Photo : Exposition de Richard Deschênes, Centre d’art et de diffusion Clark, 2023. Crédit : Paul Litherland

«Think big!» ou les grands oubliés du projet Les Espaces bleus

Des études récentes attestent de la forte précarité socio-économique des artistes en arts visuels et en arts de la scène. Cette précarité est la première cause de sortie des artistes des milieux artistiques, à laquelle s’ajoutent le poids des exigences administratives et la course aux subventions.

Le 4 mars 2024, la Coalition avenir Québec (CAQ) annonçait l’abandon de son projet culturel Les Espaces bleus. Après le calcul des surcoûts des quatre projets déjà en chantier, le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, décidait que les 18 nouveaux musées voués à la promotion de l’héritage culturel québécois ne verraient pas le jour. Depuis, Québec solidaire et le Parti québécois proposent de rediriger les fonds restants. Le premier suggère le milieu muséal et le second, les médias régionaux. Au-delà des prises de position partisanes, nous pensons que les grands oubliés sont les organismes voués à la création indépendante situés au début de la chaîne de valeur.

Le milieu culturel est certes composé d’institutions, mais surtout d’artistes et de travailleurs culturels qui les font vivre. Ils sont nombreux à oeuvrer à l’intérieur de petites structures implantées dans nos villes et nos régions depuis les années 1970. Pensons notamment aux centres d’artistes autogérés, organismes à but non lucratif ayant tracé la voie d’une lignée de collectifs voués à l’expérimentation, dont l’histoire demeure largement méconnue et sous-médiatisée. Du fait de leur manque de visibilité, ces organismes sont particulièrement vulnérables aux multiples crises (économiques, politiques, épidémiques, numériques, etc.) qui touchent le secteur. Dans leurs ateliers et leurs bureaux, leurs membres s’affairent à trouver des solutions pour pérenniser leur structure, souvent au péril de leur santé.

Des études récentes attestent de la forte précarité socio-économique des artistes en arts visuels et en arts de la scène. Cette précarité est la première cause de sortie des artistes des milieux artistiques, à laquelle s’ajoutent le poids des exigences administratives et la course aux subventions. Suivant ces constats, nous remettons en question la part de financement octroyée aux artistes et aux travailleurs culturels oeuvrant dans les espaces de création indépendants, qui peinent à réaliser leur mission socioculturelle. Les programmes de promotion de la culture québécoise en contexte numérique sont chers à notre actuel gouvernement, mais la défense tous azimuts des « produits » culturels et des manières de les rendre « découvrables » sur le marché tend à invisibiliser le travail effectué hors de l’industrie et répondant à d’autres conventions.

La CAQ think big avec des projets-spectacles, dont Les Espaces bleus n’ont été qu’une itération, du même ordre que la subvention allouée aux Kings. Difficile de ne pas récupérer l’anglicisme, emprunté au personnage d’Elvis Gratton par la ministre des Transports Geneviève Guilbault en 2022, qui illustre une logique de gouvernance spectaculaire et centralisatrice déconnectée des besoins des principaux concernés.

Le fonctionnement du système de financement en culture perpétue d’ailleurs cette même déconnexion des conditions de pratique des artistes : les sommes allouées à la réalisation de projets artistiques sont rarement arrimées aux besoins de ceux et celles qui les gèrent à bout de bras. À terme, les (trop grandes) promesses mènent à l’essoufflement des travailleurs des milieux artistiques. La promotion de la « culture d’ici » ne devrait-elle pas passer par la pérennisation des structures de création déjà existantes plutôt que par la construction d’un réseau supplémentaire ?

Lire la lettre de Laurianne Deschâtelets dans ledevoir.com
Idées
13 mars 2024

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