
Sophie Jodoin remporte la première édition du prix La Caisse en art actuel
Jérôme Delgado
Le Devoir
24 septembre 2025
« Un prix, c’est un cadeau qui arrive sans condition. Une bourse demande de développer un projet, avec des dates de tombée, un rapport… Là, c’est une occasion trop rare, [qui m’]enlève une charge mentale », confie l’artiste Sophie Jodoin, devenue cette semaine la première lauréate du prix La Caisse en art actuel. Cette nouvelle récompense annuelle, destinée aux artistes en mi-carrière, soit d’au moins 20 ans de pratique, est assortie de 25 000 $, ce qui fait d’elle une des plus importantes au Québec.
Réputée pour ses installations réunissant dessins, images et textes, l’artiste née en 1965 à Montréal correspond parfaitement au profil visé avec cette distinction par la société d’investissement autrefois connue comme la Caisse de dépôt et placement du Québec : saluer la persévérance et une indiscutable qualité.
Il était question de combler « un vide », disait en juin Marie-Justine Snider, conservatrice de la collection d’œuvres d’art de La Caisse. Un vide, précisait-elle, qui concerne un bon nombre d’artistes qui ont atteint la maturité, mais qui ont besoin de soutien pour continuer.
«Je m’octroie le temps de travailler sur les projets qui m’habitent», confie Sophie Jodoin.
« On avait à définir ce qu’on cherchait avec ce prix, explique-t-elle, trois mois plus tard. C’était important pour le jury, oui, de reconnaître l’excellence, mais [de le faire avec] une forme d’enthousiasme pour ce qui s’en vient, de capter le prochain souffle ou les balbutiements d’un projet. »
La lauréate reçoit le prix « avec gratitude ». « Là où il est important, souligne-t-elle, c’est qu’il reconnaît l’engagement sur un long terme. » Elle ne pense pas verser l’argent directement dans la réalisation d’une œuvre, mais la charge mentale dont elle dit être libérée lui évitera des soucis. « Le temps consacré à la création diminue de plus en plus, dit la travailleuse autonome, en évoquant la précarité des artistes. On cherche tout le temps du financement. »
En couvrant des coûts comme son loyer, les 25 000 $ lui permettront de se concentrer dans le travail d’atelier et de mener à terme des projets en cours. Parmi eux, il y en a qui la préoccupe particulièrement puisqu’il est réalisé en collaboration avec sa mère, âgée de 88 ans. « Je ne travaille pas sur ma mère, mais avec elle, explique l’artiste, en énumérant la correspondance, les cahiers à quatre mains, les enregistrements téléphoniques et les photographies qui composent l’œuvre, un portrait inachevé. C’est un peu une mère qui se dévoile à sa fille, une fille qui donne voix à sa mère. »
Mi-carrière
Sophie Jodoin a obtenu son diplôme en arts visuels de l’Université Concordia en 1988. Sa carrière artistique n’a pas débuté aussitôt, car, pendant un an, elle a suivi des études de médecine. Elle a fini par abandonner cette idée ; ses premières expositions ont surgi peu de temps après, au début des années 1990. C’est dans la décennie suivante qu’elle s’est démarquée et a exposé sans arrêt, entre 2003 et 2024, et ce, sans être représentée par l’appui d’une galerie. La féminité, l’intimité, le langage et la perte (ou le deuil) sont parmi ses thèmes de prédilection.
« C’est quoi, la maison ? Dans mon cas, c’est aussi l’atelier, et qu’est-ce que ça veut dire la perte de la maison? C’est quoi, le déracinement, c’est quoi, le rituel du deuil ? » dit au sujet d’un projet qui « ratisse large » celle qui a été victime d’une rénoviction.