© Nelson Henricks, de la série Monochrome A to Z (2012)

A Lecture on Art et Spécial Vtape Special, exposition du 25 avril au 20 juin à Dazibao

Nelson Henricks | A Lecture on Art 

Dans un monde où les mécanismes propres aux technologies de la communication sont souvent invisibles, révéler ces derniers s’avère un geste socialement et politiquement puissant. Les œuvres d’art utilisant ces technologies peuvent éclairer la compréhension des interactions entre technologie, contexte social et subjectivité. N.H.

Artiste, écrivain, musicien, parfois commissaire, Nelson Henricks est une figure incontournable de la vidéo actuelle. Depuis plus de trente ans, il développe une œuvre dense, véritable laboratoire de recherche sur des questions telles que la représentation visuelle du son, le passage du temps, les translations induites par toute forme de traduction– d’une langue à une autre, d’un médium à un autre, d’une notion à une autre – de même que les champs sémantiques révélés par ces glissements. La pratique de Nelson Henricks va de simples monobandes à des installations complexes à plusieurs canaux et à des projets intégrant divers autres techniques ou matériaux. 

Le présent projet porte une attention particulière aux questions de séquence et de temporalité, ainsi qu’au langage et à la transmission des idées. Un premier corpus d’œuvres emprunte son système à l’alphabet. Sont d’abord réunis vingt-six tableaux monochromes dont les couleurs correspondent à celles où l’artiste, synesthète, voit les vingt-six lettres. Suit une série de « dessins » en noir et blanc exécutés à la dactylo, répétant sur chacun une seule lettre jusqu’à combler l’espace de la page. En parallèle, une séquence de vingt-six diapositives documente la redisposition, semaine après semaine, des tables d’une salle de classe pour former une à une les lettres de l’alphabet.
Présentée en forme de T, l’installation vidéo qui donne son titre à l’exposition, A Lecture on Art, occupe la plus grande partie de l’espace. L’œuvre emprunte son titre et s’inspire d’un texte écrit en 1882 par Oscar Wilde et livré par lui lors d’une tournée en Amérique. Ce texte nous est parvenu dans la transcription qu’en fit Helen Potter, transcription qui tente au-delà du sens des mots d’en consigner la phonétique (l’aspect sonore, voire musical) comme l’intonation, la vitesse d’élocution ou l’accent de Wilde.
 
À l’opposé d’une reconstitution, Nelson Henricks fractionne son interprétation de ce texte en quatre segments qu’il isole les uns des autres sur des écrans distincts que le spectateur ne peut embrasser d’un seul regard. Acteur / texte / bruitage / décor, la fonction de chacune des parties du tout est rendue manifeste. Devant l’impossible unité visuelle, la recombinaison des segments se fait néanmoins dans l’immédiat de façon rythmique par le son. À la manière de rhizomes, les quatre parties de l’installation sont unies par un réseau de connexions multiples sans hiérarchie nette. Comme quoi pour passer du monde de la perception à celui des idées il faut rompre l’unité apparente du réel et le décomposer. Idées, images et son peuvent ainsi être détachés de leur contexte initial pour se nourrir à un riche système de correspondances favorisant l’éclosion de nouveaux paramètres de perception et de réflexion.
UNE CONFÉRENCESUR L’ART de Oscar Wilde
 
Tout ce qui est fait de la main de l’homme est soit laid, soit beau et peut tout aussi bien être beau que laid. Rien de ce qui est fait n’est trop pauvre, ni trop insignifiant pour n’être fait dans le but de plaire à l’œil de l’esthète.
Les Américains, en tant que peuple, ne sont pas doués de sens pratique, même si une telle assertion peut vous sembler risible. Quand j’entre dans une pièce, je vois un tapis à motif vulgaire, une assiette craquée sur le mur, avec une plume de paon plantée derrière. Je m’assieds sur une chaise mal collée, fabriquée à la machine, qui grince quand on la touche. Je vois une horreur dorée, criarde, ayant la forme d’un miroir et une monstruosité en fonte qui fait office de lustre. Tout ce que je vois a été fait pour être vendu. Je me retourne en quête des beautés de la nature, mais en vain, car je ne vois que rues boueuses et bâtiments laids ; tout me parait être de seconde classe. Par seconde classe, je veux dire de celle qui ne cesse de diminuer en valeur. L’ancienne cathédrale gothique est plus solide, plus forte et plus belle maintenant qu’elle ne le fut dans le passé. Il est une chose pire que l’absence d’art et c’est l’art mauvais.

 
Originaire de Bow Island en Alberta, Nelson Henricks obtient un baccalauréat du Alberta College of Art and Design (1986). En 1991, il s’établit à Montréal où il complète un baccalauréat en études cinématographiques à l’Université Concordia (1994). Henricks est rapidement reconnu pour ses monobandes et ses installations vidéo, qui seront diffusées partout à travers le monde. Dès 2000, le Museum of Modern Art (New York) lui consacre un programme dans le cadre de sa série Video Viewpoints. En 2002, il reçoit du Conseil des arts du Canada le Prix Bell Canada d’art vidéographique et en 2010 la galerie Leonard-et-Bina-Ellen lui consacre, sous le commissariat de Steve Reinke, une importante rétrospective accompagnée d’une publication : Time Will Have Passed Le temps aura passé. Henricks a également participé à de nombreuses expositions collectives, par exemple dans les dernières années à la Triennale québécoise du Musée d’art contemporain de Montréal (2011) et à Made in Calgary: The 1990s au Glenbow Museum (Alberta, 2014). Nelson Henricks enseigne la vidéo et l’histoire de l’art à l’Université Concordia de même que dans les autres universités montréalaises. A Lecture on Art est un projet développé en vue de l’obtention d’un doctorat en Études pratiques des arts (UQÀM).

 

Spécial Vtape Special 
 
PROJECTION LE 30 AVRIL À 17 H 30 EN COMPAGNIE DE WANDA VANDERSTOOP, DIRECTRICE DE LA DISTRIBUTION CHEZVTAPE, SUIVIE DU VERNISSAGE
 
Quoique s’étant au départ surtout développée en marge d’autres disciplines artistiques, la vidéo a eu un impact immense sur la production en arts visuels des quarante dernières années. Sa simplicité technique, son coût de production et de diffusion relativement bas en ont fait un outil de démocratisation de l’art permettant de s’affranchir aisément de préceptes tant académiques qu’économiques. Pour de nombreuses pratiques marginales ou naissantes, la vidéo s’est imposée comme un langage artistique en même temps qu’un outil de revendication et d’affirmation privilégié.
Organisme sans but lucratif fondé à Toronto en 1980 par Lisa Steele, Kim Tomczak, Susan Britton, Rodney Werden, Clive Robertson et Colin Campbell, Vtape est aujourd’hui le plus important distributeur d’art vidéo au Canada. Le catalogue de l’organisme regroupe plus de 1 000 artistes, totalisant plus de 5 000 titres, allant d’œuvres canoniques aux plus hybrides, à celles explorant les dernières avancées technologiques. Depuis sa fondation, Vtape s’est indéfectiblement engagé envers les formes et les discours marginaux, appuyant ces œuvres qui revendiquent un espace, une parole et un pouvoir qui leur sont souvent déniés par la société et ses institutions. Pionnier de la conservation, du développement et de la promotion des arts médiatiques, Vtape défend une vision égalitaire et décentralisatrice des discours et des pratiques, ce qui lui permet de soutenir un large éventail de pratiques.
 
Pour l’exposition Spécial Vtape Special, Dazibao a parcouru librement ce vaste réseau d’œuvres — et d’enjeux esthétiques, sociaux, identitaires et politiques — avec l’idée (sans aucun doute utopique) de tracer en négatif le portrait de cet organisme phare au Canada. Il en résulte moins une synthèse qu’une série de points de vue singuliers à travers différentes trames de l’histoire de la vidéo : allant de la performance au body-art, à l’activisme ainsi qu’aux pratiques féministes, LGBTQ ou autochtones. L’enchainement des treize œuvres réunies dans ce programme n’est ni chronologique, ni thématique. Il appelle plutôt à une lecture non linéaire, dans laquelle chaque œuvre reste pleinement maitresse de son propos. Au final c’est peut-être cette liberté qui offre le meilleur reflet du travail accompli par Vtape.
Programme (présenté en boucle)
 
Blossom (2014), Jesi The Elder, 3:08 — jesi.ca
60 Unit: Bruise (1976), Paul Wong, 4:30 — paulwongprojects.com
BIL’IN (2010), Rehab Nazzal, 4:00
Woodcarver (2011), Ehren BEARwitness Thomas et A Tribe Called Red, 5:44 — atribecalledred.com
World of Strangers (2006), Tom Sherman, 2:45
Exercizes in Faith: Bird (2010), Julieta Maria, 1:52 — julietamaria.com
Quicktime Interruptus (2004), Stephen Andrews, 1:30 — stephenandrewsartist.com
True/False (1972), Colin Campbell, 9:00 — colincampbellvideoartist.com
Deformation (1974), Martha Wilson, 8:00 — marthawilson.com
Fall – from Enlightened Nonsense (1997), Deirdre Logue, 2:00 — deirdrelogue.com
Roman Spring Leakage (2011), Andrew James Paterson, 7:00 — andrewjamespaterson.com
In the Dark (2003), Mike Hoolboom, 8:04 — mikehoolboom.com
Sirene (2006), Freya Hattenberger, 3:30 — freyahattenberger.de
Rubberband (1970), David Askevold, 3:21
 
 
Cette exposition a été organisée pour Dazibao par France Choinière en collaboration avec Vtape. Nous remercions Vtape et les artistes de leur généreuse collaboration ainsi que nos membres pour leur soutien.
 
 
 

Abonnez-vous au bulletin du Réseau art Actuel