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Argile du frêne
Charlotte Ghomeshi, Clara Lacasse, Claude Labrèche-Lemay et Loïc Chauvin
Argile du frêne réunit de nouvelles œuvres photographiques de Loïc Chauvin, Charlotte Ghomeshi, Claude Labrèche-Lemay et Clara Lacasse. Comme les syrphes, ces mouches jaunes et noires qui ressemblent aux abeilles et aux guêpes et ainsi évitent leurs prédateurs, les œuvres présentées séduisent, dissimulent, leurrent. Par des associations poétiques, instinctives et parfois fortuites, les artistes manipulent et rassemblent différents fragments photographiques pour pointer vers ce qui s’enfouit sous leur surface : l’adaptation du corps face à ses défaillances, l’emprise humaine sur son environnement, la transformation du vivant en ressources naturelles ou l’espace de dérive qu’offre le quotidien.
Le cornet twist vanille-chocolat fond trop vite, ça dégouline sur mes souliers. Je perce avec mes dents un petit trou à la base du cornet, bascule la tête vers l’arrière et le place à la verticale au-dessus de ma bouche. J’attends. Je laisse le soleil faire le travail à ma place.
J’observe les lettres de l’enseigne lumineuse, D a i r y Q u e e n : chaque lettre est un volume de métal, de vis, d’écrous, de plexiglas, d’ampoules. Les lettres dorment en attendant la nuit. Le deuxième — e — est tout bouché : de loin on dirait presqu’un — o —. La lettre piaille : des moineaux y ont fait des nids, colmatant avec de la ouate et des brindilles chaque cavité qu’offre la lettre.
D a i r y Q u e o n.
La piste cyclable toussote en une descente en S. Je ralentis au premier tournant en haut de la côte. Quand la piste réapparaît plus bas, une ligne polie de bernaches et d’oisons la coupe perpendiculairement. J’attends, je regarde les frênes, au pied desquels reposent des morceaux de leur écorce. Leurs troncs nus révèlent d’impressionnantes galeries en serpentins, des gribouillis abstraits . Des panneaux expliquent que ces galeries sont creusées par l’agrile du frêne, un insecte ravageur à la carapace verte. À peine visible sur le bout de mon doigt, un reflet émeraude, l’insecte est pourtant capable de décimer des forêts de frênes.
Un diagramme montre une coupe en oignon de l’arbre. Du centre vers l’extérieur : moelle < bois de cœur < aubier < cambium < écorce. L’agrile, après s’être nourri des feuilles de l’arbre, profite de brèches dans l’écorce pour y pondre ses oeufs. Ses larves se nourrissent de la partie vivante de l’arbre, le cambium, entre l’écorce et l’aubier, y creusant des tunnels et des galeries. À la longue, ceux-ci empêchent le transport essentiel de l’eau et des nutriments des racines aux parties supérieures de l’arbre : l’arbre suffoque. Lorsque les premiers signes se font sentir, il est déjà trop tard. Je regarde les autres frênes qui semblent sains; je plisse les yeux pour essayer de voir au travers.
Plus tard, en pressant les touches de mon clavier d’ordinateur, des miettes égarées entre les touches viennent doubler certaines lettres, en omettre d’autres lorsqu’une touche reste enfoncée. Sous le mot agrile, le correcteur fait scintiller une ligne brisée rouge. Je vérifie l’orthographe, certain que les miettes ont modifié le mot. Il semble correct. Lorsque j’appuie sur la barre d’espacement après avoir écrit agrile, le correcteur s’en occupe lui-même et le change pour argile. Argile du frêne.
Entrée libre