). Il a également été accueilli comme artiste en résidence dans de nombreux pays dont les États-Unis, la Roumanie, l’Allemagne, la Norvège et l’Australie. Il est le récipiendaire du K.M. Hunter Artist Award, d’une bourse offerte par la Akademie Schloss Solitude en Allemagne, de même que de la bourse PRIM/DAZIBAO lui ayant permis de réaliser le projet présenté dans le contexte de cette exposition.

Dans son travail, Roberto Santaguida cherche à réévaluer les traditions et les codes de la forme documentaire en faisant des films expérimentaux hors des balises convenues de l’objectivité ou de la subjectivité. Alors que le spectateur est normalement plongé dans un sentiment d’attente ou d’anticipation, Santaguida cherche à mettre  de l’avant un sentiment d’immédiateté et d’intimité. Sentiment particulièrement renforcé par le dispositif de présentation qui brise une large projection en mosaïque afin de découper la narrativité en de multiples moments ou facettes.

Dans Peripheral Island, l’artiste pose son regard sur le monde mais surtout offre une belle part à la parole des  autres. Une parole dont les voix sont laissées à l’état brute mais orchestrées entre elles et combinées à une trame musicale, elle, très sophistiquée – Bach, Beethoven, Vivaldi. Quoiqu’ayant une présence physique marquée, de par son dispositif de présentation morcelé qui par moment ressemble à un tableau clignotant, l’œuvre de Santaguida captive particulièrement par les propos tenus, par l’intimité qui s’en dégage. C’est à un sentiment de proximité à la fois physique et affectif que le spectateur est convié. Pour réaliser Peripheral Island, Roberto Santaguida a réuni quelques-uns de ses amis proches mais surtout des inconnus, recrutés pour leur expérience de vie et la diversité des points de vue qu’ils pouvaient offrir. À tous, l’artiste a posé les cinq mêmes questions. Une de ces questions a eu plus d’impact que les autres, a suscité les réactions les plus vives : « Quand avez-vous réalisé que vous alliez un jour mourir ? »

 

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