Mécontentement des artistes des arts médiatiques et technologiques à l’endroit du RAAV

Mandaté par la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Mme Christine St-Pierre, le Comité L’Allier a débuté les travaux de mise à jour des lois sur le statut de l’artiste (S-32.1 et S-32.01) l’automne dernier. Les associations professionnelles, les regroupements nationaux et les syndicats d’artistes, invités à participer au Comité L’Allier, avaient convenu d’une méthode de travail qui ne retenait que les options qui faisaient consensus.

La polémique actuelle qui secoue le milieu des arts médiatiques et technologiques est née du refus du Regroupement des artistes en arts visuels (RAAV) de se rallier au consensus sur la proposition soumise par des artistes et organismes des arts médiatiques lors de la dernière réunion du Comité L’Allier. Cette proposition soutenait la création d’un quatrième domaine artistique, dédié aux arts médiatiques et technologiques, dans la Loi S-32.01, lequel domaine aurait pu être ajouté aux trois domaines déjà inscrits dans la loi : arts visuels, littérature et métiers d’art, sur recommandation de la ministre St-Pierre.

Le RAAV, pour justifier son refus, a maintenu avec entêtement que la pratique des arts visuels incluait déjà les arts médiatiques et que toutes les pratiques reconnues en arts médiatiques et arts technologiques – y compris l’art audio – faisaient déjà partie de la définition du domaine des arts visuels, au même titre que le dessin, l’estampe et l’art de la fibre. Le RAAV s’appuyait sur l’accréditation qu’il avait reçue de la défunte Commission de reconnaissance des associations d’artistes et de producteurs (CRAAP) en 1991 et renouvelée en 1993, soit 5 ans avant que le milieu des arts médiatiques et technologiques ne fonde son propre regroupement national, le Conseil québécois des arts médiatiques (CQAM).

Les représentants du RAAV sont restés sur leur position avec une intransigeance tout à fait incompréhensible devant la volonté exprimée unanimement par les premiers concernés, c’est-à-dire, les praticiens des arts médiatiques et technologiques présents, tous en faveur d’un 4e domaine artistique.

Contrairement à ce que certains pourraient laisser croire, les implications de ce refus dépassent la simple querelle territoriale pour la communauté des arts médiatiques et technologiques, mais interpellent tous les artistes professionnels des arts médiatiques et technologiques qui auront à vivre avec les conséquences de l’entêtement du RAAV qui est loin de rechercher, dans ce cas-ci, le bien de ces artistes.

La vision du RAAV vis-à-vis des arts médiatiques et technologiques est clairement exprimée dans son mémoire, Mémoire en prévision du budget 2010-2011 du Gouvernement du Québec, envoyé à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine au terme des rencontres du Comité L’Allier en décembre 2009 et rendu public dans leur site Internet. Le RAAV y affirme en toutes lettres à la page 5 que le soutien des arts médiatiques se fait au détriment des pratiques traditionnelles d’arts visuels qu’il défend.

Il est historiquement exact de dire que le terme « arts médiatiques » a été introduit dans le vocable par les conseils des arts en 1984 (Canada) et en 1999 (Québec) afin de reconnaître la création réalisée grâce à des processus et des outils informatiques et technologiques, et pour soutenir cette forme de création par des programmes d’aide spécifiques. Cependant la dénomination de cette discipline artistique n’existe pas dans les textes de loi. Nonobstant ce contexte, vingt ans plus tard, la discipline des arts médiatiques comprend un univers spécifique de pratiques diversifiées où les outils et les technologies sont indissociables du processus qui ne se reconnaît point comme faisant partie des expressions représentées par le RAAV. 

La communauté des arts médiatiques a tenu ses premiers États généraux en 2008. Les participants à cet événement de trois jours ont balisé l’avenir des arts médiatiques et technologiques de nombreuses pistes de développement, lesquelles envisagent tous le renforcement et la reconnaissance du caractère distinct de la discipline des arts médiatiques et technologiques. Or, non seulement le RAAV n’a-t-il pas pris part à ce rendez-vous historique, mais son mémoire ne reprend aucune des préoccupations du milieu énoncées à ce moment-là. Serait-ce parce qu’il n’a aucun intérêt à défendre les causes réellement préoccupantes pour les artistes qu’il a la prétention de vouloir représenter ?

En 2010, ces pratiques dépassent de loin la définition primaire d’une œuvre visuelle s’exprimant sur un support média, lequel support est devenu dans beaucoup de cas, le dispositif qui facilite l’expression d’un processus de création électronique, informatique ou technologique. Ces artistes sont à la fois des créateurs, des producteurs et même parfois des diffuseurs de leurs œuvres et ont fondé des lieux de création, de production et de diffusion – les centres d’artistes – dont ils sont eux-mêmes les administrateurs. L’environnement dans lequel ils évoluent est tout à fait singulier et ressemble peu à la vision que le RAAV défend, soit celle qui voit les artistes d’un côté et les producteurs et les diffuseurs de l’autre côté dans un climat d’antagonisme perpétuel.

Dans un envoi récent à ses membres, le directeur général du RAAV prétend que leur préoccupation première est d’assurer que « ces artistes soient bien représentés et selon leur  propre volonté, pas celle des diffuseurs ou producteurs de ce secteur ». Pourtant, ce sont des artistes qui ont proposé cette option au Comité L’Allier …

Sous quelle autorité et de quel droit, le RAAV se permet de s’immiscer dans leurs démarches en faveur de la reconnaissance de leur discipline comme un nouveau domaine ?

Le refus du RAAV de se rallier au consensus risque de mettre sur la glace tout espoir de réflexion sur la reconnaissance légale de cette discipline dans un avenir rapproché, ce qui aurait pour résultat d’amoindrir la possibilité pour les associations représentant les arts médiatiques et technologiques de travailler à l’amélioration du statut socio-économique, des conditions de création et de diffusion des artistes du domaine, notamment, la création de barèmes des cachets d’artistes et des droits d’exposition distincts applicables aux œuvres issues des arts médiatiques et technologiques.

Présentement, la Loi S-32.01 exclut des artistes dont plusieurs sont reconnus comme des chefs de file mondiaux dans leur domaine. À titre d’exemple, mentionnons les projets suivants : La chambre des machines de Martin Messier et Nicolas Bernier de l’organisme Perte de Signal, POWEr d’Alexandre Burton et Julien Roy du collectif Artificiel et Coincidence Engines d’Emmanuel Madan et Thomas McIntosh de The Users, en nomination pour un prix. Ces projets font partie des têtes d’affiches de la Transmediale, une des plus importantes manifestations internationales des arts numériques, qui débute aujourd’hui, le 2 février, à Berlin. Ces œuvres témoignent du caractère distinct de cette démarche artistique. Pourtant ces artistes ne bénéficient d’aucune protection sous cette loi. Il est à craindre que le refus du RAAV de se rallier au consensus ne perpétue ce vide.

Il est légitime de se demander pourquoi les artistes des arts médiatiques et technologiques doivent attendre de recevoir l’aval du RAAV pour revendiquer la reconnaissance de leur discipline à titre de domaine artistique distinct.

Le CQAM partage ce mécontentement et travaillera de concert avec ses membres et tous les artistes des arts médiatiques et technologiques pour que la discipline des arts médiatiques et technologiques jouisse de la même reconnaissance dans les lois que les trois autres domaines artistiques et qu’elle soit reconnue ici au Québec au même titre que ses artistes sont reconnus de par le monde.

Le CQAM, Montréal le 2 février 2010

Pour vous aider à mieux comprendre cette situation, consultez les deux liens ci-dessous :

L.R.Q., chapitre S-32.01 Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs :
http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca

Mémoire en prévision du budget 2010-2011 du Gouvernement du Québec, décembre 2009, RAAV :

http://www.raav.org/pls/htmldb/f?p=105:39:2785427495568350::NO::P39_ID_N…

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