Les besoins numériques des centres d’artistes

Chronique mensuelle d’Isabelle L’Heureux, agente de développement culturel numérique CQAM-RAIQ-RCAAQ

Au printemps dernier, le RCAAQ et son comité numérique ont entamé un processus pour sonder les besoins numériques des centres d’artistes autogérés du Québec. Une grande proportion des membres du RCAAQ ont participé à l’enquête en répondant à un questionnaire et en partageant commentaires et avis sur le thème cet été et cet automne. Mariane Bourcheix-Laporte, artiste et chercheuse, a été mandatée pour réaliser l’analyse des résultats du sondage et pour rédiger un rapport faisant ressortir les points saillants de l’enquête. Avant la publication officielle de ce rapport, je vous propose un survol informel des résultats de notre étude.

Trois constats
Tout d’abord, les réponses des centres d’artistes qui ont participé rendent possibles trois observations. Ces dernières pourront paraître évidentes, mais il reste que la démarche du RCAAQ a permis de prendre plusieurs intuitions, ou hypothèses, et de les promouvoir au titre de constats.

  • Les centres qui ont indiqué oeuvrer dans les arts visuels, les arts interdisciplinaires, la performance et l’art action, l’estampe et l’impression numérique ainsi que les métiers d’arts se trouvent, de manière générale, en position moins avantageuse dans leur utilisation des technologies numériques que les centres oeuvrant dans les arts médiatiques, numériques et/ou sonores.
  • Il en va de même pour les centres dont le budget annuel de fonctionnement est inférieur à 200 000$, par rapport à ceux dont le budget est supérieur à ce montant.
  • Enfin, il semblerait que les équipes comprenant une personne dont le poste est lié à des questions numériques, que ce soit pour des activités de programmation, de communications ou de production, se trouvent également avantagées à différents égards quant à leur appropriation globale des technologies numériques.

J’aimerais déjà nuancer ce dernier point en soulignant que plusieurs centres nous ont indiqués que les compétences, tâches et responsabilités liées au numérique sont partagées à travers les différents membres de leur équipe. À mon avis, il s’agit là d’une bonne manière d’organiser le travail, surtout dans les cas où un poste spécifiquement lié au numérique n’est ni requis, ni pertinent. Pour que l’adoption de technologies numériques porte fruit, une part d’engagement de tous les membres de l’équipe dans la démarche est souhaitable. Enfin, il reste également plusieurs cas de figure pour lesquels les centres doivent considérer l’apport d’une expertise externe, lorsque les compétences et connaissances requises ne se trouvent pas dans l’équipe ou lorsque la charge de travail projetée est trop grande, par exemple. Tous ces modes d’organisation peuvent cohabiter au sein des centres d’artistes. Ils forment ensemble le paysage des différents types de besoins liés au numérique qui sont analysés plus en détail dans le cadre de notre rapport.

Financement par projet
Un autre point que l’enquête vient éclairer est la question de l’appréciation qu’ont les centres d’artistes du modèle de financement du numérique par projet. Il s’agit d’une approche qui a notamment été adoptée par le Conseil des arts du Canada avec le fonds Stratégie numérique et par le Conseil des arts et lettres du Québec avec le programme Exploration et déploiement numérique. Parmi les thèmes qui sont apparus de manière récurrente dans les réponses des membres au sujet de ces programmes, nous pouvons retenir l’idée d’un seuil de complexité qui favorise les organisations avec un budget plus élevé, une équipe plus grande et une maîtrise préalable de connaissances et compétences liées au numérique (conditions qui sont, somme toute, assez rarement réunies au sein des centres d’artistes autogérés). Cette complexité est perçue entre autres dans l’exigence du travail en partenariat, qui demande un investissement substantiel en temps et en ressources pour consolider et maintenir une relation mutuellement bénéfique. Enfin, plusieurs répondant.e.s considèrent que ce type de financement axé sur l’innovation et le développement technologique à travers la notion d’initiative ou de projet ne répond pas aux besoins numériques plus élémentaires de la majorité des centres. Par « besoins numériques élémentaires », nous entendons un accès à du matériel et à des logiciels à jour ou encore la refonte d’un site web désuet pour la réalisation des activités régulières du centre. Les réponses de nos membres nous portent à croire que ces programmes contribuent ainsi, malheureusement, à approfondir l’écart entre ceux qui sont bien outillés et ceux qui ne le sont pas.

Combler les besoins numériques élémentaires
Pour conclure, toujours en reprenant la notion de besoins numériques élémentaires, le second confinement que vit notre secteur nous ouvre les yeux sur certains besoins pressants. Nous comprenons que la réorganisation liée aux périodes de confinement doit s’inscrire dans la durée. Plutôt que de penser en termes de réponses spontanées face à l’urgence, il nous faut considérer des modes de travail et des activités qui garderont leur pertinence à long terme. Il s’agit donc d’augmenter nos capacités à organiser le travail à distance, à maintenir des activités de diffusion et de production par le biais des outils numériques appropriés et à poursuivre la valorisation, la promotion et la documentation de ces activités. À ce titre, beaucoup de nos membres ont partagé leurs besoins, actuellement exacerbés, en termes d’infrastructures (ordinateurs portables, caméras, outils de connexion à distance, système de partage de documents ou de travail collaboratif, site web qui permette d’intégrer facilement un contenu vidéo dans une page, etc.) et d’accès à des savoirs et compétences liés au numérique (réseaux, serveurs, programmation, référencement web, cybersécurité, etc.).

Une partie de la réponse à ces besoins se trouve dans un accès facilité à du financement pour l’acquisition d’équipements spécialisés et non-spécialisés. Une autre partie repose sur l’accès à des formations, des ressources et des expertises externes, que ce soit pour s’informer sur les outils et bonnes pratiques existantes, pour mettre en place de nouveaux systèmes, pour mettre à jour des systèmes existants ou encore pour un accompagnement à plus long terme dans la transition numérique. Ce volet implique quant à lui des investissements en temps et en argent que peu de centres d’artistes peuvent se permettre. Le programme PACME, les formations sur mesure au RCAAQ, les salons et cliniques virtuels de 0/1 – Hub numérique de l’Estrie et les échanges informels entre pairs auront été et demeurent utiles dans ce cadre. Un soutien supplémentaire de la part des subventionneurs pour l’embauche de consultant.e.s, d’accompagnateur.rice.s ou d’employé.e.s qualifié.e.s permettrait toutefois de poursuivre l’objectif de combler ces besoins élémentaires pressants pour un plus grand nombre d’organismes culturels.

La suite
Nous publierons très prochainement le rapport détaillé de cette enquête* avec l’intention que celui-ci serve de base pour un dialogue fécond avec le milieu et les subventionneurs. En attendant, les centres qui souhaitent poursuivre la réflexion sur l’appropriation des technologies numériques au sein de leur organisation sont invités à se prêter au jeu du diagnostic de maturité numérique avec l’outil développé par 0/1- Hub numérique de l’Estrie en partenariat avec le Réseau ADN et à profiter du programme de formations sur mesure du RCAAQ.

*C’est maintenant chose faite! Consultez le rapport ici.

À bientôt,
Isabelle L’Heureux

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