Off Route 2 d’
AMANDA DAWN CHRISTIE
DERBY de
JEAN-FRANÇOIS CAISSY
et
Mes voix d’intérieur de
JEAN-PIERRE GAUTHIER en poste audio
****
Rencontre avec les artistes le SAMEDI 01 septembre, 14h00.
Animée par Emmanuelle Léonard
****
Notre saison 2012-2013 s’ouvre avec deux œuvres issues de l’univers du cinéma, Derby, une installation vidéo de Jean-François Caissy, davantage connu comme cinéaste documentaire, et Off Route 2, installation comprenant film en 35 mm et vidéos d’Amanda Dawn Christie, également une habituée des festivals de films.
C’est d’abord la photographie qui a attiré Jean-François Caissy, cinéaste autodidacte qui a délaissé ce premier médium pour se concentrer uniquement sur l’image en mouvement depuis maintenant près d’une dizaine d’années. Sa patience et sa grande écoute, lui qui laisse aux événements le temps d’advenir à l’intérieur de longs plans aux cadrages fixes insistant sur la durée, rappellent le regard du photographe, son amour de l’image bien composée, son étude des couleurs et de la lumière. Le réel plutôt que la fiction l’inspire, et c’est dans les régions du Québec que ce natif de la Gaspésie tourne la plupart de ses projets personnels, souvent l’occasion d’une exploration de thèmes essentiels comme la famille, la vieillesse et l’adolescence. Avec Derby, il s’agit d’une première incursion dans l’univers de l’installation vidéo pour Caissy, et c’est tout naturellement que le cinéaste a voulu explorer les paramètres qui en font un médium différent du cinéma, soit par la volatilité de l’attention du spectateur et la possibilité de jouer avec le dispositif de présentation.
Composée de trois projections de grandes dimensions entourant le spectateur, l’œuvre diffuse des images captées lors d’une compétition de « Derby démolition » – une activité populaire dans les milieux ruraux nord-américains qui consiste en une arène d’autos tamponneuses pour adultes où l’objectif est la destruction des voitures adverses. Assis, dans les estrades en plein soleil, une foule attentive semble aussi absorbée par le spectacle que désabusée, dans l’attente de d’un événement exceptionnel qui saura traverser le filtre de leur passivité. La violence des impacts perçus en temps réel par les spectateurs qui font face aux images est contrebalancée par la bande sonore résultant de la modulation des sons ambiants captés durant les prises de vue. Aux grognements des moteurs évoquant des cris de bêtes succède une pièce musicale contemporaine pour cordes dont les sonorités minimalistes et plaintives ajoutent au pathos des scènes. Le temps paraît suspendu, ralenti, et on sent moins la fébrilité et l’excitation des concurrents que la langueur et l’inertie des observateurs témoins du combat. Une impression de vide due à la futilité de la dépense destructive à laquelle on assiste, fascinés malgré nous, persiste. Issue à l’origine d’une activité qui se veut ludique et festive, Derby met néanmoins en place une atmosphère aux couleurs de drame existentiel; en rendant palpable notre distance face aux images, l’œuvre nous amène à prendre conscience des façades, des écrans qui autorisent notre passivité devant les violences quotidiennes.
Bien que l’attente joue également un rôle de premier plan dans la vidéo d’Amanda Dawn Christie, son projet se distingue de celui de Caissy par le fait que le cinéma, sa rhétorique, en est un des sujets principaux. Projeté en boucle d’un projecteur 35 mm dont la stature, imposante, se dresse au centre de l’espace, le film, divisé en deux sections, évite d’emprunter la voie d’une trame narrative linéaire comportant un début et une fin séparés par une montée dramatique. Une des sections comprend un long travelling qui installe l’atmosphère : un paysage hivernal quasi silencieux au centre duquel se trouve une scène d’accident étrangement esthétisée. Dans une voiture blanche capotée, la conductrice, également vêtue de blanc, est suspendue la tête en bas, un bras sortant par la fenêtre. Le moteur fume encore. Seuls témoins de l’accident, des corbeaux croassent, des loups rodent et des cervidés gambadent. Le temps semble suspendu et le paysage bucolique. Passage au noir. Rapidement, le déroulement temporel reprend son cours et l’immobilité de l’instant se rompt : une portière s’ouvre, des pompiers approchent et interpellent l’accidentée qui manifeste crainte et désorientation. On entend le métal craqué. Lentement, la caméra qui filmait la scène à hauteur de la blessée se retire. L’élargissement progressif du champ de l’image dévoile un preneur de son armé de sa perche, puis les rails permettant le déplacement de la caméra, suivis d’un observateur qui semble être chargé de la mise en scène.
Fiction ou réalité? Plutôt réalité de la fiction en train de se faire. Performant dans tous ses films, Amanda Dawn Christie, appelée par son nom à un certain moment par les pompiers, a réellement éprouvé les effets de désorientation, de nausée et de quasi-perte de conscience provoqués par sa position dans la voiture, maintenue (trop) longtemps et reprise plusieurs fois pour les besoins du tournage effectué dans des conditions climatiques éprouvantes. Responsable de sa situation de captive mais devant néanmoins réellement être rescapée, elle apparaît responsable de la réalisation du film dans une des scènes, dirigeant son assistant qui lui présente le décor de la prochaine prise de vue. Cette position de pouvoir, qui vient subvertir le rapport de force réglant généralement les échanges entre personnages féminins et masculins dans les scénarios hollywoodiens classiques, se présente comme un des nœuds du projet. Réfléchissant sur le langage cinématographique,
Off Route 2
nous montre également le « making of » et le dispositif de présentation du film, deux éléments situés en amont et en aval du résultat final, habituellement maintenus dans l’ombre pour ne pas perturber l’effet d’illusion. Deux moniteurs, installés sur le mur opposé à la projection, présentent des plans rapprochés montrant certains détails du décor. Ils dévoilent en quelque sorte le lexique du monteur qui cherche, en sélectionnant ses images, à construire une tension dramatique – un autre artifice cinématographique.
Off Route 2 d’
AMANDA DAWN CHRISTIE
DERBY de
JEAN-FRANÇOIS CAISSY
et
Mes voix d’intérieur de
JEAN-PIERRE GAUTHIER en poste audio
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Rencontre avec les artistes le SAMEDI 01 septembre, 14h00.
Animée par Emmanuelle Léonard
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Notre saison 2012-2013 s’ouvre avec deux œuvres issues de l’univers du cinéma, Derby, une installation vidéo de Jean-François Caissy, davantage connu comme cinéaste documentaire, et Off Route 2, installation comprenant film en 35 mm et vidéos d’Amanda Dawn Christie, également une habituée des festivals de films.
C’est d’abord la photographie qui a attiré Jean-François Caissy, cinéaste autodidacte qui a délaissé ce premier médium pour se concentrer uniquement sur l’image en mouvement depuis maintenant près d’une dizaine d’années. Sa patience et sa grande écoute, lui qui laisse aux événements le temps d’advenir à l’intérieur de longs plans aux cadrages fixes insistant sur la durée, rappellent le regard du photographe, son amour de l’image bien composée, son étude des couleurs et de la lumière. Le réel plutôt que la fiction l’inspire, et c’est dans les régions du Québec que ce natif de la Gaspésie tourne la plupart de ses projets personnels, souvent l’occasion d’une exploration de thèmes essentiels comme la famille, la vieillesse et l’adolescence. Avec Derby, il s’agit d’une première incursion dans l’univers de l’installation vidéo pour Caissy, et c’est tout naturellement que le cinéaste a voulu explorer les paramètres qui en font un médium différent du cinéma, soit par la volatilité de l’attention du spectateur et la possibilité de jouer avec le dispositif de présentation.
Composée de trois projections de grandes dimensions entourant le spectateur, l’œuvre diffuse des images captées lors d’une compétition de « Derby démolition » – une activité populaire dans les milieux ruraux nord-américains qui consiste en une arène d’autos tamponneuses pour adultes où l’objectif est la destruction des voitures adverses. Assis, dans les estrades en plein soleil, une foule attentive semble aussi absorbée par le spectacle que désabusée, dans l’attente de d’un événement exceptionnel qui saura traverser le filtre de leur passivité. La violence des impacts perçus en temps réel par les spectateurs qui font face aux images est contrebalancée par la bande sonore résultant de la modulation des sons ambiants captés durant les prises de vue. Aux grognements des moteurs évoquant des cris de bêtes succède une pièce musicale contemporaine pour cordes dont les sonorités minimalistes et plaintives ajoutent au pathos des scènes. Le temps paraît suspendu, ralenti, et on sent moins la fébrilité et l’excitation des concurrents que la langueur et l’inertie des observateurs témoins du combat. Une impression de vide due à la futilité de la dépense destructive à laquelle on assiste, fascinés malgré nous, persiste. Issue à l’origine d’une activité qui se veut ludique et festive, Derby met néanmoins en place une atmosphère aux couleurs de drame existentiel; en rendant palpable notre distance face aux images, l’œuvre nous amène à prendre conscience des façades, des écrans qui autorisent notre passivité devant les violences quotidiennes.
Bien que l’attente joue également un rôle de premier plan dans la vidéo d’Amanda Dawn Christie, son projet se distingue de celui de Caissy par le fait que le cinéma, sa rhétorique, en est un des sujets principaux. Projeté en boucle d’un projecteur 35 mm dont la stature, imposante, se dresse au centre de l’espace, le film, divisé en deux sections, évite d’emprunter la voie d’une trame narrative linéaire comportant un début et une fin séparés par une montée dramatique. Une des sections comprend un long travelling qui installe l’atmosphère : un paysage hivernal quasi silencieux au centre duquel se trouve une scène d’accident étrangement esthétisée. Dans une voiture blanche capotée, la conductrice, également vêtue de blanc, est suspendue la tête en bas, un bras sortant par la fenêtre. Le moteur fume encore. Seuls témoins de l’accident, des corbeaux croassent, des loups rodent et des cervidés gambadent. Le temps semble suspendu et le paysage bucolique. Passage au noir. Rapidement, le déroulement temporel reprend son cours et l’immobilité de l’instant se rompt : une portière s’ouvre, des pompiers approchent et interpellent l’accidentée qui manifeste crainte et désorientation. On entend le métal craqué. Lentement, la caméra qui filmait la scène à hauteur de la blessée se retire. L’élargissement progressif du champ de l’image dévoile un preneur de son armé de sa perche, puis les rails permettant le déplacement de la caméra, suivis d’un observateur qui semble être chargé de la mise en scène.
Fiction ou réalité? Plutôt réalité de la fiction en train de se faire. Performant dans tous ses films, Amanda Dawn Christie, appelée par son nom à un certain moment par les pompiers, a réellement éprouvé les effets de désorientation, de nausée et de quasi-perte de conscience provoqués par sa position dans la voiture, maintenue (trop) longtemps et reprise plusieurs fois pour les besoins du tournage effectué dans des conditions climatiques éprouvantes. Responsable de sa situation de captive mais devant néanmoins réellement être rescapée, elle apparaît responsable de la réalisation du film dans une des scènes, dirigeant son assistant qui lui présente le décor de la prochaine prise de vue. Cette position de pouvoir, qui vient subvertir le rapport de force réglant généralement les échanges entre personnages féminins et masculins dans les scénarios hollywoodiens classiques, se présente comme un des nœuds du projet. Réfléchissant sur le langage cinématographique,
Off Route 2
nous montre également le « making of » et le dispositif de présentation du film, deux éléments situés en amont et en aval du résultat final, habituellement maintenus dans l’ombre pour ne pas perturber l’effet d’illusion. Deux moniteurs, installés sur le mur opposé à la projection, présentent des plans rapprochés montrant certains détails du décor. Ils dévoilent en quelque sorte le lexique du monteur qui cherche, en sélectionnant ses images, à construire une tension dramatique – un autre artifice cinématographique.
Montréal (Québec) H2T 3B3