DOMINIQUE PÉTRIN
Pompéii MMXII
En réunissant cet automne les propositions de Jo-Anne Balcaen et de Dominique Pétrin, le centre CLARK fait à nouveau dialoguer de manière constructive et stimulante les artistes exposant dans la petite et la grande salle. Bien que les esthétiques des installations Sound Ideas (2011) de Balcaen et Pompéii MMXII (2011) de Pétrin s’opposent presque en tout point, ne serait-ce que par le dénuement visuel de la première amplifiant par comparaison la saturation chromatique de la deuxième, leurs œuvres puisent à une source commune, soit une fascination pour l’idée, le concept de musique.
POMPEII MMXII
Une installation autrement plus chargée nous attend dans la petite salle, transformée en œuvre d’art total par Dominique Pétrin, qui a puisé, à même l’histoire de l’ornementation, des motifs devenant composantes de papiers sérigraphiés, collés directement au mur. Support aux œuvres encadrées – d’autres collages formés de sérigraphies dont les sujets, des animaux, des coquillages, sont identifiables –, ce contexte tient à la fois lieu d’œuvre éphémère et de salle de montre de décoration d’intérieur, certes guidée par une idée singulière de ce qu’est « le bon goût ». Ici, la décoration est active, elle prend toute la place ; agressive, violente, elle fait concurrence aux œuvres, qui deviennent partie prenante du tout. Silencieuse, l’installation évoque pourtant, lorsqu’on tente de la décrire, des adjectifs relatifs au son. C’est peut-être que Pétrin travaille toujours en s’inspirant de la musique, dont elle traduit visuellement l’esprit, de telle sorte qu’il semble habiter l’espace. Couleurs criardes, juxtaposition de formes géométriques et angulaires et répétition de zébrures, de lignes et de pois répartis en plages distinctes sur les murs viennent rythmer l’ensemble de l’espace, étourdissant les sens qui s’y trouvent sur-stimulés par des jeux optiques et des vibrations chromatiques. Le résultat est bruyant, cacophonique, et pourtant régulier dans sa disposition ordonnée, un principe qui donne une chance au regard d’assimiler cette surenchère de stimuli.
Dès l’entrée de la salle, c’est le corps, avant l’intellect, qui est interpellé – c’est lui que l’artiste cherche à déstabiliser, à envahir, certaine qu’elle est qu’il ne pourra rester indifférent à l’assaut visuel de cette œuvre immersive. Tout comme la musique, qui habite le corps, ce projet enveloppe le visiteur. L’impact est d’abord physique, et c’est seulement par la suite que le processus de décodage, de lecture des symboles, des associations visuelles, peut commencer. Tant l’ornementation grecque et égyptienne – des civilisations grandioses qui se sont perdues – que les interprètes devenus personnages théâtraux clinquants que sont Liberace et Amanda Lear, ont servi à l’élaboration des collages encadrés, des inspirations renvoyant à l’idée d’un moment paroxystique, décadent, une forme de luxuriance poussée jusque dans ses derniers retranchements, annonciatrice d’une chute à venir. Cette attirance pour la limite, le point ultime d’une situation, se reflète également dans l’ambition dont l’installation fait preuve, elle qui aura nécessité la production de plus de 3000 papiers sérigraphiés. Plus architectural que ses œuvres précédentes, notamment Panthéon Pétro (2009) et Bermuda Triangùla (2010), où la disposition des motifs rappelait davantage les frises de papier peint, Pompéii MMXII (2011) est l’occasion pour Pétrin d’explorer le trompe-l’œil. L’espace décoratif gagne ainsi en profondeur illusoire, avec ses arches et ses colonnes évocatrices de ces lieux que sont les églises et les palais princiers, je pense ici à la résidence du prince de Monaco, où l’on trouve en abondance du marbre fictif et d’autres simulacres de matières luxueuses. Bien que les collages encadrés aient été créés pour se suffire et survivre au démantèlement du décor, on reste avec le sentiment qu’ils n’agiront plus tout à fait de la même manière, et s’assagiront dans ce processus, perdant peut-être un peu de leur mordant. Où s’arrête l’œuvre donc, et où commence le décor, la mise en scène, le superflu?
JO-ANNE BALCAEN
Sound Ideas
En réunissant cet automne les propositions de Jo-Anne Balcaen et de Dominique Pétrin, le centre CLARK fait à nouveau dialoguer de manière constructive et stimulante les artistes exposant dans la petite et la grande salle. Bien que les esthétiques des installations Sound Ideas (2011) de Balcaen et Pompéii MMXII (2011) de Pétrin s’opposent presque en tout point, ne serait-ce que par le dénuement visuel de la première amplifiant par comparaison la saturation chromatique de la deuxième, leurs œuvres puisent à une source commune, soit une fascination pour l’idée, le concept de musique.
SOUND IDEAS
Trois éléments habitent la grande salle : au mur, la pochette d’un disque compact de musique générique rock créée pour servir à l’habillage sonore de films et de publicités télévisées, ainsi que le tableau qui l’accompagne et propose un classement de ses pistes en fonction de l’effet sonore visé ; dans l’espace, un paravent hendécagonal formé de panneaux égaux en bois non fini recouverts, sur leur surface intérieure, de mylar réfléchissant. Une ouverture permet à un ou deux visiteurs de pénétrer dans le petit réduit, pour lire les titres inscrits sur chacune des faces. Ces derniers identifient les morceaux que l’on peut entendre grâce aux casques d’écoute disponibles. De Renegade à Tough it Out en passant par Heavy Hitter – des pistes auxquelles sont accolées des descriptions précises que l’on peut lire dans le tableau, soit « autoritaire et imposant », « déterminé et insistant » ou « costaud et hardi » –, il est difficile de les différencier à la seule écoute, tellement elles sont proches du stéréotype définissant ce que doit être le « rock ». Chacun des morceaux mêle différemment les ingrédients typiques que sont entre autres la guitare électrique appuyée, les basses puissantes et une batterie au rythme accéléré.
Une musique agressive, forte, qu’on écoute dans une pièce démultipliant notre image, nous transporte, par le simple fait de coiffer les écouteurs, dans une autre dimension, au centre d’une expérience tranchant totalement avec l’ambiance de la galerie dans laquelle baignent les autres visiteurs. Ce processus de singularisation nous plaçant à l’écart des individus que l’on côtoie pourtant physiquement est à l’image du décalage qui sépare les membres d’une sous-culture de ceux qui les entourent, grâce notamment au type de musique auquel ils s’identifient. Ramené à soi par cette coupure obligée avec le contexte immédiat, le participant à cette installation ne peut que devenir particulièrement conscient de son image, de son comportement, de sa présence corporelle, seuls éléments le reliant aux autres individus circulant dans la salle, autrement plus calme et silencieuse. Cette obsession de l’image de soi nourrit plusieurs autres projets de l’artiste, notamment Screaming Girls (2005) et Long Shot (2007). Si, dans Screaming Girls, Balcaen rendait visible l’abandon des jeunes filles des années 1960, en transe devant leur vedettes préférées, inconscientes du fait qu’elles sont l’objet de regards tant incarnés que mécaniques, Sound Ideas prend en compte le contexte hypermédiatique actuel, où l’on ne peut plus ignorer le regard de l’autre porté sur soi à tous les instants. D’où peut-être ce contrôle esthétique, ce côté épuré, presque clinique, semblant limiter les possibilités de débordement expressif et émotifs qui rappelleraient l’adolescent debout devant son miroir, imitant en chantant à tue-tête son groupe fétiche. L’œuvre s’inscrit tout naturellement dans la démarche de Balcaen, qui aborde d’un angle plutôt rationnel ce qui entoure la musique populaire, proposant une analyse de ses effets sur l’individu, de sa psychologie, de ses modes de construction, des mythes et des excès auxquels elle donne lieu, notamment le rapport du fan aux objets-reliques et à l’image de la star.
Audible : Dan Hayhurst
Visible: Reuben Sutherland
Sculpture est un duo audio visuel de Londres dont le travail allie le bricolage sonore à partir de différents types de technologies analogiques et numériques [bandes magnétiques, séquenceurs, échantillonnages, effets analogiques] pour le son et techniques d’animation numériques et traditionnelles de l’image.
CLARK présente le plus récent « picture disc » de Sculpture, intitulé Toad Blinker sur le label allemand Dekorder. Il s’agit d’un disque vinyl de 12’’ en édition limitée sur lequel sont imprimées des boucles d’animation zéotropique.
Pompéii MMXII
En réunissant cet automne les propositions de Jo-Anne Balcaen et de Dominique Pétrin, le centre CLARK fait à nouveau dialoguer de manière constructive et stimulante les artistes exposant dans la petite et la grande salle. Bien que les esthétiques des installations Sound Ideas (2011) de Balcaen et Pompéii MMXII (2011) de Pétrin s’opposent presque en tout point, ne serait-ce que par le dénuement visuel de la première amplifiant par comparaison la saturation chromatique de la deuxième, leurs œuvres puisent à une source commune, soit une fascination pour l’idée, le concept de musique.
POMPEII MMXII
Une installation autrement plus chargée nous attend dans la petite salle, transformée en œuvre d’art total par Dominique Pétrin, qui a puisé, à même l’histoire de l’ornementation, des motifs devenant composantes de papiers sérigraphiés, collés directement au mur. Support aux œuvres encadrées – d’autres collages formés de sérigraphies dont les sujets, des animaux, des coquillages, sont identifiables –, ce contexte tient à la fois lieu d’œuvre éphémère et de salle de montre de décoration d’intérieur, certes guidée par une idée singulière de ce qu’est « le bon goût ». Ici, la décoration est active, elle prend toute la place ; agressive, violente, elle fait concurrence aux œuvres, qui deviennent partie prenante du tout. Silencieuse, l’installation évoque pourtant, lorsqu’on tente de la décrire, des adjectifs relatifs au son. C’est peut-être que Pétrin travaille toujours en s’inspirant de la musique, dont elle traduit visuellement l’esprit, de telle sorte qu’il semble habiter l’espace. Couleurs criardes, juxtaposition de formes géométriques et angulaires et répétition de zébrures, de lignes et de pois répartis en plages distinctes sur les murs viennent rythmer l’ensemble de l’espace, étourdissant les sens qui s’y trouvent sur-stimulés par des jeux optiques et des vibrations chromatiques. Le résultat est bruyant, cacophonique, et pourtant régulier dans sa disposition ordonnée, un principe qui donne une chance au regard d’assimiler cette surenchère de stimuli.
Dès l’entrée de la salle, c’est le corps, avant l’intellect, qui est interpellé – c’est lui que l’artiste cherche à déstabiliser, à envahir, certaine qu’elle est qu’il ne pourra rester indifférent à l’assaut visuel de cette œuvre immersive. Tout comme la musique, qui habite le corps, ce projet enveloppe le visiteur. L’impact est d’abord physique, et c’est seulement par la suite que le processus de décodage, de lecture des symboles, des associations visuelles, peut commencer. Tant l’ornementation grecque et égyptienne – des civilisations grandioses qui se sont perdues – que les interprètes devenus personnages théâtraux clinquants que sont Liberace et Amanda Lear, ont servi à l’élaboration des collages encadrés, des inspirations renvoyant à l’idée d’un moment paroxystique, décadent, une forme de luxuriance poussée jusque dans ses derniers retranchements, annonciatrice d’une chute à venir. Cette attirance pour la limite, le point ultime d’une situation, se reflète également dans l’ambition dont l’installation fait preuve, elle qui aura nécessité la production de plus de 3000 papiers sérigraphiés. Plus architectural que ses œuvres précédentes, notamment Panthéon Pétro (2009) et Bermuda Triangùla (2010), où la disposition des motifs rappelait davantage les frises de papier peint, Pompéii MMXII (2011) est l’occasion pour Pétrin d’explorer le trompe-l’œil. L’espace décoratif gagne ainsi en profondeur illusoire, avec ses arches et ses colonnes évocatrices de ces lieux que sont les églises et les palais princiers, je pense ici à la résidence du prince de Monaco, où l’on trouve en abondance du marbre fictif et d’autres simulacres de matières luxueuses. Bien que les collages encadrés aient été créés pour se suffire et survivre au démantèlement du décor, on reste avec le sentiment qu’ils n’agiront plus tout à fait de la même manière, et s’assagiront dans ce processus, perdant peut-être un peu de leur mordant. Où s’arrête l’œuvre donc, et où commence le décor, la mise en scène, le superflu?
JO-ANNE BALCAEN
Sound Ideas
En réunissant cet automne les propositions de Jo-Anne Balcaen et de Dominique Pétrin, le centre CLARK fait à nouveau dialoguer de manière constructive et stimulante les artistes exposant dans la petite et la grande salle. Bien que les esthétiques des installations Sound Ideas (2011) de Balcaen et Pompéii MMXII (2011) de Pétrin s’opposent presque en tout point, ne serait-ce que par le dénuement visuel de la première amplifiant par comparaison la saturation chromatique de la deuxième, leurs œuvres puisent à une source commune, soit une fascination pour l’idée, le concept de musique.
SOUND IDEAS
Trois éléments habitent la grande salle : au mur, la pochette d’un disque compact de musique générique rock créée pour servir à l’habillage sonore de films et de publicités télévisées, ainsi que le tableau qui l’accompagne et propose un classement de ses pistes en fonction de l’effet sonore visé ; dans l’espace, un paravent hendécagonal formé de panneaux égaux en bois non fini recouverts, sur leur surface intérieure, de mylar réfléchissant. Une ouverture permet à un ou deux visiteurs de pénétrer dans le petit réduit, pour lire les titres inscrits sur chacune des faces. Ces derniers identifient les morceaux que l’on peut entendre grâce aux casques d’écoute disponibles. De Renegade à Tough it Out en passant par Heavy Hitter – des pistes auxquelles sont accolées des descriptions précises que l’on peut lire dans le tableau, soit « autoritaire et imposant », « déterminé et insistant » ou « costaud et hardi » –, il est difficile de les différencier à la seule écoute, tellement elles sont proches du stéréotype définissant ce que doit être le « rock ». Chacun des morceaux mêle différemment les ingrédients typiques que sont entre autres la guitare électrique appuyée, les basses puissantes et une batterie au rythme accéléré.
Une musique agressive, forte, qu’on écoute dans une pièce démultipliant notre image, nous transporte, par le simple fait de coiffer les écouteurs, dans une autre dimension, au centre d’une expérience tranchant totalement avec l’ambiance de la galerie dans laquelle baignent les autres visiteurs. Ce processus de singularisation nous plaçant à l’écart des individus que l’on côtoie pourtant physiquement est à l’image du décalage qui sépare les membres d’une sous-culture de ceux qui les entourent, grâce notamment au type de musique auquel ils s’identifient. Ramené à soi par cette coupure obligée avec le contexte immédiat, le participant à cette installation ne peut que devenir particulièrement conscient de son image, de son comportement, de sa présence corporelle, seuls éléments le reliant aux autres individus circulant dans la salle, autrement plus calme et silencieuse. Cette obsession de l’image de soi nourrit plusieurs autres projets de l’artiste, notamment Screaming Girls (2005) et Long Shot (2007). Si, dans Screaming Girls, Balcaen rendait visible l’abandon des jeunes filles des années 1960, en transe devant leur vedettes préférées, inconscientes du fait qu’elles sont l’objet de regards tant incarnés que mécaniques, Sound Ideas prend en compte le contexte hypermédiatique actuel, où l’on ne peut plus ignorer le regard de l’autre porté sur soi à tous les instants. D’où peut-être ce contrôle esthétique, ce côté épuré, presque clinique, semblant limiter les possibilités de débordement expressif et émotifs qui rappelleraient l’adolescent debout devant son miroir, imitant en chantant à tue-tête son groupe fétiche. L’œuvre s’inscrit tout naturellement dans la démarche de Balcaen, qui aborde d’un angle plutôt rationnel ce qui entoure la musique populaire, proposant une analyse de ses effets sur l’individu, de sa psychologie, de ses modes de construction, des mythes et des excès auxquels elle donne lieu, notamment le rapport du fan aux objets-reliques et à l’image de la star.
Audible : Dan Hayhurst
Visible: Reuben Sutherland
Sculpture est un duo audio visuel de Londres dont le travail allie le bricolage sonore à partir de différents types de technologies analogiques et numériques [bandes magnétiques, séquenceurs, échantillonnages, effets analogiques] pour le son et techniques d’animation numériques et traditionnelles de l’image.
CLARK présente le plus récent « picture disc » de Sculpture, intitulé Toad Blinker sur le label allemand Dekorder. Il s’agit d’un disque vinyl de 12’’ en édition limitée sur lequel sont imprimées des boucles d’animation zéotropique.
Montréal (Québec) H2T 3B3