Carolyne Scenna, "Savon (ébauche)", gouache, 2025

Sodium de Carolyne Scenna

  • Vernissage le vendredi à 17h
  • Lieu: Diagonale
  • Ville: Montréal

Fruit d’une démarche sensible et attentive dans laquelle les matières se meuvent, affectées par les aléas du temps, Sodium rassemble un inventaire de gestes pratiqués par Carolyne Scenna depuis plusieurs années. Superposée sur les murs de Diagonale, une série de textiles collés en couches laissent entrevoir une collection de taches, de marques, et d’autres microtraces accumulées aléatoirement. À l’origine, les tissus ont recouvert diverses surfaces, et se trouvent maintenant imbibés d’une colle organique qui lui permet de les maroufler directement aux parois de la galerie, effaçant quasiment la distinction entre l’œuvre et son support. Au centre du lieu, Scenna présente une installation de briques moulées, fabriquées à partir de suif de bœuf recyclé, transformé par un processus traditionnel de saponification. Les moules de ces savons de pays proviennent de briques discontinuées, autrefois utilisées pour des éléments architecturaux industriels de la ville, et trouvées à proximité de l’atelier de l’artiste. Pour son intervention murale comme pour son installation, elle réactive objets et phénomènes observables les lieux abandonnés dans la ruine urbaine, soulignant son caractère instable et poreux : les briques, maintenant faites de savon friable, évoquent la construction puis la démolition de bâtiments (et des industries qui les accueillaient), alors que les toiles collées rappellent l’affichage sauvage posé aux parois des sites de construction, ou encore les surfaces sur lesquelles s’inscrivent la vétusté d’une ville en perpétuelle transformation, sorte de déchet monumental. 

Chez l’artiste, le mouvement de la matière est d’abord observable dans le travail d’atelier, lieu où tout bouge, fluctue, change – passant du solide au liquide, du transitoire au fixe, de la condensation à l’évaporation, de la souplesse à la raideur, de l’organique au synthétique, du vrai au faux, du concret à l’abstrait. À l’image de l’élément chimique qui prête son nom à l’exposition, un métal alcalin sensible qui oxyde rapidement à l’air et qui réagit violemment au contact de l’eau, Sodium réunit une quantité de transformations liées aux propriétés spécifiques de ses matériaux de prédilection aux propriétés solubles et souvent réversibles. Inévitablement métamorphiques, les œuvres sont ainsi en travail constant, variant perpétuellement d’état, de texture, de ton ou d’odeur. Si ces variations demeurent parfois au seuil du perceptible, elles traduisent un désir clair : se défaire du mythe persistant de la permanence de l’objet sculptural ou pictural, au profit de dispositifs qui accueillent, voire célèbrent, la métamorphose lente de la matière. Pendant toute la durée de l’exposition, les briques seront en période de cureLeur matière sera en transformation, réagissant lentement à l’air, au temps, à l’humidité ambiante. Le savon s’inscrit dans un temps qui déborde le cadre de l’exposition. Sodium se déploie dans une temporalité réactive à l’accélération perceptible de l’espace urbain et des cycles de consommation qu’elle alimente, lui opposant une éthique du soin inscrite au cœur même des processus qui lui sont chers. Par là, l’artiste interroge aussi la valeur d’échange de l’œuvre, sa circulation. L’espace d’exposition, tout comme l’atelier, agissent comme des filets qui retiennent partiellement les changements de matière, des éponges qui absorbent ce qu’elles rencontrent. En ce sens, les deux lieux deviennent équivalents l’un à l’autre, agissant tous deux comme des intermédiaires, effaçant la distinction nette entre le temps de production et le temps de présentation. 

​- Daniel Fiset

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