Cozic, Surfacentre 15, 1977, peluche, pelons, vinyle, 164 x 164 cm.
Photographie – Daniel Roussel

Cozic et Marc Garneau, expositions du 25 septembre au 25 janvier à la Fondation Guido Molinari

Clin d’oeil complice – Cozic

Quand Cozic commence à montrer son travail, à la fin des années soixante, Molinari nage (encore) dans la gloire. Il rentre tout juste de la XXXIVe Biennale de Venise où il représentait le Canada, avec son ami Ulysse Comtois, et où ses toiles de 1964–1968 lui ont valu le prix important de la Fondation David F. Bright ; grand boursier de la Fondation Guggenheim, il expose régulièrement à New York en solo depuis 1962, et son tableau Mutation vert-rouge figure en bonne place dans le catalogue de la prestigieuse exposition The Responsive Eye, présentée en 1965 au Museum of Modern Art ; on ne compte plus alors les manifestations de première importance auxquelles il participe ni les prix de toute nature qu’il y décroche. Et il vient d’avoir trente-cinq ans…

Cette gloire, Molinari la doit principalement à ses prises de position radicales. Depuis l’automne 1963, en effet, il réalise à peu près exclusivement des propositions chromatiques qui utilisent des bandes verticales d’égale largeur, ce qui ne donne nullement l’impression de contraindre sa passion de peindre. Au contraire. C’est la première fois qu’il travaille à aussi longue échéance, mais son radicalisme n’est pas sans rappeler celui des tableaux noir‑et‑blanc de 1956, exposés à la galerie L’Actuelle, qui « anticipent de près de dix ans sur le minimal art de New York », comme l’écrira avec sa sagacité habituelle le grand historien d’art Bernard Teyssèdre. Bref, à première vue, rien ne prédispose l’artiste à accueillir favorablement les espiègleries d’un jeune duo contestataire qui peut parfois donner l’impression de s’en prendre au « grand art » de la peinture.

Mais Moli est aussi l’auteur de ces petites toiles peintes « à la noirceur », au début des années cinquante, qui hérissaient tant les automatistes. Il se souvient qu’on le traitait volontiers de dadaïste, qu’on n’essayait même pas de comprendre sa production, qu’on le méprisait tout simplement. Aussi, contre toute attente, s’intéresse‑t‑il très tôt à la table des matières, inusitée dans le champ de l’art, de Cozic aussi bien qu’à son propos. Le couple se rappelle encore aujourd’hui l’attitude conviviale de Moli à leur endroit : « Il était de tous nos vernissages et nous gratifiait alors d’analyses et d’interprétations très constructives. Il a été le premier à commenter nos objets autrement qu’en disant “C’est l’fun !”. Ses avis étaient influents et ont grandement facilité notre intégration dans le milieu de l’art québécois. »

Moli pressent donc que, derrière une façade que l’on ne cesse de qualifier de « ludique », l’entreprise de Cozic rejoint souvent la sienne propre, par l’importance accordée à la structure, à la couleur, à la géométrie, à la notion de série, au temps nécessaire à la perception de l’œuvre d’art, à la participation du spectateur, etc. Mutatis mutandis, bien sûr. De ce point de vue, la série des Surfacentres, qui a été montrée au Musée d’art contemporain de Montréal (du temps où il était à la Cité du Havre), est particulièrement explicite, avec toutes les transgressions que les surfaces faites de tissu imposent à la géométrie. Et vice versa. Dès la création de la Fondation, nous avions convenu de présenter ces œuvres exemplaires, en résonance avec celles d’un Molinari en transit entre ses bandes verticales et ses Quantificateurs. Un Molinari autre, en apparence plus convivial, dont les principes donnent l’impression de s’assouplir, et qui se redonne des échéances plus courtes. Un Molinari moins affirmatif – si on peut dire ? – qui explore, avec des diagonales, d’autres espaces topologiques en même temps que d’autres gammes chromatiques

En l’occurrence, on voit mieux comment les propositions de Cozic ne visent alors pas tant à contester la peinture qu’à en renouveler le vocabulaire et à en enrichir les enjeux, avec les moyens qui leur sont propres depuis toujours : ces fameuses matières kitsch qui souvent heurtent le « bon goût » avec leurs couleurs à l’avenant. Reste qu’il faut saluer la perspicacité de Moli dans l’histoire de Cozic. Il est vrai que, dès la fin des années soixante, le « théoricien du molinarisme » n’en est plus à ses premiers démêlés avec le « bon goût »…

– Gilles Daigneault

 

Marc Garneau, 1982-1984. Du silence des yeux – Du 25 septembre 2014 au 25 janvier 2015

Entre 1982 et 1984, Marc Garneau complète sa scolarité de maîtrise (Fine Arts) à l’Université Concordia, considérée comme offrant l’un des meilleurs programmes du genre au Canada. Parmi ses professeurs on retrouve John Fox, Yves Gaucher, Russell T. Gordon, Johanne Lamoureux, Guido Molinari et Leopold Plotek. Ses études sont enrichies par un deuxième voyage en Europe, un long séjour dans le sud de la France et en Italie (été 1983), où son vocabulaire plastique se précise. L’histoire et les terres rocailleuses du pays cathare, les monuments antiques étudiés dans la lumière de la Méditerranée et la fréquentation des musées offrent de nouveaux sujets d’études. Garneau réalise au cours de cette période trois expositions solos : galeries Motivation V (1982), Bourget (1983) et Skol (1984).

« Les transparences de l’être, de l’instant et des pigments ne font plus qu’un. C’est pourquoi le regard devient le véritable sujet. » C’est avec cette phrase que Marc Garneau termine le mot d’introduction de l’exposition de la galerie Bourget. Puis, il intitule sa présentation à la galerie Skol : Du silence des yeux.

Au début de sa vie professionnelle, le jeune peintre (Garneau est né en 1956) place déjà l’objet du regard au centre des ses intérêts. Que voit-on, ou encore comment voir, interroge l’artiste. Alors que la première remarque situe la vision au croisement de l’individualité, de la temporalité et de la matérialité ; la seconde suggère une attitude méditative face à la peinture qui se dévoile dans cet état d’attention. Le principe de la transparence pose l’idée de la peinture comme exploration et introspection, attitudes qui expriment la clarté et la limpidité recherchée à travers le geste
et l’expérience de peindre.

Les œuvres retenues pour cette présentation puisent dans le corpus de ces années fertiles auquel sont joints des carnets de dessins. Elles proposent à leur manière une matérialisation et une interprétation des réflexions de Garneau sur l’art. Toutes mettent en valeur l’importance de laisser chaque étape du travail bien visible, de dire les superpositions des strates, l’accumulation des différents dépôts d’initiatives et d’accidents qui composeront l’œuvre. Le regard comme assemblage instinctif.

Un geste dessiné transcrit librement l’observation ou la sensation première. L’essentiel d’un motif, le déplacement révélateur d’une ombre, le détail significatif d’une œuvre, la réaction spontanée face au support même. Tout incite à inscrire un mouvement qui construit des formes surgies du croisement de la ligne qui court sur la surface. Le regard comme inscription d’un agencement autonome.

Ce tracé propose à son tour la structure de l’œuvre en devenir alors qu’intervient le crayon ou le pinceau qui sélectionne, définit, confirme des formes qui se combinent, se joignent, se pénètrent pour suggérer des plans, des textures, des perspectives, des masses, des lumières, des épaisseurs. L’œil s’enfonce dans les méandres de la couleur et du dessin. Le regard comme rassemblement de phénomènes et d’interventions superposés.

Dans cet agencement né librement il s’inscrit un équilibre mobile dans la manière de faire surgir des centres, de souligner des rapports entre des éléments, de créer des échos par le biais de la couleur traitée en lavis, d’aviver la surface d’un rythme de pleins et de repos. Le regard comme plaisir renouvelé d’une circulation ouverte.

Les dessins et tableaux réunis : le grave Minerve (1983), l’effervescent Paradis (1984) ou l’énigmatique In Memoriam (1984), par exemple, démontrent comment chaque œuvre propose une expérience singulière. Ce parcours de deux années de prospection marque l’évolution de ce regard actif qui profite de chaque occasion pour exprimer le bonheur inquiet et l’urgence de se retrouver en relation avec les révélations du motif ou dans l’atmosphère de l’atelier.

Garneau nous invite à le suivre dans les méandres de sa pensée picturale et de refaire ce parcours qui découvre en même temps l’origine et le résultat, l’élaboration et les effets, toutes étapes qui exigent impulsion et rigueur, attention et générosité. Nous sommes dans le regardé de la peinture, qui implique sa tactilité et ses hésitations, son déplacement et ses choix, ses sensations et son intelligence.

Qu’est-ce que peindre, si ce n’est découvrir le regard à l’œuvre.

— Laurier Lacroix

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