Nicolas Klotz, Elisabeth Perceval et I am the Organizer of My Own Archive, vernissage le jeudi 2 février à 19h à Dazibao

Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval

PROJECTION
Projection spéciale du nouveau film des cinéastes : Mata Atlântica le 2 février à 18 h

Il y a longtemps, la forêt Mata Atlântica s’étendait de l’Argentine au Paraguay. Aujourd’hui, elle a pratiquement disparu. En plein centre de São Paulo, le parc du Trianon enferme entre ses grilles les restes de cette immense forêt tropicale où rôdent encore ses esprits. Un jour, une jeune femme disparait dans le parc. Un des employés est arrêté par la police, mais bientôt d’autres jeunes filles disparaissent à leur tour.

PERFORMANCE
Performance improvisée de la danseuse Sophia Gaspard
le 2 février à 19 h 30

Le cinéma interroge nos corps. Tant ceux des acteurs que ceux des spectateurs. La frontière entre les deux est si mince et en même temps, si réelle. Quelles énergies passent des uns aux autres?
Lors de cette performance, la danseuse Sophia Gaspard s’immergera le long de cette frontière, dans la frontière. Elle sera elle-même la frontière, entre ces murs où résonne encore la mémoire des images et des sons de Je sais courir mais je ne sais pas m’enfuir, au milieu de la musique et des spectateurs. (Musique : Ulysse Klotz)

Cette exposition, une proposition de Marie-Claude Loiselle, est présentée en partenariat avec la Cinémathèque québécoise qui présente l’installation Najgo! (Des histoires de chasse à l’homme et de films d’horreur) jusqu’au 9 février 2017 ainsi qu’une rétrospective de leurs films du 30 janvier au 16 février 2017.
 
Magnétiques et visionnaires, les œuvres des cinéastes Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval libèrent de nouvelles manières de faire, de penser, d’expérimenter et de nous entraîner avec elles dans le devenir du cinéma. Dans la fulgurance des instants qu’elles captent, chacune cristallise une expérience du monde, intime et vraie, agissant comme contrepoison aux violences du présent. Le cinéma traditionnel et ses modes de narration se sont épuisés, et cette évidence exige pour eux de retrouver quelque chose de la brûlante nécessité d’un art primitif, toujours (re)naissant. Or c’est par la rencontre du cinéma, de la danse, du théâtre, de la musique, des textes, des époques, des récits, au moyen de nouveaux outils, qu’ils font surgir une multitude de connexions sensibles ayant le pouvoir de transformer poétiquement et politiquement nos perceptions et notre rapport au monde.

À l’origine de cette exposition, il y a le scénario d’un film à venir : Cérémonie. Ou plutôt, Feuilles rouges, la nouvelle de Faulkner qui a fait naître le désir de ce film rêvé, projeté vers l’Histoire, vers aujourd’hui et demain. Cette nouvelle raconte la fuite d’un esclave noir qui, à la mort de son maître, tente d’échapper à une tradition (chickasaw) voulant que l’esclave soit enterré avec son maître et son cheval. Hanté par ce récit souterrain, une multitude d’histoires de chasse à l’homme et de dérobades, de captures et de libération, rassemblent les hommes et les femmes qui peuplent les trois parties de la présente installation.

Mais il y a également la présence des Lucile, solaires et radieuses, qui veillent sur l’exposition et nous accueille dans l’espace de la galerie dès le pas de la porte franchi. Que ces Lucile soient portées par la voix ou le corps d’une jeune femme de Paris, de Rio ou de Montréal, elles apparaissent comme autant de sœurs de la Lucile révolutionnaire et libre de Büchner (celle de La Mort de Danton) venue ici à la rencontre d’une réincarnation du Sasportas de La Mission de Müller — ancien esclave noir devenu révolutionnaire sous la Révolution française. On trouve dans le cinéma de Klotz et Perceval toute une communauté de femmes indociles, telles Ophélie de Hamlet-Machine (Müller encore), Antigone, ou quelque combattante républicaine espagnole qui habitent le corps de Sophie et de Carmen dans Low Life. Ces femmes « sauvages », ces survivantes, ce sont aussi celles qui peuplent la nuit de Je sais courir mais je ne sais pas m’enfuir. Blondes ou noires apparitions, c’est en ravivant des liens fraternels avec le jeune migrant pourchassé qu’elles renversent, l’espace d’un instant, le sort jeté contre l’homme noir depuis des siècles en même temps qu’elles suppriment le pouvoir de la capture.

Tout est lié dans l’Histoire comme dans les récits éclatés, non linéaires, qui se croisent dans les trois œuvres présentées, dans la conjugaison des forces de l’esclave noir d’hier et du migrant « clandestin » d’aujourd’hui, du mendiant de Je sais courir… et des sans-abri de Paria que nous retrouvons aux côtés des Africains sans-papiers de La Blessure dans Nous ne figurons pas dans le paysage. Monde de présences miraculeuses et de voix mêlées. Voix d’une humanité que de multiples mouvements rassemblent dans un seul espace où nous, spectateurs, circulons. Ici comme partout dans l’œuvre de Klotz et Perceval, quelque chose circule entre l’Histoire et l’intime, entre le passé et l’avenir, entre les événements et la mémoire que le cinéma en retient, qui modifie notre manière de les regarder. Quelque chose qui rêve (politiquement) le cinéma en ouvrant de fabuleux espaces de liberté pour l’imagination.
 
— Marie-Claude Loiselle
 

Les cinéastes de réputation internationale Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval ont réalisé huit longs métrages et plusieurs documentaires, courts métrages, vidéos et installations. Leur travail a été présenté sur la scène internationale dans le cadre d’expositions et de festivals et plusieurs rétrospectives leur sont consacrées. Le Centre Pompidou prépare actuellement une grande exposition rétrospective, qui réunira pour la première fois l’ensemble de leur travail.

Marie-Claude Loiselle a été rédactrice en chef de la revue 24 images de 1992 à 2016. Elle est collaboratrice à l’écriture et au montage de Combat au bout de la nuit (2016) et du Chant des pierres (en développement) de Sylvain L’Espérance.
 

I am the Organizer of My Own Archive

Je suis l’organisatrice de mes propres archives

Nous nous méprenons, à considérer nos souvenirs comme des films se déroulant dans notre tête. Revenus à la réalité, force nous est de constater que notre vie ressemble plutôt à un carton rempli de photographies dans lequel on aurait fouillé, n’y laissant qu’un ordre aléatoire ou précaire. Ces films constituent plutôt une reconfiguration de ces images fixes dans le tissu même de nos vies, processus de structuration du sens qui régit également le soi. Citant un dialogue tiré du programme (1), I am the Organizer of My Own Archive présente une gamme de tactiques permettant d’entrer en relation avec les vestiges de nos histoires personnelles et sociales, soulignant la liberté d’interprétation qui se manifeste dans tout projet visant à extraire un sens d’objets isolés ou d’expériences remémorées.

Raconter sa propre histoire consiste à recenser les façons dont les comportements sociaux ont soutenu ou entravé notre désir. L’œuvre Maria Lassnig Kantate (1992) de Maria Lassnig présente une femme passionnée de 73 ans cherchant à comprendre son ambition artistique au moyen d’une réflexion sur les combats qui ont jalonné sa carrière. Peintre très accomplie (bien que généralement reconnue comme telle seulement vers la fin de sa vie), Lassnig utilise ici l’animation et le chant pour procéder à des révisions ciblées des récits biographiques portant sur les femmes, notamment les femmes artistes.

Les artefacts produits pour assurer la subsistance — les biens construits, consommés et bientôt rejetés — circulent selon des systèmes de valeur qui se chevauchent et parfois s’opposent. Soft Film (2016) de Sara Cwynar épouse les trajectoires que ces forces en concurrence tracent pour des types déterminés de marchandises d’occasion, illustrant comment un objet peut être radicalement réexaminé selon les relations de pouvoir qui le structurent au repos. Travail essentiellement photographique, cette œuvre met littéralement en mouvement la pratique de Cwynar, interrogeant la façon dont circulation et collection modèlent la signification que nous attribuons aux objets.

Parfois nous réinventons à nos propres fins les récits qui nous ont été transmis, sachant qu’ils nous façonnent, que nous en soyons les auteurs ou non. L’œuvre Where the Water Boils (2017) de Krista Belle Stewart, à son inauguration chez Dazibao, s’approprie des images tirées de volumes encyclopédiques, les découpant en une myriade de piécettes et les réarrangeant sous la forme d’histoires qui contestent les récits qu’elles devaient normalement illustrer. Stewart s’oppose ici aux recherches ethnographiques ayant historiquement été utilisées contre ses sujets. En lieu et place, elle utilise ces documents officiels et publics à des fins révisionnistes, refaçonnant ces histoires sociales et les mettant au service de ses propres buts.

Et pourtant, l’aménagement de l’expérience n’assure pas toujours la clarté du discours. L’œuvre A Woman is Not a Woman (2015) de Dylan Mira témoigne du fait que parfois l’idée qui découle de l’organisation d’une archive résiste à la chronologie et à la cohérence. Dans le cas de Mira, ce qui découle de sa collecte de liens apparemment disparates est ce qu’elle appelle une représentation diffractée de l’histoire, qui devient un projet de recherche en décolonisation. Une fois les systèmes déconstruits, les vieilles façons d’apprendre ne produisent plus de résultats fiables. Mais dans le cadre de cette déconstruction, de nouvelles façons d’être se font jour.

Une façon reconnue de procéder est de rassembler les éléments pertinents en établissant une masse critique qui rejette ce qui a été fait avant ou n’en tient simplement pas compte. Constitué d’images récupérées, de séquences de films provenant de sa propre famille et de documents authentiques, Lessons (2014—) de Martine Syms est un poème visuel en cours — devant comprendre à terme 180 éléments, mais présentés ici dans ses 60 premiers segments — composé de clips vidéo de 30 secondes exprimant chacun une leçon de vie. Syms démontre que l’héritage est un matériau et un concept philosophique qui traverse les cadres personnels et civils. En rassemblant et en rendant publiques ces leçons, Syms joue avec la gravité : par leur proximité, ces leçons, en tant que représentations, rendent possible une façon d’être en tant que réalité.

Bien que les documents constituant une archive conservent les traces de vies antérieures, elles permettent également de pressentir les choses. Le documentaire de science-fiction intitulé Lumapit Sa Akin, Paraiso (Viens à moi, Paradis) (2016) de Stephanie Comilang présente les soins et la créativité dont témoignent les travailleuses migrantes philippines à Hong Kong qui permettent d’envisager une civilisation future étrangère où l’esprit communautaire constitue son propre type de technologie. Dans ce contexte, les aspects urbains et numériques de l’espace public s’alignent, intégrant les soins et la communication en tant que documents d’archives, organisés afin d’assurer leur durée.

Ainsi, les archives ne constituent pas des réceptacles passifs des vestiges demeurant après que leur détérioration émotive et matérielle s’est installée. Par le biais de ces collections, des histoires personnelles et politiques prennent forme, chacune étant informée en fonction du pouvoir et des privilèges. I am the Organizer of My Own Archive met de l’avant la force de récupération découlant d’une restructuration de l’expérience, à partir d’un positionnement ressenti au sein des forces sociales qui encadrent nos vies personnelles. Ces artistes, par divers types de pratiques de collage, reconfigurent les richesses photographiques que recèlent leurs souvenirs et héritages afin de repousser la misogynie tant manifeste que subtile et se réapproprier des traditions radicales et, ainsi, façonner l’avenir autrement. Quoi de mieux que parler pour soi et faire que cette parole constitue un témoignage de ce qui a été et de ce qui viendra ensuite ?
 
— cheyanne turions

PROGRAMME

Maria Lassnig, Maria Lassnig Kantate (1992) — 7 min. 35 sec.
Sara Cwynar, Soft Film (2016) — 7 min. 06 sec.
Krista Belle Stewart, Where the Water Boils (2017) — 3 min. 26 sec.
Dylan Mira, A Woman is Not a Woman (2015) — 22 min.
Martine Syms, Lessons (2014—) — 30 min.
Stephanie Comilang, Lumapit Sa Akin, Paraiso (Come to Me, Paradise) (2016) — 25 min. 46 sec.
 (1) Le titre du programme est tiré de l’œuvre Soft Film (2016) de Sara Cwynar.

Stephanie Comilang est une artiste canado-philippine vivant entre Toronto et Berlin. Elle est titulaire d’un baccalauréat du Ontario College of Art & Design. Son travail documentaire porte sur les facteurs culturels et sociaux qui façonnent un environnement et a été montré dans le cadre d’expositions et de festivals au Canada, en Europe et en Asie. Son plus récent film, un documentaire de science-fiction intitulé Lumapit Sa Kin, Paraiso, a été visionné au Asia Art Archive in America, New York; à SALTS, Bâle; et à 8-11, Toronto. Son travail sera bientôt présenté dans le cadre de DGTL FMNSM, Dresde, Allemagne, et d’une exposition solo en 2017 à Artspeak, Vancouver.

Née à Vancouver et résidant à Brooklyn, Sara Cwynar est titulaire d’une maitrise en photographie de la Yale University. Ses images composites — vidéo et photographiques —d’objets et d’images trouvés évoquent le passage du temps. À l’aide de décors de studios, collages et de la re-photogra-phies, elle produit des tableaux complexes à partir de publicités de magazines, de cartes postales ou de catalogues. Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions au Canada, aux États-Unis et en Europe : L’image volée à la Fondazione Prada, Milan; Greater New York au MoMA PS1, New York; et Under construction – New Positions in American Photography à Pioneer Works, Brooklyn. Elle a publié son premier livre Kitsch Encyclopedia aux éditions Blonde Art Books en 2014.

Maria Lassnig (1919-2014) est considérée comme l’une des figures marquantes de l’art contemporain autrichien. Au cours de ses 60 ans de carrière, elle a créé un important corpus d’œuvres, tant en peinture, en graphisme et en sculpture qu’au cinéma. Le dialogue soutenu qu’elle a entretenu avec son art a constitué le fil conducteur de sa vie. La notion de « conscience corporelle » (body awareness) est caractéristique de son œuvre : en découvrant de façon introspective la vraie nature de sa propre condition, elle exprimait des sensations physiques à travers l’art. Son travail a été présenté dans de nombreuses expositions individuelles et collectives : au Museum of Contemporary Art, Los Angeles; à la Serpentine Gallery, Londres, Royaume-Uni; à la documenta 7, Kassel, Allemagne; au Centre Pompidou, France et à la Tate Liverpool, Londres, Royaume-Uni; parmi d’autres lieux. Elle a représenté l’Autriche à la 39e Biennale de Venise.

Dylan Mira a grandi entre le Midwest des États-Unis et l’Asie de l’Est et vit aujourd’hui à Los Angeles. Elle a obtenu une maitrise de la UCLA, et son travail enregistre les affects et les accidents, abordant l’information d’une multitude de points de vue afin d’en contester la lecture et la texture automatique de l’inconnu. Ses projets ont notamment été présentés à LAXART, Hollywood; à la Galerie Leonard et Bina Ellen, Montréal; à The Drawing Center, New York; au Museum of Contemporary Art, Los Angeles; à la Audain Gallery, Vancouver; au Institute of Contemporary Art, Miami; au Film Society of Lincoln Center, New York et à Performa 15, New York. Le Portland Institute of Contemporary Art lui a récemment passé la commande d’une performance de son essai vidéo en temps réel Duty Free dans le cadre de TBA:16. Elle a lancé un album intitulé Irredeemable Tender et est cofondatrice du salon d’écriture bimensuel CUNextNextTuesday.

Krista Belle Stewart vit et travaille à Vancouver et détient une maitrise du Bard College, New York. Son travail s’attache à la complexité du matériel d’archives à travers des processus qui permettent à la fois l’intimité et la coïncidence ainsi que la réunion atemporelle d’acteurs à travers le temps. Travaillant avec la vidéo, la photographie, le design, l’éphémère et le textile, Stewart fait le lien entre histoires personnelles et histoires institutionnelles grâce à une médiation transparente. Parmi ses expositions, mentionnons Motion and Moment Always à la Contemporary Art Gallery, Vancouver; Seraphine, Seraphine à la Mercer Union, Toronto ainsi que Fiction/Nonfiction à l’Esker Foundation, Calgary. En 2015, la ville de Vancouver lui commandait une œuvre d’art publique dans le cadre du projet
« Year of Reconciliation ». Elle est membre de la bande Upper Nicola de la Nation Okanagan.
Artiste de Los Angeles, Martine Syms utilise la vidéo et la performance pour examiner les représentations de l’identité noire et leurs relations avec les comédies de situation (sitcoms) américaines, le vernaculaire noir, les mouvements féministes et les traditions radicales. Son travail a été largement diffusé, notamment au New Museum, New York; au Studio Museum, New York; au Kunsthalle Bern, Suisse; au Museum of Contemporary Art, Los Angeles et au MoMA PS1, New York. De 2007 à 2011, elle était codirectrice du centre d’artistes Golden Age à Chicago et dirige actuellement Dominica Publishing, imprimé consacré à l’exploration de l’identité noire dans la culture visuelle. Elle est l’auteure de Implications and Distinctions: Format, Content and Context in Contemporary Race Film (2011).

Commissaire indépendante et auteure, cheyanne turions est titulaire d’une maitrise en Visual Studies de la John H. Daniels Faculty of Architecture, Landscape and Design de la University of Toronto. D’origine mixte européenne et autochtone, elle compte parmi ses ancêtres les personnes qui se sont installées dans les terres faisant l’objet du Traité no. 8. Elle siège au conseil d’administration de Kunstverein, Toronto, au comité de rédaction consultatif de C Magazine et au comité Éducation et Communauté de la Art Gallery of Ontario. Elle est directrice de No Reading After the Internet (Toronto) et directrice artistique du centre Trinity Square Video. Tout au long de l’année 2017, elle fera partie du collectif Wood Land School : Kahatènhston tsi na’tetiátere ne Iotohrkó: wa tánon Iotohrha.
 

Abonnez-vous au bulletin du Réseau art Actuel