Jean Dubois, WhiteFeather Hunter et Tristan Matheson, vernissage le jeudi 5 novembre à 17h30 à la Galerie FOFA

L’installation vidéo interactive Tourmente permet aux passants de transformer une série de portraits affichés sur un écran public en soufflant sur le micro de leur téléphone portable personnel. Selon l’intensité de l’air expiré, le visage affiché peut être caressé par une légère brise ou frappé par une violente bourrasque.

L’nstallations à la fois vitales et matérialistes, les œuvres Biomateria + Contagious Matters (« biomatière et matières contagieuses ») s’inspirent de la technique mixte et du numérique pour aborder les thèmes de la théorie de la contagion et de la microethnographie, des épistémologies et des communications haptiques, ainsi que des microécologies. Plus précisément, Tristan Matheson propose ici au spectateur de naviguer au sein d’environnements cellulaires tridimensionnels. L’expérience, qui relève du vécu, reflète les concepts communicatifs qui sous-tendent la théorie sociologique. Ces schèmes sont intégrés à des milieux pathogéniques reproduits à grande échelle, où des cellules cancéreuses font office d’actants grâce à l’emploi d’une technologie de mouvement accéléré. Par ailleurs, WhiteFeather Hunter traite tout particulièrement de la relation entre agents non humains – c’est-à-dire des formes cellulaires – et industries de la création et de la technologie humaines. À cette fin, l’artiste produit des structures textiles à base artisanale où se cultivent des cellules tissulaires d’origine mammifère. L’exposition prend comme prémisse l’exploration de régions où se chevauchent des technologies qui manipulent le corps, la vie et l’existence matérielle de même que des interprétations numériques, autrement dit néomatérielles, de ces superpositions.

Pour réaliser Biomateria, Mme Hunter a conçu des formes biotextiles uniques en leur genre. Elle a d’abord réuni du crin animal miniature et de l’étoffe de crin humain. Ensuite, dans l’enceinte stérile de laboratoires de biosécurité, elle a tissé le tout à la main sur des métiers à impression tridimensionnelle. Immergés dans des boîtes de Petri contenant un milieu de culture cellulaire, les textiles ont été ensemencés de cellules humaines de cancer des os et de tissu conjonctif. Dans leur développement, ces cellules ont utilisé l’armure des étoffes en guise d’échafaudage. De telles structures offrent des méthodes inédites de croissance in vitro des tissus mammaliens. Le piratage d’appareils de laboratoire et les négociations avec la bureaucratie administrative constituent du reste des éléments essentiels du processus créatif. Le projet de Mme Hunter a progressé au rythme de ses résidences artistiques à SymbioticA – le centre d’excellence en arts biologiques de l’Université d’Australie-Occidentale –, auprès du réseau Fluxmedia de l’Université Concordia et au laboratoire Pelling de manipulation biophysique de l’Université d’Ottawa.

L’œuvre de Mme Hunter intègre également le tissage jacquard de pièces illustrant des systèmes écologiques microscopiques. Collectivement, ces créations s’adressent au rôle de l’intelligence tactile : d’une part, l’aisance matérielle que l’être humain acquiert grâce au « fait-main »; d’autre part, les épistémologies haptiques conformes aux agents non humains (des cellules dans le cas présent), tandis qu’elles tendent les unes vers les autres, établissent un contact membraneux et se lient à des fibres croisées afin d’ériger des structures vivantes.

Le volet Contagious Matters dresse un parallèle entre la substance biologique – des cellules cancéreuses en l’occurrence – et le concept de la contagion. Le rapprochement s’opère par microethnographie, méthodologie de travail que privilégie Tristan Matheson. En cours de développement, cette démarche porte sur l’examen de l’activité sociale des microsubstances. Étayée par sa coexistence relationnelle avec l’ethnographie, elle permet en quelque sorte de parcourir et de prospecter le monde microscopique. Aussi bien dans le domaine scientifique qu’en sciences sociales, cette méthodologie hybride transpose derechef le concept de la contagion. Avec un rien de chance, elle pourrait même mettre au jour de nouveaux procédés d’évaluation des microsubstances – au-delà de l’expérience humaine en tant que telle. Empruntant à des pratiques et médiums traditionnels de dimension artistique comme scientifique, l’installation amalgame technologie, science, art et culture. Interprétation visuelle d’une méthodologie en plein essor, elle tente de saisir le concept de la contagion. Pour cela, elle suit l’itinéraire d’un cancer et sa croissance rapide au sein de son écologie propre. Ainsi, le spectateur de cette œuvre multimédia est à même de considérer la contagion comme une activité sociale et d’y percevoir davantage qu’un simple phénomène physiologique. En outre, il peut aborder la culture liée au cancer sous trois angles : le récit audio que livre la mère de l’artiste, qui a lutté contre la maladie; un « portrait » statique du cancer, sur toile; et une vidéo qui, projetée sur celle-ci, provoque une réflexion sur le discours matériel. Entre microcosme et macrocosme, la fusion du visible et de l’invisible s’inverse elle-même dans une création exploratoire; s’opposant à la microsubstance observable, la voix y constitue à peine une présence auditive.

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