LE PETIT GRIS — Rubrique 05 / Situer l’édition en art dans la culture numérique

Rubrique 05

Situer l’édition en art dans la culture numérique

CETTE RUBRIQUE prend comme point de départ la notion de domaine public. Notre but, ici, est d’amorcer une réflexion sur les raisons pour lesquelles l’édition dans les centres d’artistes autogérés est parfois vue comme une contribution à une économie du don. Non conforme au modèle dominant d’échange de marchandises,l’édition en art est plutôt idéalisée comme acte de partage des ressources et comme mode de diffusion des idées, et donc comme ressource illimitée. Quand on emploie ce type de vocabulaire pour décrire l’édition autogérée en art, il est sous-entendu que les acteurs du milieu partagent une « structure affective » avec les contre-publics qui émergent avec le numérique – ceux, par exemple, qui gravitent autour des courants du libre accès, du code ouvert et du Creative Commons.

Nous utilisons ici le terme de Raymond Williams « structure affective » (structure of feeling) pour décrire des transformations de l’organisation sociale rendues possibles par la technologie, mais qui sont en conflit avec les structures qui émanent du cadre juridique officiel. Dans la culture de l’autogestion en art, le sentiment de communauté se crée souvent par auto-identification à un courant artistique avant-gardiste déjà investi dans les technologies de communication et doté d’une orientation contre-culturelle. On peut comprendre de la même façon les mouvements utopiques qui émergent dans la culture numérique, c’est-à-dire comme les prolongements de stratégies contre-culturelles fondées sur l’autogestion et mues par un sentiment d’appartenance affective. Le terme « culture numérique », quant à lui, peut servir à désigner un espace social médiatisé qui se crée à mesure que, sous forme de code binaire, du contenu circule sur les réseaux électroniques.

Selon cette perspective, l’accent est mis sur les plateformes numériques. Pour leur part, les auteurs de ce Guide voient la culture numérique comme un élément parmi d’autres dans un monde physique où une multiplicité de technologies de communication, dont Internet, façonnent les contenus culturels et l’environnement social. Le recours aux formes imprimées traditionnelles et les projets d’édition multiplateformes peuvent représenter une forme de résistance post-numérique aux idéologies faisant la promotion des structures immatérielles propres aux réseaux numériques sans prendre en compte les coûts matériels ou les effets sociaux négatifs susceptibles d’en découler.

Dans un environnement numérique où la facilité du copier-coller encourage l’appropriation, certains experts juridiques et critiques culturels avancent qu’une restriction du financement public aux artistes et aux organismes artistiques s’apparente à une restriction de la liberté d’expression. Obliger les artistes et les éditeurs en art à prioriser les revenus privés – c’est-à-dire les ventes d’objets en galerie, les ventes de livres, les abonnements aux revues et les redevances provenant du droit d’auteur – a pour conséquence de freiner la circulation des idées et des objets culturels. De telles conditions économiques briment la liberté d’expression au sein d’une culture où la reproduction, le partage et la collaboration sont en soi des formes de prise de parole, de réflexion, voire d’identité. Il se peut même que ces impositions limitent la capacité des artistes à remplir leur rôle dans la démocratie, à savoir celui de créer des publics multiples, aux tailles et aux intérêts divers.

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