Les artistes de la scène manifestent devant les bureaux de la CSQ à Montréal et devant différentes écoles

Victimes des moyens de pression des enseignants
Les artistes manifestent devant les bureaux de la CSQ

Marie-Andrée Chouinard, Stéphane Baillargeon

Les artistes font les frais du boycottage des activités culturelles par les enseignants et ils l’ont souligné hier en organisant une manifestation devant le siège social de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ).

Les enseignants des écoles primaires et secondaires du réseau public québécois ont décrété le nouveau boycottage des sorties artistiques ou sportives, le troisième en six ans, comme moyen de pression dans le cadre du renouvellement de la convention collective.

Le choc s’avère déjà brutal. À ce jour, la Maison Théâtre n’a pas encore reçu 10 000 réservations du public scolaire. L’an dernier, à pareille date, le TNM des jeunes en comptait déjà plus de 30 000. La situation serait grosso modo la même chez les autres diffuseurs québécois.

Cette perte des deux tiers des représentions a des conséquences directes sur les artistes. Pour les comédiens, la perte de revenus anticipée de la saison 2005-2006 oscille autour de 5250 $ en moyenne. Les auteurs et les concepteurs perdraient environ 1 500 $ par pièce.

«Nous ne sommes pas ici pour revendiquer de meilleures conditions salariales», a déclaré Martin Faucher, président du Conseil québécois du théâtre (CQT), aux quelques dizaines de personnes réunies dès 11h devant les bureaux de la CSQ, rue Sherbrooke Est à Montréal. «Nous sommes ici pour réclamer le droit au travail. La situation créée par le boycottage est injuste et mesquine, pour nous comme pour les enfants privés de culture.»

La manifestation était aussi appelée par l’Association des diffuseurs spécialisés en théâtre (ADST), Théâtres unis enfance jeunesse (TUEJ) et le Réseau indépendant des diffuseurs d’événements artistiques unis (RIDEAU). Les regroupements québécois de la musique et de la danse avaient délégué des représentants. Plus tôt, des interventions rassemblaient des artistes et des professionnels du milieu devant des écoles de Montréal, Laval, Québec, Sherbrooke, Saguenay et Otterburn Park.

Réjean Parent, le président de la CSQ, a rencontré une délégation de représentants des artistes en après-midi. «Il nous a dit comprendre le ras-le-bol des artistes et nous a donné son appui pour qu’une telle situation ne se reproduise plus, a confié Alain Grégoire, directeur de la Maison Théâtre. C’est la question de fond que toute la société doit maintenant se poser : quelle importance doit accorder l’art à l’école ?»

La présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), Johanne Fortier, comprend l’agacement des artistes mais remet de l’avant qu’«un moyen de pression qui ne crée pas de pression, ce n’est pas un moyen de pression».

«Je l’ai déjà dit à M. [Pierre] Curzi [président de l’Union des artistes]», a ajouté Mme Fortier. «En menaçant de boycotter la saison théâtrale l’an dernier, les comédiens eux aussi auraient pu créer des répercussions négatives sur des petits salariés, comme les placiers par exemple. Nous avons les moyens de pression que nous pouvons.»

L’an dernier, une alliance des enseignants avec le milieu culturel avait même été envisagée, histoire de convaincre Québec de l’importance de la culture dans le giron de l’école. Le projet n’a pas été mené à terme. «Force est de constater que nos actions d’appui n’ont jamais le même impact que lorsqu’on choisit de déranger», ajoute Mme Fortier, qui se dit «sensible» aux dénonciations des artistes.

Pendant que ce moyen de pression faisait fulminer le milieu culturel, les enseignants entraient hier dans une ronde intensive de négociations avec la partie patronale. La table politique a promis des échanges très serrés, qui pourraient mener à une entente de principe d’ici au 15 septembre, sur la portion concernant les conditions de travail.

«Nous repartons de là où on avait laissé en juin», a indiqué hier Mme Fortier, insistant sur le fait que «c’est la partie patronale qui a interrompu les échanges» au printemps alors que l’entente était quasi ficelée. «On pourrait dire aussi que le Conseil du trésor a interrompu les échanges parce que la CSQ a refusé l’offre salariale qui lui était faite», nuance le porte-parole du Comité patronal de négociation, Jean-Pierre Saint-Gelais.

Si la CSQ continue d’échanger avec le gouvernement sur les salaires de ses membres, rien n’empêchera, semble-t-il, la FSE de régler le côté normatif des choses. «Nous travaillons toujours dans une perspective de règlement global», a répété M. Saint-Gelais, «mais cela n’exclut pas le fait que la FSE consulte ses membres deux fois : une fois pour le normatif, et une seconde pour le salarial», ce qui constituerait une première.


Tirer sur le pianiste
Un éditorial de Bernard Descôteaux

Victimes, pour la troisième fois en six ans, des syndiqués de l’enseignement qui choisissent le boycottage des sorties culturelles comme moyen de pression exercé sur l’État employeur, les artistes disent leur ras-le-bol. Pancartes en main, ils se sont donné rendez-vous mardi devant le siège social de la Centrale des syndicats du Québec pour tenter de faire comprendre aux enseignants que ceux-ci leur font mal, très mal.

La négociation pour le renouvellement des conventions collectives repose souvent sur un rapport de force entre les parties qui est plus difficile à établir dans le secteur public que dans le secteur privé, l’État employeur ayant toujours le dernier mot par le biais d’une loi spéciale ou d’un décret. Les stratèges syndicaux, avec raison, cherchent à éviter le recours à la grève générale en menant des actions qui s’apparentent à la guérilla plutôt qu’à la guerre. Le boycottage des sorties culturelles par les enseignants relève de cette stratégie.

«Nous avons les moyens de pression que nous pouvons», fait valoir la présidente de la Fédération des syndicats d’enseignement, Johanne Fortier. Vaut mieux, dans son esprit, annuler une visite de musée ou un après-midi au théâtre que recourir à des journées de grève qui dresseront les parents contre les enseignants. Leur geste est tout à fait légal, puisque rien dans les conventions collectives n’oblige ces derniers à participer à des sorties culturelles ou sportives. À peu de frais, on embête ainsi l’employeur, sur qui on espère reporter l’odieux de la situation. À lui de se débrouiller avec les parents insatisfaits et les organismes culturels, victimes collatérales du conflit.

Stratégie du moindre mal, ce boycottage des sorties culturelles a toutefois le défaut de faire très mal aux organismes culturels qui, même s’ils n’ont rien à voir dans le présent conflit, en subiront tous les inconvénients. Annoncée à la fin de la dernière année scolaire, cette action les a laissés dans une incertitude totale quant à la participation des élèves à leurs événements, avec comme perspective la perte de revenus et, en fin de compte, des salaires et des cachets en moins pour les artistes. Pour la plupart, ce sera une année perdue même si, comme on peut l’espérer, un règlement survenait rapidement à la table de négociation des enseignants.

Le fait que les enseignants ont recours pour une troisième fois en six ans à ce moyen de pression rend la situation intenable pour nombre d’organismes qui, même en temps normal, se battent pour leur survie. Les théâtres jeunesse, comme les metteurs en scène et les acteurs qui y travaillent, il faut le souligner avec force, ne font pas partie des privilégiés de notre société.

Tirer ainsi sur le pianiste est facile et injuste. La répétition rend odieux ce moyen de pression qui, il faut bien le dire, ne coûte rien aux enseignants. Pour eux, il n’y a aucune perte de salaire. Il n’y a même pas l’obligation de sortir pour faire du piquetage. Tout au plus auront-ils à affronter le regard déçu de leurs élèves lorsque ceux-ci apprendront qu’il n’y a pas cette année de sorties culturelles au programme. Le moindre mal est pour eux seulement.

Les professeurs de deux commissions scolaires anglophones de la région de Montréal ont choisi pour leur part de boycotter ce boycottage, jugeant que tous y perdaient à ce jeu, eux les premiers en tant que professionnels de l’enseignement. Même en conflit de travail, il ne faut pas oublier cette dimension du rôle d’enseignant, qui devrait obliger à une lecture large de la convention collective.

http://www.ledevoir.com/2005/09/08/89871.html

http://www.ledevoir.com/2005/09/07/89806.html

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