Velibor Božović, Nothing Will Surprise You Here (2016). Tirée de la vidéo

Velibor Božović et Kathryn Elkin, vernissage le jeudi 13 avril à 19h à Dazibao

Velibor Božović
Nothing Will Surprise You Here

Il y a plusieurs années, Velibor Božović relevait dans un quotidien montréalais un article énonçant la volonté de la ville de Montréal de souligner le 150e anniversaire de l’invention de la photographie en nommant de nouvelles rues, dans un quartier en devenir, du nom de photographes qui ont marqué l’histoire de Montréal : Ovilla Allard, George Arless, Edgar Gariépy, Alexander Henderson, William Notman et Conrad Poirier. L’idée a piqué la curiosité de Božović, qui a entrepris des recherches exhaustives au sein de diverses archives. Lentement, il a colligé les informations. Aux noms des rues, il attache des images produites par ces photographes, divers documents où celles-ci apparaissent – souvent dans leur contexte de parution initiale –, des relevés topographiques, des vues aériennes, des cartes géographiques et plusieurs documents web attestant de l’existence de ces rues, quoique encore à ce jour ces lieux demeurent de simples terrains vagues (1). Soigneusement, l’artiste adopte l’attitude de l’historien, collige les informations, les documents, archive, structure et organise pour déterminer son propre protocole.

Protocole qui s’est avéré, pour un regard extérieur, à maintes reprises confronté à des enjeux chers à Baudrillard dans son ouvrage intitulé Simulacres et simulation. Publication dans laquelle l’auteur actualise le concept sémantique développé par Alfred Korzybski – la carte n’est pas le territoire – en développant l’idée que l’évolution des médias a brouillé les pistes entre la carte et le territoire, entre la représentation et la réalité, pour laisser place à un hyperréel : une représentation sans origine, sans prise directe sur le monde, mais pourtant nourrie par de multiples références. Donc une manière inversée d’appréhender le monde, où la carte précède le territoire, où potentiellement la représentation génère son objet.
Il est indéniable que l’intérêt pour la photographie a mû les recherches initiales de Velibor Božović. Il est d’abord photographe. Mais ce n’est pas tant le rapport à la limite anecdotique à l’image qui nous intéresse ici, mais plutôt la force d’évocation d’un lieu somme toute resté imaginaire. C’est précisément à cette expérience autre que celle d’une représentation du réel que l’artiste nous convie. Certes, les images sont là, témoignent du territoire, du passage du temps, des saisons. Tout comme les personnages, Catherine et Gustave, attestent leur présence au monde dans leurs échanges, où le lieu est clairement modelé par les sentiments et les impressions qui y sont associés, bien que tout cela reste une vue de l’esprit. Truffés de détails semant le doute quant à la cohésion temporelle de la narration ou à l’adéquation entre le lieu et les comportements, leurs déambulations et leurs récits rendent manifeste que la notion d’espace ou d’appartenance à un lieu est physique, mais qu’elle est surtout mentale et fondée sur l’expérience. Au fil des échanges et des déplacements, l’identité du lieu se dessine, semble éveiller un sentiment d’appartenance qui contribue à construire l’identité même des personnages.
Longue méditation sur la réactivation du passé dans le présent, Nothing Will Surprise You Here se déroule dans un «futur nostalgique» où les histoires individuelles se transigent comme autant d’efforts pour comprendre la complexité et la confusion de la condition humaine. Comme s’il s’agissait de donner corps – quasi littéralement, puisque l’essentiel du propos est incarné par deux protagonistes – et forme à l’idée de la transmission de l’histoire, par le biais d’une métaphore sur l’identité et le lieu d’appartenance. Se dessine alors, dans cette mise en œuvre nourrie à de multiples sources, une ligne narrative ambiguë qui relève à la fois de l’histoire personnelle, de la grande Histoire et de la fiction. Un peu comme si, à l’oubli forcé ou parfois même à l’instinct de survie, succédait, dans une sorte de nécessité, le besoin de dire sous la forme de récits fragmentés afin que puisse poindre la vérité à travers les omissions. Comme si les narrations plus personnelles, en morcelant l’histoire collective ou la version légitime d’un évènement, permettaient d’exorciser le passé ou, à tout le moins, de s’inscrire en rupture avec celui-ci.
Difficile de ne pas y voir une quête en lien avec les origines et le parcours personnel de Božović, pour qui les notions de mémoire collective, de passage, de frontières et de sentiment d’appartenance s’insinuent forcément. Pour qui aussi, inévitablement, la carte a précédé le territoire, incidemment jusqu’à le modeler.
 
(1) Le développement domiciliaire prévu ayant été annulé.

Velibor Božović a grandi à Sarajevo, Bosnie-Herzégovine. Pendant sa vingtaine, le pays de son enfance devient une zone de guerre : il passe la durée du siège de Sarajevo à parfaire ses techniques de survie. Il réside à Montréal depuis 1999 où il a complété une maitrise en arts à l’Université Concordia, après avoir travaillé à titre d’ingénieur en aérospatiale pendant plusieurs années.
Combinant des éléments autobiographiques, documentaires et fictifs, le travail de Velibor Božović s’intéresse à l’influence des images sur la mémoire. My Prisoner, 2012, une œuvre vidéo qui reconstitue un évènement survenu le 3 avril 1994 dans une Bosnie déchirée par la guerre, entremêle des images d’archives et une actualisation fictive de l’évènement. My Prisoner a récemment été présenté aux Rencontres Internationales Paris/Berlin 2016. The Lazarus Project, 2008, un projet de publication réalisé en collaboration avec Aleksandar Hemon, se penche sur la mort de Lazarus Averbuch, un jeune immigrant juif tué par le chef de police de Chicago George Shippy en 1908, a été finaliste en 2008 pour les National Book Award et National Critics Circle Award. Son travail a été présenté dans des expositions et festivals au Canada, aux États-Unis, à Cuba et en Europe. Ses photographies ont été publiées dans The New York Times, Granta, The Paris Review, Descant et le International Herald Tribune. Son travail a été soutenu par le Conseil des arts du Canada et le Conseil des arts et des lettres du Québec. En 2015, il recevait la Bourse Claudine et Stephen Bronfman en art contemporain.

Pont/Bridge — Montréal
Television
Kathryn Elkin,

Performance de l’artiste à 19 h 30
 
Cette exposition fait partie de Pont/Bridge, un partenariat en continu entre LUX et Dazibao. Television est accompagnée d’un programme d’œuvres vidéo d’artistes britanniques sélectionnées par Kathryn Elkin et Benjamin Cook, directeur de LUX. Le programme sera présenté le samedi 29 avril 2017 par leur collaborateur, l’artiste et commissaire George Clark.
 
Dans Television, l’artiste britannique Kathryn Elkin propose quatre films récents ponctués d’une série d’interludes créés spécifiquement pour donner rythme et mesure au programme. L’artiste remanie des formats familiers à la télévision : des entrevues documentaires, des vidéos proto-pop ou des émissions de variétés pour en créer des versions nouvelles et moins stables afin d’explorer ce qu’il est convenu de nommer le télévisuel.

Le travail performatif et vidéographique d’Elkin aborde les jeux de rôle et l’improvisation en portant un intérêt particulier aux accidents, aux scènes coupées et aux diverses pitreries qui surgissent sur les plateaux de tournage. Ses vidéos s’apparentent souvent à des versions simplifiées de vidéoclips ou d’émissions de variétés télévisées et font généralement référence à un artiste, une chanson, un auteur ou un interprète aisément reconnaissable. À ces contenus identifiables, Elkin applique ses propres méthodes de traduction, de transcription et de représentation. Elle s’intéresse à la mémoire culturelle collective et plus précisément aux manières dont la musique populaire, la télévision et le cinéma s’insinuent dans la mémoire individuelle.

Elkin commente : « J’ai voulu utiliser le mot “télévision” au sens abstrait, puisque ce qu’il signifie en pratique est plutôt instable. Il ne réfère plus au poste de télévision dans le coin du salon recevant des signaux. Est-ce un style, un ensemble de durées et de propriétés, ou est-ce plus que cela ? “Télévision”, qui signifie “voir loin” dans ses racines latines, est une sorte de mémoire collective mais qui imprègne également nos mondes imaginaires singuliers, et mes œuvres tentent de sonder cette question. Peut-être que cela pourrait décrire un processus d’examen d’un monde intérieur — peut-être le mien — qui a été profondément influencé par la télévision, peut-être est-ce un moyen de se déplacer à travers différentes perceptions du temps. »

Dame 2 (2016) est la réinterprétation d’une entrevue donnée par l’actrice britannique Helen Mirren en 1975, sous la forme d’une chanson performée par Elkin et une chorale composée de collaborateurs et d’amis réunis pour chanter en disharmonie. L’œuvre souligne l’écart entre le statut culturel de Mirren à l’époque et celui d’aujourd’hui ainsi que le jeu de pouvoir et les incitations à l’autobiographie que sous-tendent l’entrevue.

Dans Why La Bamba (2014), Elkin fournit au musicien John McKeown des phrases tirées d’une entrevue de Dustin Hoffman menée par Michael Parkinson. En résulte une émission improvisée présentant une nouvelle interprétation de la chanson espagnole (un choix d’Hoffman pour Desert Island Discs, une émission de la BBC Radio 4 qui a duré de nombreuses années).

Dans Michael’s Theme (2014), Elkin utilise des fragments inédits des génériques d’ouverture et de clôture de Parkinson — une émission de variétés britannique populaire des années 1970 animée par Michael Parkinson —, entrecoupant les musiciens de l’émission avec de nouveaux enregistrements qu’elle a créé aux studios de la BBC Scotland en 2014. Y sont explorées les normes des émissions de variétés ainsi que la notion d’improvisation dans le contexte d’un format télévisuel enregistré en temps réel.

Your Voice (2016) emploie les conventions de la vidéo proto-pop, empruntant la mélodie de Those Were the Days, une chanson russe rendue populaire dans l’Ouest lorsque Paul McCartney en a produit une version anglaise avec Mary Hopkin. Ce succès de 1968 était accompagné d’une vidéo enregistrée en studio, juste avant l’ère des vidéoclips. Elkin s’intéresse en partie à l’acte du lip-sync dans les enregistrements pop et questionne ce que signifie être une femme performant sans voix dans ce contexte.

Kathryn Elkin (1983, Belfast) possède un diplôme en Environmental Arts de la Glasgow School of Art (2005) ainsi qu’un diplôme d’études supérieures en Art Writing du Goldsmiths College de Londres (2012). Elle était artiste associée à LUX en 2012-2013 et a effectué une résidence dans le cadre du projet Artists in the Archive de la BBC en 2014. Elle est chargée de cours en arts visuels à la Liverpool John Moore’s University. Ses expositions récentes incluent Why La Bamba au CCA Derry-Londonderry avec Seamus Harahan, Fig-2 au ICA (Londres), ainsi que des projections au BFI London Film Festival et au Tate Modern. Elle est récipiendaire de la Warwick Stafford Research Fellowship du BALTIC-Northumbria University.

 
PROGRAMME — We Are All Just Pixels
Lucy Clout, Gail Pickering, Laure Prouvost, James Richards, Stephen Sutcliffe et Corin Sworn & Charlotte Prodger

 

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