Émilie Serri et Ingrid Syage Tremblay
Émilie Serri
Damascus Dreams
Dans sa petite salle, la Galerie B-312 projette Damascus Dreams, le premier long-métrage documentaire de Émilie Serri. Atypique par sa forme et son contenu, cette œuvre cinématographique a été conçue à la manière d’un collage composé d’une diversité de types d’images. Provenant d’archives personnelles et familiales, de tournages et d’internet, les photographies et les vidéos sont juxtaposées. Le film montrant l’artiste alors qu’elle a deux ans devient cinéma au même titre que les séquences scénographiées, ce qui est d’ailleurs mis en abyme dans un des extraits. Peut persister un certain doute par rapport à ce qui est tourné, imaginé, mis en place ou pris sur le vif. Le film est construit d’allers-retours ; les clés de lecture sont données par la narration et la volonté de montrer le processus de création, incluant les critiques reçues en cours de projet. Émile Serri recueille plusieurs visions de la Syrie depuis trois points de vue. Le sien est fantasmé, celui de son père est nostalgique, celui des réfugiés syriens est collé à une réalité encore difficile à nommer. Dans les entrevues dirigées, elle leur demande, entre autres, de raconter des souvenirs ou des rêves récurrents. Certains livrent alors des témoignages touchants. D’autres préfèrent, consciemment ou non, ne pas se souvenir, ne veulent ou ne peuvent répondre à ces questions. Le son – et les silences – qui accompagne les images ajoute une note inquiétante, ou une fébrilité, à ce qui est sur le point de se produire. Avec Damascus Dreams, la cinéaste poursuit, intuitivement, la recherche de son pays d’origine, se questionnant sur ce qu’elle pourra léguer de cet héritage. Par l’hybridité des contenus et des interlocuteurs ainsi que par l’appel aux rêves, à la mémoire et au réel, elle réussit à parler d’un sujet politique et sensible avec délicatesse et poésie. L’invitation est lancée à prendre le temps de vivre cette exposition différemment en venant vous absorber de cette quête pendant les 83 minutes du film.
—JOANNIE BOULAIS
Damascus Dreams a été présenté en première au renommé Festival international du film de Rotterdam. En plus du prix de la critique internationale au Festival du nouveau cinéma de Montréal, il a reçu le prix de la meilleure contribution artistique au Festival international de Curitiba au Brésil ainsi qu’une mention pour meilleur documentaire au Festival international du film de Vancouver. Depuis sa sortie en 2021, il continue à voyager dans les festivals. Il est par ailleurs présenté à Copenhague dans le cadre d’un programme sur le cinéma syrien du 11 au 16 septembre 2024.
INGRID SYAGE TREMBLAY
Disparue en forêt
La Galerie B-312 présente, dans sa grande salle, le nouveau corpus de Ingrid Syage Tremblay, dont la majorité des sculptures sont conçues par taille directe sur bois. Ayant d’abord la volonté d’utiliser cette technique traditionnelle dans le champ de la recherche en art actuel, elle crée un parallèle avec l’art textile. En creusant le bois, elle déconstruit ses forces internes et les réorganise, évoquant la structure du textile, formée par entrecroisement de fils. Les figures qui en émergent rappellent également la fibre : hamac, filet, vannerie, macramé. Les vides laissent passer la lumière et la matière semble devenir malléable comme du tissu. Il est difficile de saisir, à première vue, que tous les chaînons d’Un filet échoué ont été sculptés à partir d’une seule planche, sans aucun assemblage. Ailleurs, le bois est si finement travaillé qu’il rappelle la dentelle. Le fait main souligne l’importance du geste et met de l’avant le sens du toucher. Apparence de légèreté et poids du matériau sont étroitement liés ; la gravité ne pouvant être niée lors des choix de présentation. Par la mise en espace – fixées au mur, déposées sur des supports, autoportantes – un rythme est installé et des conversations bruissent d’une pièce à l’autre. Deux d’entre elles se distinguent, esthétiquement et conceptuellement. Bidimensionnelle, l’œuvre Quatre montagnes et leurs reflets est constituée de pulpe de papier fabriquée avec la poussière de bois récupérée du processus de création des autres sculptures tandis que chacune des feuilles composant Le paysage à mes pieds a été sculptée d’après modèle, à la manière d’un dessin d’observation. Élaborée dans un moment de deuil, l’artiste a voulu transmettre avec cette proposition la perception du recueillement en forêt et du cycle de vie. Les titres sont parfois empruntés à des ouvrages et à des expressions liés à la nature – La douceur de l’ombre est le titre d’un livre d’Alain Corbin, La timidité des cimes représente l’espace que certaines espèces d’arbres laissent entre leurs branches respectives. S’ils peuvent diriger la lecture, ils mettent surtout en lumière la poésie de ce travail. À découvrir jusqu’au 26 octobre.
—JOANNIE BOULAIS