Mégane Voghell s’intéresse à la correspondance entre la matière physique et la matière numérique. La salle d’exposition devient donc un terrain d’études pour créer une série d’oeuvres constituées d’un langage forgé par internet.
Dans le cas de droppages, le texte est extrait de l’échange et l’échange de son contexte numérique et « surmédiatique », lui donnant un sens différent, un contexte tangible.
En soustrayant les mots à leur structure technologique, que reste-t-il? Comment leurs affects agissent-ils hors des dispositifs essentiellement adaptés à leur envoi et leur réception?
Biographie :
Mégane Voghell (née en 1991 à Montréal) est formée en manipulation d’image, en photographie et en vidéo. Elle poursuit une pratique interdisciplinaire en nouveaux médias. Son travail investigue les dynamiques complexes qui relient les hommes à la technologie. Plus précisément, elle s’intéresse au détournement des plateformes de communication virtuelle, à la subversion de l’image commerciale et à la violence inhérente au spectacle du « feed » numérique.
Mégane a participé à différentes entreprises artistiques (Academy of Art Video Art, Interfold Magazine) et agi à titre de co-commissaire pour Sans feu ni lieu; Sans foi ni loi (Studio XX & Width: 700px, 2014). Son travail a été présenté dans diverses projections et expositions incluant Cristalline (VAV Gallery, 2014), harbinger (Eastern Bloc, 2015), Field Tasting (Eastern Bloc, 2015) et au FME, Rouyn-Noranda (Centre l’Écart, 2015).
***
SORRY, SOMETHING WENT WRONG
par Stéfanie Requin Tremblay, commissaire
obsolescence-Internet
La prépondérance de l’objet physique dans la société ne cesse de décroître, et cet objet physique apparaît aujourd’hui plutôt comme un support. Cependant, plutôt que de se lamenter à ce propos, les artistes post-Internet explorent les possibilités offertes par cette révolution.
Tiré de : L’art post-Internet surfe sur la vague (www.artistikrezo.com)
Il ne faudrait pas résumer l’obsolescence pop au sens de la rétromanie ou du Pop Art; le terme « pop » doit être entendu de manière plus vaste, plutôt comme un « environnement pop » (Chatonsky, 2015). Dans ce cas-ci, il s’agit de l’univers vertigineux et virtuellement infini du web (Dominguez Leiva, 2014). Ici, le contenu pop [Internet] est obsolète en raison de l’évolution constante de son support, sans cesse renouvelé/perdu. Alors, obsolescence pop emprunte aussi l’idée d’« un décalage entre la réalité et ce qu’on estime virtuel. Un flux qui fait un aller-retour entre nous et l’écran et laisse planer un sentiment d’anachronisme d’un côté et de l’autre. Qu’est-ce qui est plus vrai? Quel côté vaut-il le plus la peine d’entretenir? Lequel va périr en premier? » (Voghell, 2016).
Je suis obsédée par la poésie conceptuelle, souvent empreinte de malaise, issue de l’héritage du web et du langage numérique. C’est aussi ce qui m’attire dans l’art « post-Internet », terme nommé par Marisa Olson en 2008 (déjà), et sans cesse redéfini par plusieurs :
« On a pu remarquer il y a déjà quelque temps l’apparition du terme « post-Internet » visant à qualifier et à analyser les pratiques d’une nouvelle génération d’artistes, nés dans les années 80 et marqués par l’influence d’Internet lors de leur formation artistique. Cette dernière décennie fut en effet celle de la démocratisation du web (avec sa version 2.0), de l’apogée des réseaux sociaux, d’un accès illimité à la connaissance, autant d’outils propices à la création artistique […] considérant Internet non seulement comme un outil de travail mais aussi comme une manne esthétique en soi, autosuffisante, permettant d’explorer et d’habiter l’incommensurable complexité de nos sociétés contemporaines. » (www.zerodeux.fr/dossiers/de-lart-post-internet)
Les œuvres de Mégane Voghell s’insèrent dans le contexte du post-Internet à travers l’idée de la correspondance. Correspondance au sens littéral et littéraire du terme, mais aussi correspondance comme dialogue entre la matière numérique et la matière physique, entre le texte-image et son nouveau support tangible. Un support qui parfois est matériel brut, parfois objet domestique. Un décalage entre les objets, leur symbolique, et l’élément textuel qu’ils portent.
droppages
Les travaux de Mégane, mis en espace dans la salle, agissent en aller-retour entre eux, comme un logiciel de navigation Internet. Comme une recherche d’image Google qui devient errance, itinérance. À travers cette errance, le regard est attiré par l’imposante couleur pastel, rappelant ici les couleurs des éléments de papeterie, de bureautique ▬ post-it, papier imprimante, etc.
Le bureau, le MacBook Pro, l’imprimante, ce nouvel atelier de l’artiste post-Internet, son « atelier numérique ». N’était-ce pas cela aussi l’essence de cette résidence? Sortir de cet atelier virtuel pour jouer avec/dans l’espace physique? Où la correspondance entre la main et le clavier redeviennent celle de la main et du crayon, retranscrire la correspondance virtuelle sur un bloc-notes, cacheter des enveloppes avec de la cire, rendre le message, le « vu », précieux. En soustrayant l’émoji à sa structure technologique, que reste-t-il? Comment les affects agissent-ils hors des dispositifs essentiellement adaptés à leur envoi et à leur réception? Est-ce la même importance dans le réel ou le virtuel? Sorry, something went wrong.
La même question se pose sur la pièce centrale de l’exposition. Cette main qui tague, qui cherche à s’approprier tout ce qui l’entoure. Les éléments « droppés », mis en contexte de façon presque muséale, presque glaciale. Il en ressort le malaise de ce qui se passe habituellement en un clic, chacun devant ses écrans-territoires. Réflexe emprunté aux médias sociaux : on s’identifie, on tague son nom sur une photo, sur l’image d’un objet, d’un moment anecdotique auquel on accorde de l’importance. L’importance de marquer son territoire, son territoire-moi. Montrer qu’on est là, qu’on existe, qu’on a existé. S’approprier la scrap du web, un moment futile.
Ne reste au fond de la salle qu’une voix robotique s’adressant au spectateur : « Saisissez le premier coin en alignant le viseur vert ». Dans cette projection vidéo, on sent la présence humaine, la main qui filme, qui tremble, tentant de contrôler l’outil numérique. Cette main qui contrôle aussi la plume dans Photoshop.
L’absence de repères vient court-circuiter nos perceptions, mais n’est-ce pas cela qu’on vit chaque jour devant nos écrans? Se laisser porter par l’étrangeté, errer, communiquer, surinterpréter, frapper son mur. Anyway, sorry, something went wrong.
Dans le cas de droppages, le texte est extrait de l’échange et l’échange de son contexte numérique et « surmédiatique », lui donnant un sens différent, un contexte tangible.
En soustrayant les mots à leur structure technologique, que reste-t-il? Comment leurs affects agissent-ils hors des dispositifs essentiellement adaptés à leur envoi et leur réception?
Biographie :
Mégane Voghell (née en 1991 à Montréal) est formée en manipulation d’image, en photographie et en vidéo. Elle poursuit une pratique interdisciplinaire en nouveaux médias. Son travail investigue les dynamiques complexes qui relient les hommes à la technologie. Plus précisément, elle s’intéresse au détournement des plateformes de communication virtuelle, à la subversion de l’image commerciale et à la violence inhérente au spectacle du « feed » numérique.
Mégane a participé à différentes entreprises artistiques (Academy of Art Video Art, Interfold Magazine) et agi à titre de co-commissaire pour Sans feu ni lieu; Sans foi ni loi (Studio XX & Width: 700px, 2014). Son travail a été présenté dans diverses projections et expositions incluant Cristalline (VAV Gallery, 2014), harbinger (Eastern Bloc, 2015), Field Tasting (Eastern Bloc, 2015) et au FME, Rouyn-Noranda (Centre l’Écart, 2015).
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SORRY, SOMETHING WENT WRONG
par Stéfanie Requin Tremblay, commissaire
obsolescence-Internet
La prépondérance de l’objet physique dans la société ne cesse de décroître, et cet objet physique apparaît aujourd’hui plutôt comme un support. Cependant, plutôt que de se lamenter à ce propos, les artistes post-Internet explorent les possibilités offertes par cette révolution.
Tiré de : L’art post-Internet surfe sur la vague (www.artistikrezo.com)
Il ne faudrait pas résumer l’obsolescence pop au sens de la rétromanie ou du Pop Art; le terme « pop » doit être entendu de manière plus vaste, plutôt comme un « environnement pop » (Chatonsky, 2015). Dans ce cas-ci, il s’agit de l’univers vertigineux et virtuellement infini du web (Dominguez Leiva, 2014). Ici, le contenu pop [Internet] est obsolète en raison de l’évolution constante de son support, sans cesse renouvelé/perdu. Alors, obsolescence pop emprunte aussi l’idée d’« un décalage entre la réalité et ce qu’on estime virtuel. Un flux qui fait un aller-retour entre nous et l’écran et laisse planer un sentiment d’anachronisme d’un côté et de l’autre. Qu’est-ce qui est plus vrai? Quel côté vaut-il le plus la peine d’entretenir? Lequel va périr en premier? » (Voghell, 2016).
Je suis obsédée par la poésie conceptuelle, souvent empreinte de malaise, issue de l’héritage du web et du langage numérique. C’est aussi ce qui m’attire dans l’art « post-Internet », terme nommé par Marisa Olson en 2008 (déjà), et sans cesse redéfini par plusieurs :
« On a pu remarquer il y a déjà quelque temps l’apparition du terme « post-Internet » visant à qualifier et à analyser les pratiques d’une nouvelle génération d’artistes, nés dans les années 80 et marqués par l’influence d’Internet lors de leur formation artistique. Cette dernière décennie fut en effet celle de la démocratisation du web (avec sa version 2.0), de l’apogée des réseaux sociaux, d’un accès illimité à la connaissance, autant d’outils propices à la création artistique […] considérant Internet non seulement comme un outil de travail mais aussi comme une manne esthétique en soi, autosuffisante, permettant d’explorer et d’habiter l’incommensurable complexité de nos sociétés contemporaines. » (www.zerodeux.fr/dossiers/de-lart-post-internet)
Les œuvres de Mégane Voghell s’insèrent dans le contexte du post-Internet à travers l’idée de la correspondance. Correspondance au sens littéral et littéraire du terme, mais aussi correspondance comme dialogue entre la matière numérique et la matière physique, entre le texte-image et son nouveau support tangible. Un support qui parfois est matériel brut, parfois objet domestique. Un décalage entre les objets, leur symbolique, et l’élément textuel qu’ils portent.
droppages
Les travaux de Mégane, mis en espace dans la salle, agissent en aller-retour entre eux, comme un logiciel de navigation Internet. Comme une recherche d’image Google qui devient errance, itinérance. À travers cette errance, le regard est attiré par l’imposante couleur pastel, rappelant ici les couleurs des éléments de papeterie, de bureautique ▬ post-it, papier imprimante, etc.
Le bureau, le MacBook Pro, l’imprimante, ce nouvel atelier de l’artiste post-Internet, son « atelier numérique ». N’était-ce pas cela aussi l’essence de cette résidence? Sortir de cet atelier virtuel pour jouer avec/dans l’espace physique? Où la correspondance entre la main et le clavier redeviennent celle de la main et du crayon, retranscrire la correspondance virtuelle sur un bloc-notes, cacheter des enveloppes avec de la cire, rendre le message, le « vu », précieux. En soustrayant l’émoji à sa structure technologique, que reste-t-il? Comment les affects agissent-ils hors des dispositifs essentiellement adaptés à leur envoi et à leur réception? Est-ce la même importance dans le réel ou le virtuel? Sorry, something went wrong.
La même question se pose sur la pièce centrale de l’exposition. Cette main qui tague, qui cherche à s’approprier tout ce qui l’entoure. Les éléments « droppés », mis en contexte de façon presque muséale, presque glaciale. Il en ressort le malaise de ce qui se passe habituellement en un clic, chacun devant ses écrans-territoires. Réflexe emprunté aux médias sociaux : on s’identifie, on tague son nom sur une photo, sur l’image d’un objet, d’un moment anecdotique auquel on accorde de l’importance. L’importance de marquer son territoire, son territoire-moi. Montrer qu’on est là, qu’on existe, qu’on a existé. S’approprier la scrap du web, un moment futile.
Ne reste au fond de la salle qu’une voix robotique s’adressant au spectateur : « Saisissez le premier coin en alignant le viseur vert ». Dans cette projection vidéo, on sent la présence humaine, la main qui filme, qui tremble, tentant de contrôler l’outil numérique. Cette main qui contrôle aussi la plume dans Photoshop.
L’absence de repères vient court-circuiter nos perceptions, mais n’est-ce pas cela qu’on vit chaque jour devant nos écrans? Se laisser porter par l’étrangeté, errer, communiquer, surinterpréter, frapper son mur. Anyway, sorry, something went wrong.
Chicoutimi (Québec) G7J 1L4