Appel de texte / Vie des Arts

Dossier « La création sur le temps long : durée, lenteur, ralentissement »

Dans les courants récents de l’art contemporain, l’œuvre d’art n’est pas fixe. La durée s’immisce dans les démarches artistiques comme élément constituant, modulant le procédé de création et de diffusion des œuvres. Nombre de commissaires et d’artistes s’attardent à la dérégulation du temps ou à son étirement sur le long terme. La fixité de l’œuvre est délaissée au profit d’une action ou d’une série de gestes éphémères qui s’expriment à travers le temps ; ou bien l’on considère l’agentivité des matériaux dans leur déploiement temporel. La durée, voire la lenteur, devient pour certains une manière d’aborder la création et, dans ce cas, le processus prime sur le résultat. Comment la longue durée agit-elle sur la création ? Quels types d’œuvres émergent de la lenteur ? Est-ce qu’un ralentissement, proposé au public, affecterait son expérience de l’art ?

La durée est une donnée sensible et subjective. Henri Bergson la différencie d’ailleurs du temps, celui homogène et quantifié de la science (Bergson, 1939, p. 122) : la durée provient d’un processus de conscience qui juxtapose les expériences vécues subjectivement par un individu, en une succession plus ou moins rapide, sentie ou identifiable. Nous expérimentons donc la durée de manière tout à fait hétérogène, mais nous évoluons dans des contextes économiques, sociaux et culturels, voire artistiques, qui visent généralement l’homogénéisation de l’expérience du temps. L’horloge et le calendrier en sont les marqueurs de référence, dont l’objectif est de synchroniser une collectivité autour d’un labeur commun. Ce temps, quantifié, interfère dans l’organisation de notre vie privée, sociale, familiale ou affective. Il est d’ailleurs organisé de manière anthropocentrique : le temps est quantifié à échelle humaine plutôt que végétale, minérale ou animale. Tout porte à croire que la rapidité, la vitesse d’exécution, l’efficacité et la productivité sont des idéaux à atteindre coûte que coûte – au détriment, peut-être, d’autres expériences. En considérant la durée comme procédé d’énonciation artistique, des réflexions contingentes, matérielles et poïétiques s’ouvrent à notre compréhension de l’œuvre d’art, autant que ces dernières permettent de mesurer les valeurs, les forces et les failles de la temporalité telle qu’elle est culturellement construite.

La constitution temporelle de l’œuvre fluctue selon différents facteurs : son contexte de présentation, ses procédés d’énonciation, ou ses constituantes matérielles. Dans certaines occasions, il est permis de manipuler, toucher, d’emporter l’œuvre ou l’un de ses fragments, de sorte qu’elle n’est jamais exactement la même. Ou, sans gestes d’activation ni de l’artiste ni du public, certains matériaux choisis s’altèrent et fluctuent dans la durée, suivant un cycle qui leur est propre : de l’argile qui sèche, de la pierre qui s’érode, des matières organiques qui poussent, pourrissent ou s’incorporent à leur environnement. Car la matière n’est pas indifférente à la durée. À propos de ces procédés ouverts, Marcia Tucker parle d’œuvres ou d’expositions induites par leurs matériaux, pour lesquelles l’activité de création résulte des diktats de la matière plutôt que d’une préconception de l’artiste ou encore de son intention de réaliser un certain ordre. (Von Bismarck, Frank, Meyer-Krahmer et al., 2014 : 306). Certaines de ces œuvres nécessitent une attention soutenue et un engagement dans la durée de la part de l’artiste ou du public pour assurer leur durabilité, voire leur stabilité. D’autres n’auront jamais de finalité propre, et leur réalisation s’étirera sur de nombreuses années.

Le dossier thématique « La création sur le temps long : durée, lenteur, ralentissement » cherche à identifier des démarches artistiques récentes qui s’appuient sur une réflexion sur la longue durée et les œuvres qui adviennent par le ralentissement, la lenteur, les processus ouverts, la succession en cycles ; celles qui visent une dérégularisation du temps, ou encore une décentralisation de l’expérience de la durée. Nous cherchons ainsi à identifier les significations culturelles de la lenteur, du temps et de la durée selon le prisme de la création artistique. Les propositions peuvent cibler les champs connexes de la techno-critique, de l’écologie, de l’animisme, de la santé mentale, du vieillissement ou de la généalogie.

Toutes les soumissions pour le dossier doivent comprendre une proposition de texte en lien avec la thématique, incluant le sujet anticipé (250 mots), la liste des artistes et des œuvres qui seront analysés dans le texte, trois extraits de textes antérieurs (publiés ou non) ainsi qu’une courte biographie de l’autrice ou de l’auteur (40 mots), et être envoyées à redaction@viedesarts.com avant le 4 avril 2021. Nous ferons un suivi avec les propositions pressenties et les textes finaux, suivant l’entente préalablement prise avec la rédaction, devront être rendus au courant du mois de juillet 2021 pour une publication dans le numéro 264 – Automne 2021.

Les Profils d’artistes doivent désormais répondre au thème annoncé du dossier thématique.

Veuillez noter que les propositions d’artistes portant sur leur propre travail ne seront pas considérées.

Date de tombée : 4 avril 2021

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