Yuki higashino
You can’t be an artist if you are afraid of getting dirty (intro)
Qu’est-ce qu’écoute Gerhard Richter en peignant?
Yuki m’a suggéré ce titre pour le communiqué, mais j’ai choisi d’y réagir plutôt que de m’astreindre à devenir le porte-voix de son ironie. Je rapporte donc le contenu d’une discussion récente amorcée avec certains pairs (Yuki entre autres), sur la nécessité de mieux cerner les nuances entre la culture populaire comme champ de savoir et le populisme. L’un de ces interlocuteurs évoquait la résurgence du connoisseurship – notion que je croyais reléguée aux oubliettes. Sa nouvelle acception, m’expliquait-il, circonscrit les habitus de fans communiquant virtuellement (sur des blogues, entre autres) par fichiers interposés. Le terme pourrait également décrire la surenchère référentielle d’une certaine forme d’art post-conceptuel, au point où les œuvres s’adressent ultimement à des critiques et spectateurs complices. Dans l’un de ses projets, Yuki semble prendre à rebrousse-poil ce diktat de « faire de la recherche » ou de « produire du savoir » imposé aux artistes. Si j’avais 500 mots de plus, j’enchaînerais logiquement en citant Pierre Bourdieu définissant son concept de distinction, puis en glosant sur la nature du capital symbolique que procure cette économie de la référence. Or je préfère rapporter une anecdote locale du passé récent, indirectement liée aux objets détournés par Yuki et exposés à CLARK. En 2009, la Mendel Art Gallery (Saskatoon) présentait les tableaux de l’auteur-compositeur-interprète Joni Mitchell. Dans une série intitulée Green Flag Song, l’artiste a reproduit sur toile des images photographiques captant l’écran de son téléviseur défectueux lorsqu’il diffusait des bulletins de nouvelles. Le communiqué de presse (émis par la galerie ou l’agence de communication de l’artiste?) décrit la façon dont Mitchell invite le public à prendre conscience de « la nécessité d’un changement dans l’ordre des choses ». Il ajoute ensuite qu’elle « investit ces images des mêmes convictions sociales, politiques et spirituelles habitant sa musique ». L’exposition a suscité de la controverse auprès d’une partie de la communauté artistique locale et nationale, qui accusait l’institution de verser dans des stratégies populistes vulgaires pour attirer plus de visiteurs en période d’austérité budgétaire. Bien que j’adhère complètement à ce camp, je m’interroge sur ce qui subsiste en propre de l’expérience irrationnelle que procure la musique quand ses produits dérivés sont reconfigurés dans une autre constellation d’objets et de discours. L’artiste produit-il de la réflexivité, à l’instar de l’ethnomusicologue? S’assujettit-il partiellement au mouvement passionnel du fan (et, dans une certaine mesure, du critique musical)? Choisit-il plutôt l’ambivalence en restant au sein d’une zone d’indécidabilité entre ce qui est populaire et ce qui est impopulaire? Yuki, écoutais-tu Miles Davis, Joni Mitchell, Arnold Schonberg ou New Order dans ton atelier de la Fonderie Darling?
Vincent Bonin
Guillaume La Brie
MoitiÉ-moitiÉ : une exposition 50% Guillaume La Brie
On retrouve dans ce nouveau projet de Guillaume La Brie une exploration des mêmes paramètres qui nourrissent, depuis maintenant quelques années, sa réflexion artistique, soit une interrogation du geste sculptural, du rapport entre objet et architecture ainsi que du concept de l’in situ. Bien que l’utilisation récurrente de mobilier quotidien et usuel dans ses œuvres puisse donner l’impression qu’il s’intéresse au thème de la domesticité, force est d’admettre que là ne réside pas l’essentiel de sa démarche, sous-tendue plutôt par des considérations formelles. En effet, les chaises, tables, commodes et autres meubles télé employés sont habituellement détournés de leur fonction pour devenir plutôt des masses, volumes ou formes occupant un espace donné, ce dernier agissant alternativement comme contrainte ou contexte des objets en question. « Contrainte » au sens où l’objet doit littéralement se plier aux particularités architecturales de l’endroit où il se trouve, on pense ici aux expositions Champions des poids neutres (2004) ou Les envahisseurs de l’espace (2007); « contexte » plutôt dans le cadre de cette présentation-ci, où les matériaux employés pour compléter les pièces de mobilier intentionnellement sectionnées sont prélevés à même les murs de l’espace où elles seront présentées. Une mosaïque de formes trouant les murs nous permettra donc d’entrapercevoir l’histoire du bâtiment abritant le centre CLARK, révélant, à la manière de carottes extraites du sol, les strates trahissant les différents états du lieu. Peints des couleurs correspondant aux objets auxquels les formes qui y sont découpées viendront s’ajouter, les murs deviennent des murales intimement liées aux sculptures exposées, ce qui transforme l’ensemble en une installation in situ. Assemblages précaires et fragiles, les sculptures, dont certaines pièces ne sont retenues ensemble que grâce à l’emploi de serre-joints, semblent confinées à un état d’entre-deux dont on ne sait s’il tend vers l’achèvement ou la désintégration. Tout comme le bâtiment dont ils sont issus, ces objets sont en constante transformation, nécessitant des gestes d’ajustement, d’adaptation, voire de modernisation qui en font des hybrides tant au plan de leur matérialité que de leur temporalité. Ce sont ces gestes qui fondent leur état sculptural, niant, de manière explicite ou subtile, leur origine sérielle pour en faire des pièces uniques. Et pourtant, ces œuvres renvoient souvent davantage à l’univers architectural, au bâtiment, qu’à celui de la sculpture – je pense ici notamment aux colonnes, arches et cimaises que l’on retrouve dans de nombreux projets de Guillaume La Brie, ce qui rend encore plus prégnant l’objet central de ce travail, soit une mise en question des liens intimes reliant l’espace à ce qui l’habite.
Anne Marie St-Jean Aubre
Yuki higashino
You can’t be an artist if you are afraid of getting dirty (intro)
Qu’est-ce qu’écoute Gerhard Richter en peignant?
Yuki m’a suggéré ce titre pour le communiqué, mais j’ai choisi d’y réagir plutôt que de m’astreindre à devenir le porte-voix de son ironie. Je rapporte donc le contenu d’une discussion récente amorcée avec certains pairs (Yuki entre autres), sur la nécessité de mieux cerner les nuances entre la culture populaire comme champ de savoir et le populisme. L’un de ces interlocuteurs évoquait la résurgence du connoisseurship – notion que je croyais reléguée aux oubliettes. Sa nouvelle acception, m’expliquait-il, circonscrit les habitus de fans communiquant virtuellement (sur des blogues, entre autres) par fichiers interposés. Le terme pourrait également décrire la surenchère référentielle d’une certaine forme d’art post-conceptuel, au point où les œuvres s’adressent ultimement à des critiques et spectateurs complices. Dans l’un de ses projets, Yuki semble prendre à rebrousse-poil ce diktat de « faire de la recherche » ou de « produire du savoir » imposé aux artistes. Si j’avais 500 mots de plus, j’enchaînerais logiquement en citant Pierre Bourdieu définissant son concept de distinction, puis en glosant sur la nature du capital symbolique que procure cette économie de la référence. Or je préfère rapporter une anecdote locale du passé récent, indirectement liée aux objets détournés par Yuki et exposés à CLARK. En 2009, la Mendel Art Gallery (Saskatoon) présentait les tableaux de l’auteur-compositeur-interprète Joni Mitchell. Dans une série intitulée Green Flag Song, l’artiste a reproduit sur toile des images photographiques captant l’écran de son téléviseur défectueux lorsqu’il diffusait des bulletins de nouvelles. Le communiqué de presse (émis par la galerie ou l’agence de communication de l’artiste?) décrit la façon dont Mitchell invite le public à prendre conscience de « la nécessité d’un changement dans l’ordre des choses ». Il ajoute ensuite qu’elle « investit ces images des mêmes convictions sociales, politiques et spirituelles habitant sa musique ». L’exposition a suscité de la controverse auprès d’une partie de la communauté artistique locale et nationale, qui accusait l’institution de verser dans des stratégies populistes vulgaires pour attirer plus de visiteurs en période d’austérité budgétaire. Bien que j’adhère complètement à ce camp, je m’interroge sur ce qui subsiste en propre de l’expérience irrationnelle que procure la musique quand ses produits dérivés sont reconfigurés dans une autre constellation d’objets et de discours. L’artiste produit-il de la réflexivité, à l’instar de l’ethnomusicologue? S’assujettit-il partiellement au mouvement passionnel du fan (et, dans une certaine mesure, du critique musical)? Choisit-il plutôt l’ambivalence en restant au sein d’une zone d’indécidabilité entre ce qui est populaire et ce qui est impopulaire? Yuki, écoutais-tu Miles Davis, Joni Mitchell, Arnold Schonberg ou New Order dans ton atelier de la Fonderie Darling?
Vincent Bonin
Guillaume La Brie
MoitiÉ-moitiÉ : une exposition 50% Guillaume La Brie
On retrouve dans ce nouveau projet de Guillaume La Brie une exploration des mêmes paramètres qui nourrissent, depuis maintenant quelques années, sa réflexion artistique, soit une interrogation du geste sculptural, du rapport entre objet et architecture ainsi que du concept de l’in situ. Bien que l’utilisation récurrente de mobilier quotidien et usuel dans ses œuvres puisse donner l’impression qu’il s’intéresse au thème de la domesticité, force est d’admettre que là ne réside pas l’essentiel de sa démarche, sous-tendue plutôt par des considérations formelles. En effet, les chaises, tables, commodes et autres meubles télé employés sont habituellement détournés de leur fonction pour devenir plutôt des masses, volumes ou formes occupant un espace donné, ce dernier agissant alternativement comme contrainte ou contexte des objets en question. « Contrainte » au sens où l’objet doit littéralement se plier aux particularités architecturales de l’endroit où il se trouve, on pense ici aux expositions Champions des poids neutres (2004) ou Les envahisseurs de l’espace (2007); « contexte » plutôt dans le cadre de cette présentation-ci, où les matériaux employés pour compléter les pièces de mobilier intentionnellement sectionnées sont prélevés à même les murs de l’espace où elles seront présentées. Une mosaïque de formes trouant les murs nous permettra donc d’entrapercevoir l’histoire du bâtiment abritant le centre CLARK, révélant, à la manière de carottes extraites du sol, les strates trahissant les différents états du lieu. Peints des couleurs correspondant aux objets auxquels les formes qui y sont découpées viendront s’ajouter, les murs deviennent des murales intimement liées aux sculptures exposées, ce qui transforme l’ensemble en une installation in situ. Assemblages précaires et fragiles, les sculptures, dont certaines pièces ne sont retenues ensemble que grâce à l’emploi de serre-joints, semblent confinées à un état d’entre-deux dont on ne sait s’il tend vers l’achèvement ou la désintégration. Tout comme le bâtiment dont ils sont issus, ces objets sont en constante transformation, nécessitant des gestes d’ajustement, d’adaptation, voire de modernisation qui en font des hybrides tant au plan de leur matérialité que de leur temporalité. Ce sont ces gestes qui fondent leur état sculptural, niant, de manière explicite ou subtile, leur origine sérielle pour en faire des pièces uniques. Et pourtant, ces œuvres renvoient souvent davantage à l’univers architectural, au bâtiment, qu’à celui de la sculpture – je pense ici notamment aux colonnes, arches et cimaises que l’on retrouve dans de nombreux projets de Guillaume La Brie, ce qui rend encore plus prégnant l’objet central de ce travail, soit une mise en question des liens intimes reliant l’espace à ce qui l’habite.