Décès de l’artiste et théoricien David Tomas, un texte de France Choinière

Le milieu culturel et académique a récemment perdu un artiste exceptionnel et un grand penseur, atypique, de même qu’un professeur ayant marqué profondément l’esprit de plusieurs générations d’étudiantes et d’étudiants.

Artiste, anthropologue, théoricien, auteur et commissaire, David Tomas a développé pendant près de quarante ans une pensée singulière sur la nature et les fonctions du savoir. Être prolifique, ses réflexions se sont développées et matérialisées sous des formes diverses mais dans un continuum et un maillage fascinant. À la croisée de l’histoire de l’art contemporain — particulièrement de l’art conceptuel —, de l’histoire, de l’anthropologie des médias et des cultures, David Tomas a créé des œuvres — installations, performances, dessins, photographies, sculptures — toujours d’une exigence formelle brillante mais qui jamais n’aura eu préséance sur le sens. Prenant ancrage dans la transculture des technologies de l’image, l’ensemble de son œuvre dresse un portrait saisissant du passage de l’humain au post-humain. Théorie que ses écrits ont appuyée de manière éloquente par de nombreux ouvrages substantiels qui, dans des allers-retours puisant à certaines sources fondatrices marquantes, ont permis de mieux saisir l’ampleur du sujet, ses multiples ramifications et leur potentiel à ouvrir vers des questions interculturelles, dans tous les sens du terme. Telle une extension de sa propre pratique artistique et une mise en forme de ses écrits, son travail de commissaire a donné lieu à des projets éclatés, hors normes, faisant fi de toute linéarité et de toute chronologie. Dans une approche rappelant le « cabinet de curiosités » où des fragments rigoureusement choisis se rencontrent, non sans conflits, David Tomas a conçu des expositions qui soulèvent de nombreuses questions quant aux structures économiques et culturelles du monde de l’art et quant à la fonction même du spectateur.

Opérant selon des systèmes d’analyse et de renvois complexes, entrecoupée de lectures transversales, la pensée de David Tomas a tout de l’indiscipline. En ce sens où elle s’intéresse davantage aux zones de contact entre disciplines qu’au discours disciplinaire. Une approche d’une grande liberté qui ouvre sur la création de modèles et de systèmes critiques embrassant bien plus vaste que le champ de l’art pour favoriser une réflexion sociopolitique et, peut-être, prêter vie, pour la suite, à cet idéal imaginaire qu’il proposait d’un avenir fait de discipline intellectuelle, de rigueur, de pouvoir et d’influence.

Point d’éloges tu m’as dit, et je m’y tiens. Mais une profonde gratitude pour toutes ces étincelles que tu as maintes fois allumées.

— France Choinière

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