Esclavage et droits humains : enjeux de représentation
Conférences de Charmaine Nelson et Jennifer Carter
Entrée libre
Dans le cadre de l’exposition Graham Fagen. Complainte de l’esclave, la Galerie de l’UQAM reçoit les chercheuses Charmaine Nelson (Université McGill) et Jennifer Carter (UQAM) pour une soirée de conférences qui aborderont la représentation de l’esclavage et de l’asservissement des populations dans l’art, ainsi que des considérations liées à l’archivage, à la transmission et à la conservation de ces histoires pour la postérité.
Les conférences seront précédées d’une courte présentation de l’exposition Graham Fagen. Complainte de l’esclave par la commissaire Louise Déry. L’animation de la soirée sera assurée par Monique Régimbald-Zeiber.
Les conférences
Charmaine Nelson
Fouiller les archives coloniales : les avis de détention d’esclaves, une ressource inexploitée pour les études sur l’esclavage au Canada
(La conférence sera prononcée en anglais)
Selon Ann Laura Stoler, « [l]es administrateurs des colonies étaient de prolifiques producteurs de catégories sociales ». En parallèle, les colonialistes, stratégiquement, réservaient certaines méthodes archivistiques aux personnes non libres. C’est ainsi que l’on a pu caractériser les archives coloniales des empires européens, qu’elles se trouvent en Europe ou dans les colonies, par l’effacement ou la représentation partielle stratégique de l’Africain asservi. Il nous revient dès lors, comme l’explique Stoler, de faire le tri entre « ce qui n’est pas écrit parce que “cela va sans dire” ou que “tout le monde le sait”, ce qui n’est pas écrit parce que l’idée en est encore informulable et ce qui n’est pas écrit parce que ça ne se dit pas ». Poursuivant cette réflexion, j’ajouterais à la liste : ce qui n’est pas écrit parce que si on l’écrivait, on humaniserait en plus la personne réduite à l’esclavage. Cette conférence sera l’occasion de fouiller les archives canadiennes sur l’esclavage, une ressource sous-exploitée qui livre pourtant des informations cruciales sur la vie des personnes asservies. Tout en abordant les avis de détention de fugitifs comme autant de « portraits » d’esclaves, je les examinerai en même temps que d’autres documents d’archives, afin de mettre au jour des moyens de récupérer et d’humaniser les personnes non libres et de prendre ainsi le contrepied de la stratégie d’effacement attribuée aux archives coloniales.
Jennifer Carter
Les droits à l’œuvre : Les enjeux du devoir muséal dans les contextes de justice et de réconciliation
(La conférence sera prononcée en français)
Les « musées pour les droits de la personne » constituent un phénomène relativement récent de la sphère culturelle. Ces établissements, qui s’autodéfinissent dans leur nom et leur mission comme des musées consacrés aux droits de la personne, diffèrent un peu, de ce fait, de précurseurs tels que les musées commémoratifs. En effet, dans leurs expositions, leurs pratiques de conservation et leur programmation, ces derniers donnent aux questions des droits humains ou de la justice sociale une orientation plus large. Différents, donc. Mais à quel point ? Et dans quels buts ? Fondés pour la plupart depuis le nouveau millénaire, issus de situations politiques, économiques, sociales et culturelles variées, et ancrés dans des contextes géopolitiques qui vont de l’ancienne dictature à la démocratie libérale, les musées pour les droits de la personne, de plus en plus nombreux, s’adaptent de différentes façons à la conjoncture muséale et humanitaire. La présentation permettra de situer leur émergence dans son contexte muséologique élargi, et de comparer, à partir d’une recherche effectuée au Chili, au Paraguay, au Japon, aux États-Unis et au Canada, tant dans des musées pour les droits de la personne que dans des musées commémoratifs, la nature de leurs discours et de leurs pratiques concernant les droits de la personne. En particulier, on examinera les conditions sous lesquelles ces lieux de mémoire collective s’inscrivent dans la problématique d’une culture des droits de la personne en mutation, par rapport à l’holocauste, à l’esclavage, aux contextes sociaux d’après-dictature et d’après-guerre, à la justice transitionnelle, aux témoignages et aux notions de traumatisme, de réconciliation et de deuil. Ces musées se donnent le défi de conserver et de transmettre un savoir accablant ; pour y arriver, ils doivent préserver un espace de dialogue ouvert à l’expression d’identités et de perspectives multiples. On étudiera ici les différentes stratégies narratives, interprétatives et pédagogiques mises au point dans la génération actuelle des musées commémoratifs et des musées pour les droits de la personne. Cela nous permettra de révéler la transformation du paysage identitaire et des politiques de commémoration qui est en cours dans les établissements prenant en charge des récits douloureux liés aux violations des droits de la personne – et à la lutte toujours actuelle pour ces droits.
Les invitées
Charmaine Nelson est professeure d’histoire de l’art à l’Université McGill. Ses champs d’intérêt sont les études féministes postcoloniales et noires, les études transatlantiques de l’esclavage et les études sur la diaspora noire. Son apport à la culture visuelle de l’esclavage, de la race et de la représentation ainsi qu’aux études sur les Noirs au Canada est révolutionnaire. Charmaine Nelson est l’auteure de six ouvrages, dont The Color of Stone: Sculpting the Black Female Subject in Nineteenth-Century America (Minneapolis : University of Minnesota Press, 2007), Representing the Black Female Subject in Western Art (New York : Routledge, 2010) et Slavery, Geography and Empire in Nineteenth-Century Marine Landscapes of Montreal and Jamaica (Surrey, R.-U. : Ashgate/Taylor and Francis, 2016).
Jennifer Carter est directrice des Études supérieures en muséologie ainsi que professeure en Nouvelles muséologies, patrimoines immatériels et objets culturels au Département d’histoire de l’art, à l’Université du Québec à Montréal. Muséologue et historienne de l’art et de l’architecture, elle est titulaire d’un doctorat en histoire et théorie de l’architecture (Université McGill), d’une maîtrise en histoire de l’art (School of the Art Institute of Chicago) et d’un baccalauréat (Honours) en histoire de l’art (Université McGill). Elle a travaillé au sein de musées et de centres d’archives au Canada, notamment au Centre Canadien d’Architecture, au Musée des Beaux-Arts de l’Ontario et à la Canadian Architecture Collection de l’Université McGill, Montréal. À titre de commissaire, elle a co-organisé les expositions Drawing from Ideas, Building from Books : Architectural Treatises in the McGill University Library, Women and Homelessness et Safdie’s Sixties: Looking Forward to Looking Back. Ses recherches s’orientent selon deux axes principaux : la relation du musée, de la défense des droits et de la justice sociale (subventionnées par le CRSH et le FRQSC), ainsi que les relations entre la représentation, l’architecture des musées et l’expographie. Elle a rédigé et co-rédigé des articles dans des livres et revues internationaux et travaille actuellement au manuscrit Museums in a Culture of Human Rights: New Museums Around the Globe (Royaume-Uni : Routledge/Taylor and Francis).
Monique Régimbald-Zeiber vit et travaille à Montréal. Très tôt, elle s’est intéressée à l’écriture et au politique dans l’art. En 1980 elle obtenait un doctorat en littérature qui proposait une lecture croisée des écrits et pratiques picturales de l’avant-garde russe. Elle a été professeure à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM de 1992 à 2012. Elle en a été la directrice pendant 4 ans. Elle a aussi été vice-doyenne à la recherche et à la création de la Faculté des arts de l’UQAM. Peintre, elle a, depuis une vingtaine d’années, développé une démarche qui interroge la construction du regard et de l’histoire, en particulier celle des femmes. Elle le fait dans et par des croisements de peinture et d’écriture. Ses œuvres font partie de différentes collections dont celles du Musée national des beaux-arts du Québec, du Musée d’art contemporain de Montréal et de la Galerie de l’UQAM. Elles ont été exposées au Québec, au Canada et en Europe. Son travail fait l’objet de plusieurs expositions individuelles, dont Éclats de Rome, à la galerie La Nube di Oort (Rome, 2008) et Les dessous de l’histoire (2) à la Galerie B 312 (Montréal, 2011-2012). En 1996, elle a fondé, avec Louise Déry, directrice de la Galerie de l’UQAM, les Éditions les petits carnets.
Esclavage et droits humains : enjeux de représentation
Conférences de Charmaine Nelson et Jennifer Carter
Entrée libre
Dans le cadre de l’exposition Graham Fagen. Complainte de l’esclave, la Galerie de l’UQAM reçoit les chercheuses Charmaine Nelson (Université McGill) et Jennifer Carter (UQAM) pour une soirée de conférences qui aborderont la représentation de l’esclavage et de l’asservissement des populations dans l’art, ainsi que des considérations liées à l’archivage, à la transmission et à la conservation de ces histoires pour la postérité.
Les conférences seront précédées d’une courte présentation de l’exposition Graham Fagen. Complainte de l’esclave par la commissaire Louise Déry. L’animation de la soirée sera assurée par Monique Régimbald-Zeiber.
Les conférences
Charmaine Nelson
Fouiller les archives coloniales : les avis de détention d’esclaves, une ressource inexploitée pour les études sur l’esclavage au Canada
(La conférence sera prononcée en anglais)
Selon Ann Laura Stoler, « [l]es administrateurs des colonies étaient de prolifiques producteurs de catégories sociales ». En parallèle, les colonialistes, stratégiquement, réservaient certaines méthodes archivistiques aux personnes non libres. C’est ainsi que l’on a pu caractériser les archives coloniales des empires européens, qu’elles se trouvent en Europe ou dans les colonies, par l’effacement ou la représentation partielle stratégique de l’Africain asservi. Il nous revient dès lors, comme l’explique Stoler, de faire le tri entre « ce qui n’est pas écrit parce que “cela va sans dire” ou que “tout le monde le sait”, ce qui n’est pas écrit parce que l’idée en est encore informulable et ce qui n’est pas écrit parce que ça ne se dit pas ». Poursuivant cette réflexion, j’ajouterais à la liste : ce qui n’est pas écrit parce que si on l’écrivait, on humaniserait en plus la personne réduite à l’esclavage. Cette conférence sera l’occasion de fouiller les archives canadiennes sur l’esclavage, une ressource sous-exploitée qui livre pourtant des informations cruciales sur la vie des personnes asservies. Tout en abordant les avis de détention de fugitifs comme autant de « portraits » d’esclaves, je les examinerai en même temps que d’autres documents d’archives, afin de mettre au jour des moyens de récupérer et d’humaniser les personnes non libres et de prendre ainsi le contrepied de la stratégie d’effacement attribuée aux archives coloniales.
Jennifer Carter
Les droits à l’œuvre : Les enjeux du devoir muséal dans les contextes de justice et de réconciliation
(La conférence sera prononcée en français)
Les « musées pour les droits de la personne » constituent un phénomène relativement récent de la sphère culturelle. Ces établissements, qui s’autodéfinissent dans leur nom et leur mission comme des musées consacrés aux droits de la personne, diffèrent un peu, de ce fait, de précurseurs tels que les musées commémoratifs. En effet, dans leurs expositions, leurs pratiques de conservation et leur programmation, ces derniers donnent aux questions des droits humains ou de la justice sociale une orientation plus large. Différents, donc. Mais à quel point ? Et dans quels buts ? Fondés pour la plupart depuis le nouveau millénaire, issus de situations politiques, économiques, sociales et culturelles variées, et ancrés dans des contextes géopolitiques qui vont de l’ancienne dictature à la démocratie libérale, les musées pour les droits de la personne, de plus en plus nombreux, s’adaptent de différentes façons à la conjoncture muséale et humanitaire. La présentation permettra de situer leur émergence dans son contexte muséologique élargi, et de comparer, à partir d’une recherche effectuée au Chili, au Paraguay, au Japon, aux États-Unis et au Canada, tant dans des musées pour les droits de la personne que dans des musées commémoratifs, la nature de leurs discours et de leurs pratiques concernant les droits de la personne. En particulier, on examinera les conditions sous lesquelles ces lieux de mémoire collective s’inscrivent dans la problématique d’une culture des droits de la personne en mutation, par rapport à l’holocauste, à l’esclavage, aux contextes sociaux d’après-dictature et d’après-guerre, à la justice transitionnelle, aux témoignages et aux notions de traumatisme, de réconciliation et de deuil. Ces musées se donnent le défi de conserver et de transmettre un savoir accablant ; pour y arriver, ils doivent préserver un espace de dialogue ouvert à l’expression d’identités et de perspectives multiples. On étudiera ici les différentes stratégies narratives, interprétatives et pédagogiques mises au point dans la génération actuelle des musées commémoratifs et des musées pour les droits de la personne. Cela nous permettra de révéler la transformation du paysage identitaire et des politiques de commémoration qui est en cours dans les établissements prenant en charge des récits douloureux liés aux violations des droits de la personne – et à la lutte toujours actuelle pour ces droits.
Les invitées
Charmaine Nelson est professeure d’histoire de l’art à l’Université McGill. Ses champs d’intérêt sont les études féministes postcoloniales et noires, les études transatlantiques de l’esclavage et les études sur la diaspora noire. Son apport à la culture visuelle de l’esclavage, de la race et de la représentation ainsi qu’aux études sur les Noirs au Canada est révolutionnaire. Charmaine Nelson est l’auteure de six ouvrages, dont The Color of Stone: Sculpting the Black Female Subject in Nineteenth-Century America (Minneapolis : University of Minnesota Press, 2007), Representing the Black Female Subject in Western Art (New York : Routledge, 2010) et Slavery, Geography and Empire in Nineteenth-Century Marine Landscapes of Montreal and Jamaica (Surrey, R.-U. : Ashgate/Taylor and Francis, 2016).
Jennifer Carter est directrice des Études supérieures en muséologie ainsi que professeure en Nouvelles muséologies, patrimoines immatériels et objets culturels au Département d’histoire de l’art, à l’Université du Québec à Montréal. Muséologue et historienne de l’art et de l’architecture, elle est titulaire d’un doctorat en histoire et théorie de l’architecture (Université McGill), d’une maîtrise en histoire de l’art (School of the Art Institute of Chicago) et d’un baccalauréat (Honours) en histoire de l’art (Université McGill). Elle a travaillé au sein de musées et de centres d’archives au Canada, notamment au Centre Canadien d’Architecture, au Musée des Beaux-Arts de l’Ontario et à la Canadian Architecture Collection de l’Université McGill, Montréal. À titre de commissaire, elle a co-organisé les expositions Drawing from Ideas, Building from Books : Architectural Treatises in the McGill University Library, Women and Homelessness et Safdie’s Sixties: Looking Forward to Looking Back. Ses recherches s’orientent selon deux axes principaux : la relation du musée, de la défense des droits et de la justice sociale (subventionnées par le CRSH et le FRQSC), ainsi que les relations entre la représentation, l’architecture des musées et l’expographie. Elle a rédigé et co-rédigé des articles dans des livres et revues internationaux et travaille actuellement au manuscrit Museums in a Culture of Human Rights: New Museums Around the Globe (Royaume-Uni : Routledge/Taylor and Francis).
Monique Régimbald-Zeiber vit et travaille à Montréal. Très tôt, elle s’est intéressée à l’écriture et au politique dans l’art. En 1980 elle obtenait un doctorat en littérature qui proposait une lecture croisée des écrits et pratiques picturales de l’avant-garde russe. Elle a été professeure à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM de 1992 à 2012. Elle en a été la directrice pendant 4 ans. Elle a aussi été vice-doyenne à la recherche et à la création de la Faculté des arts de l’UQAM. Peintre, elle a, depuis une vingtaine d’années, développé une démarche qui interroge la construction du regard et de l’histoire, en particulier celle des femmes. Elle le fait dans et par des croisements de peinture et d’écriture. Ses œuvres font partie de différentes collections dont celles du Musée national des beaux-arts du Québec, du Musée d’art contemporain de Montréal et de la Galerie de l’UQAM. Elles ont été exposées au Québec, au Canada et en Europe. Son travail fait l’objet de plusieurs expositions individuelles, dont Éclats de Rome, à la galerie La Nube di Oort (Rome, 2008) et Les dessous de l’histoire (2) à la Galerie B 312 (Montréal, 2011-2012). En 1996, elle a fondé, avec Louise Déry, directrice de la Galerie de l’UQAM, les Éditions les petits carnets.