Lettre ouverte à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Madame Christine St-Pierre.
Le mardi 17 juillet correspondait à l’anniversaire de la journée d’ouverture des Jeux olympiques de Montréal. Trente-six ans plus tard, nous rêvons toujours d’une relance créative du site olympique marqué par l’histoire. Ici comme ailleurs, nous rêvons d’un peu plus d’art actuel et d’art public entremêlant communautés, villes et autres horizons.
La semaine dernière, nous apprenions par les médias la tenue d’une conférence de presse par la Régie des installations olympiques et par le ministère du Tourisme (ministère responsable du Parc olympique). Le communiqué de la RIO était intitulé : «L’artiste québécois André Desjardins choisit le Parc olympique pour offrir sa première oeuvre monumentale.» Du côté du Tourisme, on titrait : « Retour d’une oeuvre d’art québécoise au Parc olympique… »
Les éléments développés dans les communiqués diffusés et les articles parus consternent la communauté artistique québécoise. Depuis une semaine, ils sont légion – artistes, amateurs d’art, travailleurs culturels, chercheurs – à avoir réagi dans les réseaux sociaux. La nature de ce don inopiné a de quoi surprendre tout un chacun, y compris les résidants de l’arrondissement Mercier-Hochelaga.
En effet, sous le couvert d’un don d’une sculpture offerte par l’artiste et ses agents, la RIO annonce qu’elle dépensera 50 000 $ pour le transport de la pièce des États-Unis vers Montréal et pour son installation sur le site. On nous précise que la sculpture n’existe pas, elle n’en est qu’à l’état de maquette (sic !). Toutefois – ô contradiction -, elle est déjà estimée à 1,1 million de dollars…
Opération de relations publiques ?
Au travers de cette transaction malencontreuse, nous voyons une grande opération de relations publiques de la part de la RIO, de l’artiste et de ses représentants. On nous informe que cet artiste n’a jamais réalisé de sculpture publique permanente (sic !). Qu’en penser ? Que cet artiste vient chercher ici, dans sa ville natale, une validation de son travail sur un site hautement symbolique ? Par qui et selon quels critères le « cadeau » a-t-il été évalué à 1,1 million de dollars ? Quelle est la cote réelle de cet artiste ? Quel processus a mené quel comité composé de quels spécialistes pour accepter ce don ?
Dans le communiqué de la RIO, Monsieur David Heurtel, son p.-d.g., ajoute : « Le Parc olympique de Montréal aura à nouveau une oeuvre publique sur son site qui cadre parfaitement avec son plan de relance. » Or, le « Rapport de la consultation sur l’avenir du Parc olympique » de 16 pages daté de 2011 ne mentionne rien en ce sens. Alors, comment s’inscrit l’acceptation soudaine de ce don ?
Nous ne nous étalerons pas ici sur la qualité esthétique douteuse et les élans d’arrière-garde du « cadeau empoisonné » intitulé Recevoir. Chose certaine, cette pièce n’est pas représentative des recherches et créations actuelles en art public, qui s’étendent bien au-delà de la figure du monument. La procédure nébuleuse entreprise par la RIO soulève l’ire de la communauté artistique quant au processus décisionnel. De fait, les artistes professionnels se soumettent aux concours d’art public gérés par le ministère de la Culture ou à Montréal, par exemple par le Bureau d’art public.
Comparaison éhontée
De façon allusive, on fait référence à Jean Paul Riopelle et à son oeuvre La joute qui a dû quitter cette même Esplanade du Parc olympique il y a dix ans afin d’être réinstallée dans le Quartier international de Montréal (QIM). Nous ne reviendrons pas sur la polémique qui a eu cours à l’époque au sujet de ce déménagement. Toutefois, la comparaison de la sculpture de l’artiste « donateur » à l’oeuvre du grand maître québécois est éhontée.
Même si la Ville de Montréal ou son Bureau d’art public ne peuvent se prononcer sur la question qui nous préoccupe (le « territoire » olympique est gouvernemental), mentionnons que le 4 juillet dernier, le comité exécutif de la Ville a adopté des lignes directrices entourant l’acquisition d’oeuvres d’art public par donation.
« […] Les lignes directrices englobent plusieurs critères qui doivent être pris en considération lors du processus d’acquisition. Celles-ci ont été élaborées suite à une analyse comparative des pratiques en matière de dons d’oeuvres d’art public de certaines villes canadiennes et américaines et incluent, entre autres, les conditions soumises par le donateur, l’analyse de l’oeuvre, le lien entre l’oeuvre et l’ensemble de la production de l’artiste et la cohérence de l’oeuvre au sein de la collection municipale. »
À la lumière de ces repères, nous ne voyons aucune rigueur ni aucun professionnalisme dans les actions de la RIO.
Transaction stoppée
Votre ministère administre la Politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement des bâtiments et des sites gouvernementaux et publics. Dans le document « Bilan 2007-2010 – Intégration des arts à l’architecture et à l’environnement » (gouvernement du Québec, 2011), vous écriviez en introduction :
« […] Unique à maints égards, cette politique constitue un facteur majeur de démocratisation de l’art. En effet, grâce à elle, la population de l’ensemble du territoire québécois a accès à des oeuvres d’artistes de toutes tendances. Les oeuvres réalisées dans le cadre de la Politique témoignent avec éloquence de la pluralité des approches qui caractérise l’art actuel. […] »
Ici, l’opération de la RIO nous apparaît comme un contre-exemple.
En foi de quoi, nous vous demandons, Madame St-Pierre, d’intervenir auprès de la RIO et de votre collègue au ministère du Tourisme afin de stopper net toute transaction avec l’artiste et ses représentants.
Nous suggérons fortement que la somme de 50 000 $ mise en disponibilité par la RIO, sa Fondation et le ministère du Tourisme soit immédiatement gelée et que des consultations soient entamées pour que le présent projet sur l’Esplanade du Parc olympique soit converti en concours d’art public. Il en va de l’image et de la réputation du Québec à l’international tout autant que du respect de ses artistes professionnels et de ses concitoyens dans la saine gestion des fonds publics.
En vertu de votre autorité et des compétences reliées à votre ministère, Madame St-Pierre, nous sollicitons votre intervention sur la place publique au sujet de ce dossier.
Pour soutenir cette lettre et y joindre une signature, écrire à savoirrecevoir@gmail.com.
Emmanuel Galland – Artiste-commissaire et consultant / Annie Lafleur – Écrivaine et spécialiste en arts visuels
Lettre ouverte à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Madame Christine St-Pierre.
Le mardi 17 juillet correspondait à l’anniversaire de la journée d’ouverture des Jeux olympiques de Montréal. Trente-six ans plus tard, nous rêvons toujours d’une relance créative du site olympique marqué par l’histoire. Ici comme ailleurs, nous rêvons d’un peu plus d’art actuel et d’art public entremêlant communautés, villes et autres horizons.
La semaine dernière, nous apprenions par les médias la tenue d’une conférence de presse par la Régie des installations olympiques et par le ministère du Tourisme (ministère responsable du Parc olympique). Le communiqué de la RIO était intitulé : «L’artiste québécois André Desjardins choisit le Parc olympique pour offrir sa première oeuvre monumentale.» Du côté du Tourisme, on titrait : « Retour d’une oeuvre d’art québécoise au Parc olympique… »
Les éléments développés dans les communiqués diffusés et les articles parus consternent la communauté artistique québécoise. Depuis une semaine, ils sont légion – artistes, amateurs d’art, travailleurs culturels, chercheurs – à avoir réagi dans les réseaux sociaux. La nature de ce don inopiné a de quoi surprendre tout un chacun, y compris les résidants de l’arrondissement Mercier-Hochelaga.
En effet, sous le couvert d’un don d’une sculpture offerte par l’artiste et ses agents, la RIO annonce qu’elle dépensera 50 000 $ pour le transport de la pièce des États-Unis vers Montréal et pour son installation sur le site. On nous précise que la sculpture n’existe pas, elle n’en est qu’à l’état de maquette (sic !). Toutefois – ô contradiction -, elle est déjà estimée à 1,1 million de dollars…
Opération de relations publiques ?
Au travers de cette transaction malencontreuse, nous voyons une grande opération de relations publiques de la part de la RIO, de l’artiste et de ses représentants. On nous informe que cet artiste n’a jamais réalisé de sculpture publique permanente (sic !). Qu’en penser ? Que cet artiste vient chercher ici, dans sa ville natale, une validation de son travail sur un site hautement symbolique ? Par qui et selon quels critères le « cadeau » a-t-il été évalué à 1,1 million de dollars ? Quelle est la cote réelle de cet artiste ? Quel processus a mené quel comité composé de quels spécialistes pour accepter ce don ?
Dans le communiqué de la RIO, Monsieur David Heurtel, son p.-d.g., ajoute : « Le Parc olympique de Montréal aura à nouveau une oeuvre publique sur son site qui cadre parfaitement avec son plan de relance. » Or, le « Rapport de la consultation sur l’avenir du Parc olympique » de 16 pages daté de 2011 ne mentionne rien en ce sens. Alors, comment s’inscrit l’acceptation soudaine de ce don ?
Nous ne nous étalerons pas ici sur la qualité esthétique douteuse et les élans d’arrière-garde du « cadeau empoisonné » intitulé Recevoir. Chose certaine, cette pièce n’est pas représentative des recherches et créations actuelles en art public, qui s’étendent bien au-delà de la figure du monument. La procédure nébuleuse entreprise par la RIO soulève l’ire de la communauté artistique quant au processus décisionnel. De fait, les artistes professionnels se soumettent aux concours d’art public gérés par le ministère de la Culture ou à Montréal, par exemple par le Bureau d’art public.
Comparaison éhontée
De façon allusive, on fait référence à Jean Paul Riopelle et à son oeuvre La joute qui a dû quitter cette même Esplanade du Parc olympique il y a dix ans afin d’être réinstallée dans le Quartier international de Montréal (QIM). Nous ne reviendrons pas sur la polémique qui a eu cours à l’époque au sujet de ce déménagement. Toutefois, la comparaison de la sculpture de l’artiste « donateur » à l’oeuvre du grand maître québécois est éhontée.
Même si la Ville de Montréal ou son Bureau d’art public ne peuvent se prononcer sur la question qui nous préoccupe (le « territoire » olympique est gouvernemental), mentionnons que le 4 juillet dernier, le comité exécutif de la Ville a adopté des lignes directrices entourant l’acquisition d’oeuvres d’art public par donation.
« […] Les lignes directrices englobent plusieurs critères qui doivent être pris en considération lors du processus d’acquisition. Celles-ci ont été élaborées suite à une analyse comparative des pratiques en matière de dons d’oeuvres d’art public de certaines villes canadiennes et américaines et incluent, entre autres, les conditions soumises par le donateur, l’analyse de l’oeuvre, le lien entre l’oeuvre et l’ensemble de la production de l’artiste et la cohérence de l’oeuvre au sein de la collection municipale. »
À la lumière de ces repères, nous ne voyons aucune rigueur ni aucun professionnalisme dans les actions de la RIO.
Transaction stoppée
Votre ministère administre la Politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement des bâtiments et des sites gouvernementaux et publics. Dans le document « Bilan 2007-2010 – Intégration des arts à l’architecture et à l’environnement » (gouvernement du Québec, 2011), vous écriviez en introduction :
« […] Unique à maints égards, cette politique constitue un facteur majeur de démocratisation de l’art. En effet, grâce à elle, la population de l’ensemble du territoire québécois a accès à des oeuvres d’artistes de toutes tendances. Les oeuvres réalisées dans le cadre de la Politique témoignent avec éloquence de la pluralité des approches qui caractérise l’art actuel. […] »
Ici, l’opération de la RIO nous apparaît comme un contre-exemple.
En foi de quoi, nous vous demandons, Madame St-Pierre, d’intervenir auprès de la RIO et de votre collègue au ministère du Tourisme afin de stopper net toute transaction avec l’artiste et ses représentants.
Nous suggérons fortement que la somme de 50 000 $ mise en disponibilité par la RIO, sa Fondation et le ministère du Tourisme soit immédiatement gelée et que des consultations soient entamées pour que le présent projet sur l’Esplanade du Parc olympique soit converti en concours d’art public. Il en va de l’image et de la réputation du Québec à l’international tout autant que du respect de ses artistes professionnels et de ses concitoyens dans la saine gestion des fonds publics.
En vertu de votre autorité et des compétences reliées à votre ministère, Madame St-Pierre, nous sollicitons votre intervention sur la place publique au sujet de ce dossier.
Pour soutenir cette lettre et y joindre une signature, écrire à savoirrecevoir@gmail.com.
Emmanuel Galland – Artiste-commissaire et consultant / Annie Lafleur – Écrivaine et spécialiste en arts visuels