Raymond Hains, s’éteint à 78 ans

Hains alors!

Figure du nouveau réalisme connu pour ses «affiches lacérées», et infatigable mixeur de mots, cet artiste décisif est mort à 78 ans.

C’est l’une des personnalités les plus parlantes, au propre comme au figuré, du monde de l’art qui vient de disparaître. Raymond Hains, l’un des artistes français les plus adulés, était également un homme de paroles, ou mieux : un homme de conversation, de jeux de langage, de calembours, de bouts de ficelle et de selle de cheval, de lapalissades et d’enfilages de perles cultivées, quelqu’un qui vous prenait d’assaut par les mots le soir et ne lâchait plus l’affaire jusqu’au petit matin. Artiste de référence, habitué des vernissages (pas seulement les siens, ceux des autres, jusqu’aux plus jeunes), auxquels il assistait campé sur une chaise, régulier des défilés de mode d’Adeline André, une amie chère, il a eu pendant de nombreuses années l’habitude de déjeuner au resto en face de Beaubourg, avec vue sur le centre. Il n’avait pas d’atelier. Il avait longtemps vécu à l’hôtel, semant, comme les cailloux du Petit Poucet, ses fameuses valises bleu Airbus ou ses boîtes, dans lesquelles était conservée sa mémoire, c’est-à-dire ses innombrables trouvailles livresques et ses fiches de lecture détaillées, datées, dont émanait son art. Raymond Hains, c’était un vagabond des étoiles. Bertrand Lavier, artiste proche, le dit mieux : «Pour moi, Raymond c’était du cristal pur. L’artiste, par excellence.»

Photo, ciné, littérature… Il est né en 1926 à Saint-Brieuc («Saint-Brieuc-des-Choux», selon Jarry). Après des études à l’école des beaux-arts de Rennes, où il rencontre et se lie avec Jacques de la Villéglé, Raymond Hains pratique, auprès d’Emmanuel Sougez à France-Illustration, la photographie abstraite : à l’aide de verres cannelés déformant les objets dans la prise de vues, il fabrique des photographies «hypnagogiques», produisant des images éclatées, rythmées, dynamiques, répétitives. Ses images sont exposées dès 1949, à la galerie Colette Allendy (la veuve d’un célèbre psychanalyste devenue marchande d’art). Avec Villéglé, il réalise un film d’animation en couleur, Pénélope, tourné également à l’aide d’une caméra à l’objectif cannelé. Entretemps, il s’est initié à la littérature de Max Jacob, Céline, du Tibet et de l’Inde, de l’ésotérisme et de Madame de Sévigné.

1949 : il lui suffit de regarder autour de soi et de décoller la réalité ambiante. Dans ses dérives parisiennes, Hains découvre les affiches lacérées, ces couches, parfois épaisses, de lambeaux et de colle restées fixées aux murs ou aux palissades, traces de vie urbaine dont le message a peut-être perdu de sa cohérence, mais qui se sont transformées et ont gagné leur dignité artistique. Ces bouts d’affiche, ces lapalissades sur palissades, Hains les collecte, les découpe ou les prélève avec leur support. Sous le titre de Loi du 29 juillet 1881, il les expose en 1957, avec Villéglé. C’est lorsqu’elles pointent vers la guerre d’Algérie que ces oeuvres vont développer leur puissance subversive.

On dit souvent que les artistes n’ont pas pris la mesure des événements liés aux guerres de décolonisation. Hains en est exactement l’exemple contraire. Prélevant des bouts de tracts, d’affiches politiques, de convocations et de graffitis, il donne crûment à voir les mots à vif, tronqués et lacérés avant lui par des passants anonymes («J’aime les affiches qui ne sont pas signées, c’est plutôt moi qui devrais me signer devant les affiches» : du Hains typique), de la France déchirée, titre de son expo en 1961.

Gymnastique infinie. Grâce au mouvement lettriste, auquel il est lié, Hains rencontre également Yves Klein. C’est la fondation du Nouveau Réalisme, autour du critique Pierre Restany. Participer au mouvement artistique le plus scotché sur l’objet lui permet paradoxalement de s’éloigner de cette fascination, et de se brancher directement sur ses mouvements de pensée, sur cette chaîne d’associations, de condensations et de déplacements qui lui sert d’abord à se définir : «Inaction painter», «raccrocheur d’images», «spéculateur d’art». Dans ses travaux artistiques oeuvre une gymnastique intellectuelle infinie, qui se fabrique à partir des coïncidences, de ses lectures et des noms propres, qu’il cite et fait dériver. Ainsi son Néo-Dada emballé ou l’art de se tailler une Palissade, pour un cheval géant emballé sur une maquette de Christo. Son Matheymatics, titre qui fait se rencontrer les math, le directeur du musée des Arts décoratifs, François Mathey, et les sculptures Métamatics de Tinguely…

Installé à Venise entre 1964 et 1971, il crée le cycle des artistes Seita et Saffa (régie italienne des tabacs), lesquels produisent des boîtes d’allumettes géantes ou des Disque bleu (45-tours) où la voix de l’artiste se déforme à son tour. De retour en France, Hains voyage autour de ses lectures, là où son inconscient le conduit, d’une expo à l’autre, de Jouy-en-Josas à Clisson, de la Fondation Cartier au Centre Pompidou (2001). Jusqu’à ses derniers Macintoshages, le verbe crée, à chaque coup, un monde. Et fait mouche.

Pour l’historien d’art Marc Dachy, son voisin d’en face rue d’Odessa, où Hains s’était établi il y a six ans, c’était «un ami très affectueux, pour beaucoup de monde. Il aura été le dernier artiste typique de Montparnasse, avec une communauté autour de lui, ces amis qui ont afflué dès la nouvelle de sa mort. C’était un immense artiste, plus jeune que la plupart des artistes jeunes. Picasso disait : «On met longtemps à devenir jeune».» Le très jeune artiste de 78 ans est mort vendredi en début d’après-midi, alors qu’il travaillait dans son lit, ses deux peluches autour de lui.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=334644

Abonnez-vous au bulletin du Réseau art Actuel