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Carte blanche à Simone Dompeyre

Le mardi 13 septembre à 18h au Cinéma Moderne via le GIV et Vidéographe

« L’ART EST UN ASPECT DE LA RECHERCHE FONDAMENTALE » Restany

« Elle (l’œuvre d’art) manifeste quelque chose qui n’était pas donné à la perception que nous avons de l’objet, et qui est sa structure, parce que le caractère particulier du langage de l’art, c’est qu’il existe toujours une homologie très profonde entre la structure du signifié et la structure du signifiant. » Lévi-Strauss

Une heure, rude tâche que de s’en tenir à une heure quand on aimerait partager des jours d’émoi et de découvertes de cette « Capacité (presque) illimitée » du créer, du penser, d’être qu’appelait notre dernière thématique. Dès lors, en extraire le parfum, se limiter à un pays, le mien, pour la langue partagée, le plaisir du footage et celui, fréquent, d’échos du littéraire, du musical, de cette porosité expérimentale qui refuse le diktat de l’écranique et du référentiel.

Pour une ébauche de ce qui trame ces films, mêler les manières de composer avec deux points de vue, deux films si éloignés sur cette figure féminine que Shakespeare inventa pour son Hamlet. Rassembler des options longtemps séparées; en effet, la pellicule garde ses adeptes et le numérique s’appréhende non plus comme un outil, mais comme un médium.

Ouvrir l’éventail des dates avec des images du pré-cinéma de Marey – qui refusait les perforations et, ainsi, la projection cinématographique – et, sinon avec les premiers essais expérimentaux, avec le dernier opus de Robert Cahen, inventeur de l’art vidéo en France, qui y poursuit sa quête du temps, de l’entr’aperçu et le montage comme partition musicale, en footage autogène. Footage sans lequel une programmation expérimentale ne se pourrait, puisqu’il atteste la confiance dans ce principe spécifique du cinéma: le montage et son idée du film comme tissu de signes qui tissés-montés différemment provoquent d’autres sens, sensations, questionnements et puisque, en boutade ? certains pensent qu’il y aurait suffisamment d’images tournées.

S’y incluent des films qui poétisent la pellicule périmée, ou pratiquent le scanner comme faiseur d’images, ou risquent l’oscilloscope sur la musique de Bach. S’y inscrivent le plaisir de voir sauter à la corde la fillette de Marey, celui d’entendre la voix perchée de Sarah Bernhardt – enregistrée en 1903 par Edison -, celle délicieusement faussée de l’hommage – sans chuter dans le mirage de la star – à Scarlett Johansson ou encore et sans parole, la femme en Ophélie revisitée. Et ne pas résister à inclure des opus-clefs de nos programmations – Traverse – certes, sans nos indispensables Canadiens. L’un fait se rencontrer un principe scientifique, une pensée philosophique, le Boléro de Ravel et deux minutes de Sur la Route de Madison jusqu’à l’acmé et la suffocation du désir, de l’achèvement – comme destruction et finale – du film et de la puissance musicale indissociables. L’un sait la dimension temporelle filmique et condense un Hitchcock, sans perdre l’ambiance de la disparition, selon la promesse titrologique qui transforme aussi l’original : The Lady vanished/Une Femme disparaît en The movie vanishes, preuve s’il en est que le narratif n’y sera jamais essentiel ni premier. S’y perçoit le temps différemment sensible dans un lieu de passage des voyageurs et de l’algorithme.

Ces films s’avèrent souvent structurels, en se fondant sur l’exploitation systématique de systèmes prédéfinis, de boucles, de structures de composition qui ne renvoient qu’à eux-mêmes. Films intransitifs – ils travaillent une «image» par définition retouchée, ce qui les rend amants du matériau, ce qui sous-tend une attitude plus analytique.

Une heure ou l’intermédialité triomphante. Une heure et quelques minutes, afin de déborder les médiums et de voir à l’oeuvre, la pellicule comme le numérique et les deux frayant ensemble, pour des vues inouïes éloignées de la naïveté du cinéma comme image du réel. Une heure qui se souvient que le cinéma c’est mémoire, mais mémoire vive car le retour à l’origine est toujours manqué puisqu’on ne peut la retrouver que dans la différence avec elle-même et qu’ainsi son retour est toujours différé ou en différance.

L’un des artistes parlant de sa méthode pour l’enfant à la corde, en donnerait une analogie « Rebrousser chemin, partir du cinéma, 24 images/seconde, passer à 12 puis à 4 images/seconde et enfin revenir à même pas une image/seconde mais juste une image. » Et lui, pourtant, de la retravailler en intégrant un défaut, le moshing, cet entre-deux des vidéos actuelles quand elles sont mal compressées ce qui laisse une trace de l’image précédente sur celle qui suit. Ainsi tous font film, réellement en puisant à toutes les potentialités du matériau y compris celles que le seul projet narratif ferait corriger.

L’expérimental ne s’épuise jamais ni le bonheur de le partager.

– Simone Dompeyre, 2022

À propos de la commissaire
Amoureuse de la vie et du cinéma et de l’art expérimental, Simone Dompeyre professeure agrégée, après des études en Philosophie, Lettres Modernes et Histoire de l’art, a enseigné l’analyse filmique et la sémiologie de l’image à des étudiants en audiovisuel, principalement à Toulouse. Membre du cinéma ABC et de la Cinémathèque de Toulouse, elle participe aux journées du GNRC au cinéma Le Cratère. Elle anime des ateliers d’analyse de films, principalement de l’art vidéo, du cinéma expérimental, lors de festivals, sans exclure les Colloques du Documentaire où elle analyse les essais expérimentaux, ou lors de séances particulières pour des publics très divers. Elle a longtemps participé à des formations du Pôle Image, animé des stages d’approche du cinéma mais aussi du théâtre – avec une focalisation sur la didascalie – ainsi qu’à de nombreuses rencontres et jurys concernant le cinéma. Elle a longtemps siégé aux commissions d’attribution de subventions au Comité d’experts du FRAC ainsi qu’à d’autres d’attributions de Résidences d’artistes. Elle rédige de très nombreux articles sur les oeuvres programmées ou tient des conférences concernant l’art expérimental.

Initiatrice des Rencontres Internationales Traverse, elle s’engage très ardemment à faire reconnaître l’expérimental – avec une prédilection pour le footage – et a, très tôt, programmé des performances et des installations dans ses actions qui, entrelacent toujours le film, les installations, les performances et la photographie plasticienne dans une approche intermédiale. Elle en est la présidente et la commissaire artistique depuis 26 ans.