Pourquoi le RCAAQ s’inquiète des manœuvres du RAAV

Le 14 janvier dernier, le Regroupement des artistes en arts visuels (RAAV) faisait paraître sur son site Internet un Mémoire en prévision du budget 2010-2011 du Gouvernement du Québec. En prenant connaissance du document, nous avons été fort surpris d’y découvrir plusieurs assertions erronées, concernant tant la situation des artistes en arts visuels et les programmes développés par le Conseil des arts et des lettres du Québec à l’endroit des centres d’artistes autogérés que le rôle des commissaires d’exposition en lien avec les bourses d’artistes.

La situation nous apparaît des plus préoccupantes. Fidèle à son programme, le RAAV maintient une position que nous lui connaissons bien, tout en s’ingérant cette fois dans l’économie générale du soutien à l’art contemporain par les institutions gouvernementales. En effet, l’association cherche à démontrer et valider auprès du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine et du gouvernement du Québec « que la [Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC)] doit obtenir le mandat, et les fonds nécessaires, pour soutenir directement l’artiste en arts visuels dans son rôle d’entrepreneur », sous couvert de « «contribuer au développement et à la professionnalisation de l’industrie» des arts visuels […] ». Or ni la culture d’entreprise, ni l’assouplissement des règles que réclame le RAAV – bien que propres au mandat de la SODEC vis-à-vis les industries culturelles – ne peuvent ici s’appliquer.

En tentant d’inscrire les notions d’industrie et d’entreprenariat comme critères d’évaluation en lieu et place du mérite artistique, l’association d’artistes opère un glissement vers ce qui nous apparaît être un changement majeur des lignes directrices des programmes en vigueur. Comment évaluera-t-on la prise de risque, ce qu’est l’expérimentation, si cette dernière est désormais liée à l’augmentation de la productivité ou à la croissance d’une petite entreprise ? Si cela advenait, les répercussions se feraient immédiatement sentir au niveau du financement de la recherche et de la création, traditionnellement soutenu par le Conseil des arts et des lettres du Québec. Pareil scénario entraînerait une action publique concertée de la part du milieu.

D’autre part, les déclarations du RAAV démontrent clairement une méconnaissance du milieu de l’art contemporain, de son fonctionnement intrinsèque ; le mérite artistique détermine la valeur de l’œuvre et en constitue la référence, ce dont l’association fait fi. Penser la réussite artistique hors de cette économie équivaut en d’autres termes à envoyer un bien mauvais signal aux artistes quant au développement de leur carrière, leur faisant miroiter qu’ils pourront la bâtir de façon isolée.

À contrario, nous soutenons qu’il existe déjà des lieux de production collectifs qui offrent un soutien technique professionnel, de l’équipement spécialisé et des services personnalisés aux artistes, privilégiant le plus grand dénominateur commun d’usagers. Le réseau des centres d’artistes autogérés remplit cette fonction : on retrouve des centres de production et de diffusion tant dans les grands centres urbains qu’en régions éloignées, sur l’ensemble du territoire du Québec. Face aux grands défis de société d’aujourd’hui ne cherchons-nous pas justement à privilégier la mise en commun des savoirs et des compétences ?

Dans un autre ordre d’idées, nous tenons à souligner que le système actuel des bourses permet avantageusement aux artistes méritants de se procurer le matériel et les ressources nécessaires au développement de leur pratique et à la réalisation de leurs œuvres. Le Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec appuiera donc toujours une augmentation de l’enveloppe budgétaire du Conseil des arts et des lettres du Québec. En ce sens, nous questionnons d’autant plus l’ouverture d’un second guichet ; en prétextant desservir tous les artistes, ce dernier prend plutôt les allures d’un « salon des refusés » …

Une telle tentative de modifier les orientations du gouvernement québécois en matière de soutien aux arts visuels requiert toute l’attention du Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec, un réseau d’art actuel en pleine croissance qui représente plus de soixante-cinq lieux d’art – attirant un membership non exclusivement limité aux arts visuels – et à travers lequel les artistes, jeunes et mieux établis, se professionnalisent au contact de leurs pairs

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